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TWIN PEAKS - THE RETURN (critique S3)

25 ans après la série d’origine, David Lynch et Mark Frost reviennent avec une nouvelle saison de leur série cultissime Twin Peaks. Au programme, 18 épisodes d’une heure entièrement réalisés par Lynch et coécrits par les deux hommes. Une prise de risque folle et un revival aussi passionnant que foisonnant, que Jofrey La Rosa a découvert pour PETTRI.

Nous l’avions vu, mon expérience des deux premières saisons de Twin Peaks était nuancée. D’un côté, je voyais l’aspect qui avait pu tant passionner à l’époque. Mais en bon enfant de la génération Y jamais content, j’avais une impression d’inachevé, de retenue par rapport à une série qui osait bousculer de façon certaine les codes de son médium à son époque, mais qui n’allait à mon sens pas aussi loin que possible, faute à une diffusion network encore frileuse. Surtout quand on a un David Lynch de la grande époque à la barre, surtout avec l’émulation d’une équipe et d’un casting près à tout pour marquer l’Histoire de la télévision. Mais ça a suffi pour créer une série culte - et c’est amplement mérité, avec ses répliques emblématiques et personnages marquants, et qui a aussi permis à moults séries d’exister, tout simplement. Pour n’en citer que quelques-unes : Lost, Broadchurch, Strangers Things ou même The Sopranos, Atlanta ou Desperate Housewives. Plus que ça, l’influence de Twin Peaks sur la culture est telle, qu’à l’annonce d’un revival de la série, une troisième saison 25 ans après la fin des deux fondatrices, le public était hâtif de découvrir enfin le fin mot des aventures de Dale Cooper, Laura Palmer et de tous ces personnages devenus immédiatement iconiques.


Comme tout le monde ou presque, le travail de David Lynch me bouscule. La plupart du temps, je ne sais trop quoi en penser. Il me fascine sans réellement me toucher, la compréhension floue que je m’en fais me parle étrangement, mais que ce soit son cinéma ou ses travaux artistiques annexes, il peine à me passionner complètement - impression renforcée par la découverte de la Twin Peaks originelle. Mais ça c’était jusqu’à cette troisième saison, sobrement marketée avec le sous-titre “The Return”. J’ai été soufflé par la liberté de proposition, de ton, de rythme. Mark Frost et David Lynch unissent une nouvelle fois leurs forces pour (re)créer une intrigue éparse et distillée sur 18 heures de programme sériel. Comme si, après avoir révolutionné la forme il y a 25 ans, ils revenaient pour boucler la boucle, et enfoncer le clou. En effet, comme pour constater que leur grain de sable dans l’engrenage avait fait son travail disruptif, Frost et Lynch viennent tâter le terrain pour constater les changements qu’ils ont entrepris sur le médium il y a un quart de siècle, tout en rajoutant une couche. Mais que faire de ce retour ? Est-ce un revival limité, une simple troisième saison, ou une ouverture pour une éventuelle suite ? Aux premiers abords, un peu des trois, mais surtout une proposition all-in de la part de deux auteurs en roue libre.


Non pas que leur nouvelle mouture de Twin Peaks soit brouillonne, bien au contraire. Ce qui marque immédiatement, c’est la forte cohérence narrative, formelle et thématique qui se dégage de cette saison en forme de très long-métrage à bien des égards. Mais à bien d’autres, c’est intrinsèquement une série, tant par sa construction que son récit, avec ses lieux communs et habitudes narratives, comme de finir quasi systématiquement par une représentation live d’artistes musicaux dans ce qui semble être devenu une scène hipster : The Bang Bang Bar, anciennement The Roadhouse. Entre les Chromatics, Au Revoir Simone et même Nine Inch Nails, des groupes viennent en effet régulièrement conclure les épisodes dans ce haut-lieu de rencontre dans la ville dans laquelle on passe beaucoup moins de temps qu’avant. La faute à un récit épars et éclaté, où l’on suit les nouvelles aventures d’une bonne vingtaine de personnages principaux, plus les secondaires, certains venant s’y greffer peu à peu, entre Las Vegas, New York, le South Dakota et donc notre bonne vieille ville éponyme du Nord-Ouest. La plupart du casting d’origine revient, agrémenté de nouveaux venus, certains du clan lynchien (Laura Dern, Naomi Watts, Robert Forster, Patrick Fischler) et d’autres (Michael Cera, Charlyne Yi, Jennifer Jason Leigh, Tim Roth, Monica Bellucci, Jim Belushi, Robert Knepper).

La différence notable immédiate, collant à l’époque, c’est le passage de la pellicule au numérique. De l’aspect ocre et rosé du grain argentique, Lynch s’adapte à l’époque comme il l’avait fait avec Island Empire en numérique, à la légère surexposition qui ne serait jamais arrivée dans la série originale. Cependant, on reste loin des errances formelles de son dernier long-métrage en date, avec une image propre, aux cadres appuyés et précis, quand bien même le réalisateur de Mulholland Drive n’hésite jamais à aller faire un tour en territoire expérimental. La preuve en est le fameux épisode 8, où il déploie toute la palette de ses expérimentations formelles, comme cela n’a jamais été fait à la télévision, et rarement dans un cinéma mainstream. Cet épisode central dans la saison, l’est aussi dans la filmographie de son auteur, mais aussi dans la mythologie de la série, puisqu’il met en scène l’arrivée du Mal ultime sur Terre dans les années 1950, qui semblent définitivement et grandement inspirer Lynch. Lors d’une explosion nucléaire, un être maléfique prend une forme reptilienne avant de prendre possession d’une Sarah Palmer encore enfant, alors que des êtres surnommés Woodsmen hantent les plaines du Nouveau-Mexique. Cet être, c’est la fameuse entité Judy évoquée par Phillip Jeffries (David Bowie) dans Fire Walk with me et traquée par l’unité Blue Rose menée par Gordon Cole (David Lynch). Et la scène géniale du film prequel où Dale Cooper arrive au FBI face à une caméra de vidéosurveillance où il semble y avoir une faille spatio-temporelle, s'avère être un moment pivot pour toute l'appréciation mythologique et métaphysique de la série. Dans son film géant, Lynch imposait un point de vue beaucoup plus frontal de l’aspect émotionnel, sombre et fictionnel de l’œuvre qu’il signait jusqu’alors avec Mark Frost. Dès lors, une scission est à l’œuvre à Twin Peaks : celle de Lynch et celle de Frost. L’un peut faire Fire Walk with me (et ses Missing Pieces) et développer des thèmes et tons similaires dans ses films suivants (Lost Highway, Mulholland Drive, Island Empire) tandis que l’autre reviendra dans la ville imaginaire pour un ouvrage nommé The Secret History of Twin Peaks, juste avant la sortie de The Return, avant de boucler la boucle avec The Final Dossier. Ces deux romans sont quelque peu contestés comme étant canoniques, tant ils égrènent les incohérences, alors que Fire Walk with me était lui aussi contesté par les fans n’aimant Twin Peaks uniquement pour ses gags cartoonesques et ses damn good coffee et cherry pies. Sauf que cette série arrive avec The Return à non seulement élever le niveau drastiquement, mais aussi à rétrospectivement rendre excellente une œuvre que je ne jugeais “que” bonne jusqu’à maintenant. Une prouesse.

La puissance des trames narratives de The Return hantent longtemps le spectateur. Elles donnent parfois un sentiment d’errance entre tous ces personnages, éparpillés aux quatre coins d’une Amérique meurtrie, presque figée dans une stase surréaliste, mais beaucoup plus sombre et chaotique qu’elle ne l’était dépeinte dans la Twin Peaks originelle. Ici, il n’est pas rare d’avoir une fusillade provoquée par un enfant, alors qu’un autre, possédé comme un zombie, ne vienne perturber un ancien voyou devenu flic (Bobby, parfaitement interprété par un Dana Ashbrook somptueux). La froideur de la mise en scène de Lynch, à la fois foisonnante et passionnante, oscille entre les deux personnalités des versions de Dale Cooper dans cette saison dantesque : d’un côté le vrai, dont la copie du corps est enfermée dans l’esprit de Dougie Jones, de l’autre côté le doppelganger possédé par Bob à la fin de la saison 2. L’un est absent, comme vide de substance, multipiant bêtement des mots, l’autre avec le regard noir et le corps contrit par le Mal absolu, Kyle MacLachlan prête ses traits à deux personnages contraires, au jeu sidérant dans les deux cas. Lynch prend donc l’aspect un peu simplet de l’un, dure et frontal de l’autre, et l’applique à son imagerie onirique, surréaliste et subliminale, au travail de montage d’orfèvre. Même la musique d’Angelo Badalamenti ne revient qu’à de rares occasions dans ses thèmes musicaux chéris par les fans, souvent pour le meilleur (la réaction d’outre-tombe de Bobby face à la photo de Laura). Les deux fins, sublimes, autant cathartiques que déceptives et justes, résument au mieux ce que cette saison, véritable chef d’œuvre, parvient à faire. Une redéfinition globale et profonde d’un canevas déjà géant. Le dernier coup de pinceau d’un artiste total, en pleine possession de ses moyens, pour enfin sortir de sa Black Lodge personnelle et artistique, dans laquelle il s’était enfermé, contraint par des concessions qui l'obligeaient à se limiter. Mais tout cela est fini, Lynch peut enfin conclure et signer son œuvre la plus ambitieuse.


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