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L'AUBERGE ESPAGNOLE (billet d'humeur)

À l’occasion de la sortie de Salade Grecque vendredi sur Prime Video, suite en série de la saga ciné de Cédric Klapisch, nous avons invité Yohan Faure à écrire sur cette trilogie culte. En résulte des papiers éminemment personnels - mais tout comme le sont ces films finalement. Place au premier volet des aventures de Xavier & compagnie : L'Auberge espagnole.

Après tout si, c’est une histoire de décollage.


C’est par cette phrase que se termine le premier film, alors quoi de plus normal de commencer ce papier par ce moment-là vu qu’on va parler d’un vrai bordel, celui dans la tête de Xavier et donc dans celle de votre serviteur.


Pour être honnête c’est la première fois que je me retrouve dans cette posture, plus habitué à être derrière la caméra. Mais à l’occasion de la sortie de Salade Grecque le 14 avril sur Prime Vidéo, Jofrey La Rosa m’a demandé d’écrire pour PETTRI sur la trilogie de Cédric Klapisch. J’ai d’emblée prévenu que ça risquerait d’être emprunt de moments autobiographiques. Il est impossible pour moi de parler de ces films sans parler de l’impact profond qu’ils ont chacun eu sur ma vie et peut-être sur la vôtre si vous avez suivi les aventures de Xav, Isabelle, Martine & Co.


Tout a commencé là, dans une petite salle de montage de l’école de cinéma de Cherbourg en 2007 où je suis en train de galérer à monter un exercice de pub. On toque à la porte, et c’est à ce moment qu’entrent messieurs Jean-Pierre J…

Non, oulah, c’est pas une histoire de salle de montage… comment dire… ouais en fait le début c’est plutôt ça…


Nous sommes le 19 juin 2002, je sais que je vais redoubler ma seconde et je vais au cinéma comme toutes les semaines. On y va en famille : c’est-à-dire ma mère et moi. La salle s’éteint au cinéma Pathé Grand Var de Toulon, le pop-corn salé est bien terminé et la première image du film arrive. Je me retrouve instantanément captivé par un Romain Duris nu devant son ordinateur, un iMac première génération, autant dire la classe à l’époque, en train de bailler, crevé de bosser sur sa création. Faut dire qu’à l’époque, la guitare a fait irruption dans ma vie et je passe mes nuits à composer des morceaux, faire des arrangements et apprendre. D’où la future deuxième seconde. Donc déjà ça, là, ce type à oilp devant son ordi, claqué d’avoir cravaché toute la nuit, c’était moi - ou bien un futur moi.

Évidemment on s’emporte direct dans le personnel, mais on est là pour parler films, alors parlons films. Je vais tenter d’analyser quelques scènes de la trilogie qui pour moi représentent l’essence même de ces films. On est en 2002, il y a un mois on avait eu Irréversible et Star Wars: Épisode II au cinéma. La semaine d’avant, c’était Spider-Man et le lancement, sans le savoir, de la conquête des super-héros au cinéma. Là, notre petit film européen mignon commence par un Xavier qui cherche un type au ministère de l’économie. D’entrée de jeu, Klapisch nous propose une image très éloignée de son film précédent Peut-Être (sorti en 1999 avec Romain Duris et Jean-Paul Belmondo). Dominique Colin, le chef-opérateur, opte pour une image très vidéo, ce qui donne un sentiment de proximité avec les aventures du personnage : on peut être comme lui, puisqu’il est filmé comme nous. Le montage accéléré de Francine Sandberg nous fait déambuler dans ces corridors interminables du ministère et on pousse les potards du montage rapide encore plus haut avec l’inscription à Erasmus car Xavier doit partir en Espagne. La fac de socio, c’est dans 3 ans pour moi et déjà ça m’angoisse.


L’angoisse, c’est Martine qui l’a, la petite amie de Xavier interprétée par une Audrey Tautou magistrale et parfaitement touchante en premier amour cruche. À l’époque aussi je vis mon premier amour, également à distance et même s’il est impossible de concevoir partir vivre à l’étranger, je suis malgré tout comme Xavier, un peu excité d’aller vers l’inconnu. Cette inconnue, c’est cette nouvelle Europe qu’on nous promet. Ça risque d’être un joyeux bordel, mais ça sera le nôtre. Nouvelle monnaie, nouvelles frontières. Nos relations ne seront plus cantonnées à une même ville, même région ou un même pays. Ce film arrive au bon moment : celui du nouveau siècle. Internet débarque et nos vies changent. Le monde devient plus petit. Une relation à distance peut marcher dans ce nouveau monde, c’est ce que je me dis avec ma propre relation. Du moins c’est ce qu’on nous vend, parce que quand Martine débarque à Barcelone —


— la magie n’est plus là. Cet enchainement de scènes où le personnage d’Audrey Tautou vient retrouver Xavier est d’une précision de maître. C’est de notoriété publique que les films comme les plateaux de tournages de Cédric Klapisch sont de joyeux bordels. Il s’inspire du casting et du repérage pour alimenter le scénario. Mais voyant le résultat fini, on ne peut pas s’empêcher de se dire que le type sait ce qu’il fait. Même dans le chaos, il arrive à être d’une justesse qui force le respect.

Un plan, un seul, pour les retrouvailles de Martine et Xavier. Le montage ne nous force pas à ressentir leur mal-être ou leur excitation. On respire au même rythme qu’eux. La caméra bouge, est incertaine, on balbutie. On assiste ici à deux comédiens incroyables qui savent doser ce moment de gêne. Cet instant-là, je l’ai vécu. On ne pense qu’à ça, on a hâte, on en rêve et quand ça arrive, rien ne nous a préparé à le gérer. On ne se saute pas dessus, on est deux êtres inconfortables.

D’abord on avance, on se sourit et quand la caméra passe derrière nous, c’est là qu’on a le baiser. Le vrai, un vrai baiser de cinéma, pour s’éloigner dans le fond. Le son de nos voix se perd dans le mix et le bruit de l’aéroport nous enveloppe parce que l’on vient enfin de se retrouver.

CUT TO: à table, Martine gratte gentiment la main de Xavier pour « hum hum, tu sais quoi » comme dirait la Martine du premier opus. Ce moment aussi on l’a vécu, où nos conventions sociales nous obligent à être poli, à manger avec les colocs, à discuter de la pluie et du beau temps alors qu’on a juste envie de rester dans la chambre à se dévorer, à profiter du bon temps. Pendant que les autres à table se foutent de notre gueule, c’est ça l’Europe.


Et le summum de cet épisode de Martine à Barcelone est quand elle dit « Elle est pas un peu con-con, l’Anglaise là ? ». Martine trouve Wendy (Kelly Reilly) « super coincée » alors qu’elle et Xavier sont en train de gentiment enlever leurs propres vêtements pour faire l’amour, sans passion, sans ferveur, sans rien, comme un vieux couple coincé.

Et enfin Martine enchaîne sur le look de la chambre de Xavier, qu’elle trouve glauque. Touchant du doigt ce moment relou où on décrit une aventure incroyable à quelqu’un mais qu’il ne pourra pas comprendre. Martine et Xavier, ça s’est terminé ici. Elle regarde le même film que lui, mais elle a raté des scènes. Elle ne pourra jamais comprendre l’entièreté du scénario.


Il y a une phrase dans Garden State de Zach Braff qui résume bien cette idée :

"Tu vois ce moment de ta vie où tu réalises que la maison dans laquelle tu as grandi n'est plus vraiment la tienne ? Tout d'un coup, même si tu as un endroit où tu mets tes affaires, ce sentiment de maison a disparu."

C’est ce que vit actuellement Xavier : le souvenir d’une maison, d’un foyer, d’une relation normale est parti et moi je découvrirai ça bientôt. Même le charnel n’est plus là, au final ils ne font pas l’amour et on coupe sur ce plan final des aventures de Martine en vacances.


Un plan fixe, à l’opposé de la caméra portée du début, ce moment figé pour se dire au revoir. C’est même plus qu’un au revoir pour ces deux-là. C’est un adieu à leur jeune couple. Le timing parfait de la chorégraphie où quand Xavier veut la rattraper, elle ne le voit pas et ainsi de suite. Ce plan a forgé mes au revoir à jamais. Je me retourne tout le temps, juste au cas où Martine souhaiterait un dernier baiser.

Ce moment n’est pas sans rappeler les regards dans la cabine de musique entre Céline et Jesse dans Before Sunrise de Richard Linklater, sorti en 1995. D’ailleurs, il y a pour moi beaucoup de similarités entre ces deux trilogies. De quoi rêver à une suite en série télé pour mon couple franco-américain préféré. Mais revenons à Xavier. Il est perturbé dans la scène d’après, parce que l’amour, c’est dur. Isabelle (Cécile de France) confirme. L’amour, c’est compliqué. Elle lui parle d’ailleurs d’un cours de danse où elle a fini par embrasser sa prof. Xavier, avec cette image de deux femmes s’embrassant, semble aller mieux. C’est d’ailleurs juste après qu’il pense aller beaucoup mieux en couchant avec Anne-Sophie (Judith Godrèche). Xavier grandit, les histoires d’amour c’est chiant, le mieux ce sont les histoires de sexe - et il y en a encore plus dans la suite cinq ans plus tard : Les Poupées Russes.


NDLR : Yohan Faure est un réalisateur et scénariste français, qui a notamment signé deux courts-métrages multi-primés en festivals : Orage par Ciel Clair (2018) et The Fall of Men (2015). Le second a d'ailleurs connu un succès fou sur internet, avec plus de 50 millions de vues à ce jour. Il donne aujourd'hui des cours de mise en scène dans une prestigieuse école de cinéma parisienne, tout en continuant de monter des projets de films et séries.

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