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Yohan Faure

LES POUPÉES RUSSES (billet d'humeur)

À l’occasion de la sortie de Salade Grecque demain sur Prime Video, suite en série de la saga ciné de Cédric Klapisch, nous avons invité Yohan Faure à écrire sur cette trilogie culte. En résulte des papiers éminemment personnels - mais tout comme le sont ces films finalement. Place désormais au deuxième volet des aventures de Xavier & compagnie : Les Poupées Russes.

Je me souviens que le subwoofer pilonnait tranquillement du grave


Cherbourg 2007. Ma petite salle de montage toute grise dans l’ancien hôpital militaire transformé en école de cinéma. Cette semaine, on reçoit deux réalisateurs, deux pointures. Totalement opposés niveau réalisation, mais ils ont l’air plutôt potes dans la vraie vie. Ça toque à la porte, je suis toujours en train de douter de moi sur un exercice de pub que j’ai réalisé sur la sécurité routière avec des zombies. Le concept est simple : une bande de zombies boivent de l’alcool et rigolent, au moment où ils prennent le volant, ce ne sont plus des zombies mais ils vont le devenir. Je règle un raccord entre deux plans filmés en mini-DV sur Final Cut 7 Pro et donc… et bah dans quelques secondes il va y avoir un événement phénoménal dans ma vie, quelque chose de vraiment fondamental, et pour que je puisse expliquer pourquoi ce truc est fondamental pour moi, le mieux c’est de revenir il y a deux ans, le 15 juin 2005.


On est de retour au cinéma Pathé Grand Var, mais cette fois-ci on est entre potes, mecs et filles. J’ai mon permis depuis un an et c’est enfin la suite de L’Auberge Espagnole, les rumeurs dans le magazine Ciné Live disent que ce sera une trilogie. Je retrouve Xavier, cette fois-ci habillé et avec un tout nouveau Mac portable, le rêve ! Voilà, désormais Xavier écrit, son métier c’est de raconter des histoires. Après avoir vu le générique en mosaïque de sa vie, on découvre notre protagoniste vieilli, à l’aube de ses 30 ans. On a grandi, les situations sont plus compliquées, on trompe alors qu’on aime, on jalouse alors qu’on est le problème. Et pour illustrer ce film, on va parler d’une scène entre Wendy et Xavier. La jeune Anglaise c’est l’amie, la fille qu’on défend quand sa copine la traite de coincée. Mais voilà, maintenant Xavier et Wendy travaillent ensemble entre Londres et Paris. Après l’unification de l’Europe, maintenant c’est la mondialisation. On bosse à l’international, on switch entre l’anglais et le français.

Et Xavier, lui, switch d’une Française à une Espagnole à une mannequin anglaise à juste Wendy l’Anglaise.


Leur relation, hors amitié et hors travail, commence vraiment quand Xavier ressent de la jalousie envers l’Espagnol dont raffole Wendy. En 2005, j’ai 19 ans et je ressens la même chose envers une amie, assise juste à côté de moi dans la salle. C’est la meilleure amie, je ne suis pas censé être jaloux de ses conquêtes, j’ai moi-même une petite amie, je n’ai aucun droit d'être rongé par la jalousie, et pourtant… Quand je vois Xavier, qui ne sait pas comment exprimer ce sentiment, je me dis que moi aussi j’ai du chemin à faire à pouvoir verbaliser mes émotions.

Wendy voit bien que quelque chose ne va pas. Elle veut savoir. Elle pose plusieurs fois la question.

"What’s wrong?"

Et en guise de réponse, Xavier l’embrasse.

"That’s what’s wrong."

Wendy le relance, ils s’embrassent à nouveau. Pas de musique, le montage de Francine Sandberg, d’habitude dynamique, nous laisse ici profiter de ce baiser. On entend leur respiration se mêler au son des arbres derrière eux, un nouveau souffle arrive dans la vie de Xavier. Leur premier baiser, un vrai baiser de cinéma, encore. Dans le silence d’un parc londonien, au croisement de deux routes, où la direction est inversée, complètement à l’envers, un vrai bordel, mais bon, on finit par embrasser sa meilleure amie.

On les retrouve après avoir fait l’amour. Là où on prenait le temps avec Martine de les voir « s’y mettre », ici on n’assiste pas à leur première fois. L’amour, le vrai, c’est privé. Mais l’ex-petit ami violent débarque. Xavier le sort de force de la maison et pour de bon de la vie de Wendy. Il devient un mec, un vrai, viril jusqu’au bout des poils du torse, buvant sa bière après coup.

Ils partent à Saint-Pétersbourg pour le mariage du frère de Wendy. Mais voilà, Xavier est devenu un homme. Il écrit des livres, des scénarios, son ex-copine Martine lui fait des avances qu’il refuse, il traîne dans les soirées lesbiennes branchées avec Isabelle, il prend de la coke, il couche avec une mannequin anglaise, il fait l’amour à son fantasme de sa colocation espagnole, bref il ne se sent plus pisser. Et juste après qu’on lui parle de la rue aux proportions parfaites, Célia la mannequin, jouée par la regrettée Lucy Gordon, l’appelle. Elle veut qu’il vienne la voir à Moscou.


Et là, c’est la merde. Comme le jeune de 19 ans que j’étais, avec deux relations amoureuses en même temps, je vois Xavier mentir à Wendy. C’est le début d’une longue liste de mensonges. Pourquoi Xavier n’a pas dit non à Célia ? Il avait Wendy, la femme de ses rêves, juste là. Pourquoi ? J’en sais rien. Pour se sentir puissant ? Juste pour niquer ? Pour goûter encore à la rue parfaite ? Ou seulement parce qu’il le peut ?

On ne sait pas vraiment. Et je crois que Xavier non plus, sûrement qu’il aime le grave et qu’il a envie de vibrer. Klapisch nous montre des choix compliqués à l’écran, parce qu’il voit les gens, il observe nos comportements, ceux qui ne sont pas cinégéniques, pas formatés, les comportements imparfaits qui n’entrent pas dans la rue parfaite de Saint-Pétersbourg.

En parlant de perfection, la scène de départ dans la gare. Lorsque Wendy, après une avalanche de compliments pour Xavier, lui cloue le bec :

"Your imperfections are great and I love what’s not perfect."

Xavier reste là, muet. Sa voix off revient pour répondre :

"N’importe quel mec normalement constitué aurait couru après elle après avoir entendu ça. Moi j’ai pas bougé. Ou plutôt c’est le train qui a bougé, moi je l’ai laissé faire."

Encore une fois Xavier se dédouane, ce n’est pas sa faute s’il est en vrac, c’est pas sa faute c’est le train. On est à l’âge où on a mille excuses pour nos comportements merdiques.

Ce film, c’est le moment où on se rend compte qu’on a merdé, qu’on est le méchant de l’histoire, enfin de ce chapitre-là. Pourquoi l’amour c’est aussi chiant ? Xavier ne le sait pas encore, parce que cette histoire-ci, il la terminera dans le chapitre suivant : Casse-tête Chinois.

NDLR : Yohan Faure est un réalisateur et scénariste français, qui a notamment signé deux courts-métrages multi-primés en festivals : Orage par Ciel Clair (2018) et The Fall of Men (2015). Le second a d'ailleurs connu un succès fou sur internet, avec plus de 50 millions de vues à ce jour. Il donne aujourd'hui des cours de mise en scène dans une prestigieuse école de cinéma parisienne, tout en continuant de monter des projets de films et séries.

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