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TIRAILLEURS (critique)

Plus volontiers présent ces derniers temps sur les plateformes que dans les salles obscures, Omar Sy a retrouvé en janvier les sommets du box-office hexagonal avec sa prestation dans Tirailleurs. Retour sur ce premier succès public de l'année, réalisé par Mathieu Vadepied.

L'info n'est pas passée inaperçue : Tirailleurs a été le premier film de 2023 à passer le cap symbolique du million d'entrées en France le week-end dernier. Même distribué par Gaumont (ça aide), ce n'était pas forcément gagné pour un film sur la Première Guerre Mondiale, en grande partie parlé en peul et wolof et sous-titré, et reparti de la sélection "Un Certain Regard" de Cannes 2022 avec une discrétion de mauvais augure. On ne va pas se mentir : l'effet Omar Sy a bien fait son job aussi.

Le film retrace le parcours en 1917 d'un homme sénégalais, parti à la guerre pour protéger son fils, mobilisé de force. Mais ce dernier, en quête de reconnaissance plus que de gloire, commence à prendre goût à la camaraderie du front et aux responsabilités qu'on lui confie, au point de ne plus vouloir quitter les tranchées...


(Je précise dès maintenant que l'article dévoile certaines facettes du scénario que l'on peut considérer comme des spoilers)

La première chose qui marque dans ce film, c'est que malgré son titre et la promo réalisée sur le sujet en amont de sa sortie, le fait que les personnages soient des tirailleurs sénégalais ne semble en vérité d'aucune importance dans le déroulé de l'histoire. Ils pourraient être des pêcheurs d'Islande, des paysans du Pays basque ou du fin fond de la Creuse, le scénario n'en serait aucunement changé. L'histoire est juste celle d'un père voulant protéger son fils, et prêt à tout pour les sortir de la guerre ; et de ce fils, adolescent qui se cherche, divisé entre son affection pour son père, et la tentation d'une nouvelle vie "adulte", qui s'offre à lui sous la houlette d'un jeune lieutenant qui a la "bonté" de voir en lui plus qu'un simple larbin.

En dehors de la scène de réquisition violente au Sénégal par l'armée française en début de film, ces problématiques de racisme, de sentiment de prendre part à une guerre en Europe qui ne les concerne pas en tant qu'africains, ou des problèmes de la colonisation sont soigneusement glissées sous le tapis, pour mettre l'accent sur le double côté survival/coming of age et, finalement, la naissance de deux héros.

De mon point de vue, l'idée de prendre des acteurs issus d'une minorité, mais de leur confier des rôles universels, dans une histoire qui ne les rattache justement pas à ce seul rôle de représentants d'une minorité, n'est pas inintéressante dans l'absolu. C'est quelque chose qui me semble rare dans le cinéma français, et quelque part finalement assez progressiste. Oui, mais...


Le faire précisément dans ce film, pour le coup, paraît assez maladroit. On nous offre là une vision bien idyllique (tirailleurs sénégalais dînant d'égal à égal avec les jeunes lieutenants bourgeois blancs ; vie quotidienne dans les tranchées apparemment assez agréable pour que le jeune héros y prenne goût au point de vouloir y rester...) de ce qui a peut-être été la pire de toutes les guerres, qui me semble s'affranchir pas mal de la véracité historique, et permet d'étouffer confortablement les problématiques raciales et coloniales.

De plus, j'ai trouvé un peu gênant le message politique qui se dégage en sous-texte sur la question de l'intégration des "étrangers". Le personnage du fils a en effet besoin de vouloir être un héros, prêt à sacrifier sa vie pour l'état colonisateur qui l'a violemment réquisitionné, pour avoir le droit d'être intégré comme un égal auprès des Français blancs. Il se différencie ainsi des autres tirailleurs sénégalais, qui n'ont pas son esprit de dévouement total, et restent donc finalement à leur place de simples "étrangers dans l'armée". Il est également mis en opposition avec son père, qui ne cherche (pour le sauver) qu'à fuir l'abomination de cette guerre qui ne les concerne nullement, et est donc vu comme un lâche. Si le film adopte le point de vue du père et que ses motivations ne sont pas traitées négativement, il n'en reste pas moins qu'à la fin (spoiler alert !), son personnage va quand même devoir se "racheter" en commettant l'acte d'héroïsme ultime pour sauver son fils, et incidemment remporter la bataille. Et ce n'est qu'ainsi qu'il accède finalement, et malgré lui, à ce qui semble être considéré comme la plus haute place du panthéon des héros de la France, dans une dernière scène qui se veut émouvante mais s'avère malheureusement clichée au point d'en être risible. Cette nécessité de se démarquer par son dévouement, sa bravoure et son patriotisme pour pouvoir devenir un "bon Français", nous ramène assez cruellement au traitement des questions d'acceptation des étrangers de notre pays en 2023... et je trouve le point de vue livré par le film assez gênant.


Toutes ces considérations mises à part, l'un des défauts narratifs majeurs du film réside dans sa scène d'ouverture : en 1920, des soldats creusent sur les lieux de la Guerre à Verdun et tombent sur un squelette. Mais à qui donc appartenait-il ? Pour quiconque a déjà vu plus de deux films dans sa vie, la réponse est évidente avant même que la question soit posée, et le film tue donc d'emblée toute possibilité de suspense quant au sort des personnages (on trouve un seul corps, pas deux... pas difficile de deviner lequel). Un peu dommage, alors qu'il aurait suffi de couper ces trois minutes et laisser le film commencer au début réel de l'histoire et la laisser se dérouler naturellement pour préserver le mystère, et donc l'attention du spectateur. Un tic de langage scénaristique très fréquent dans le cinéma français, qu'il serait vraiment temps de bannir. La mise en scène, sans offrir de moment de cinéma mémorable, est néanmoins assez appliquée et claire. De la photographie se dégage un peu une esthétique de téléfilm de luxe : l'effet France TV coproducteur ?


À noter, la très belle musique d'Alexandre Desplat, toute en délicatesse et en émotions feutrées. Le compositeur reste fidèle à son style et ses orchestrations, mais sans tomber dans le simple recyclage de ses œuvres précédentes. C'est toujours un plaisir de découvrir une de ses compositions en salle, même si j'ai trouvé que le mixage du film mettait parfois la musique trop en avant par rapport aux effets et dialogues. Peut-être l'effet Gaumont, cette fois, le même problème s'étant posé l'an dernier sur Couleurs de l'Incendie de Clovis Cornillac, qui pour le coup était par moments carrément inaudible.


Tirailleurs est donc un film de guerre universel, globalement de bonne facture pour qui ne s'attache pas trop à sa valeur historique, mais dont la dimension politique peut laisser assez sceptique.

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