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Loup Coudray

CARAVAGE (critique)

Deux ans après le magnifique Michel-Ange (Il Peccato) d'Andreï Kontchalovski, un nouveau biopic d'un grand artiste de la Renaissance nous est proposé par l'italien Michele Placido : Caravage. Malheureusement, pas avec la même réussite…

Le film commence en 1609 : Caravage (interprété par Riccardo Scamarcio), peintre célèbre mais déjà à scandale pour sa vie et son art dissolus, s'est exilé de Rome, fuyant une condamnation à mort pour avoir tué un homme en duel cinq ans plus tôt. Il a demandé grâce auprès du Pape, mais ce dernier ne parvient pas à trancher entre son art (qu'il admire, bien qu'il ne respecte pas les préceptes de l'Église en la matière) et l'artiste, ce grand débauché... Alors Paul V, faut-il séparer l'homme de l'artiste ? Pour en avoir le cœur net, il envoie un de ses enquêteurs secrets, "L'Ombre" (déjà, rien que le nom... et en plus, il est interprété par Louis Garrel -j'aime pas Louis Garrel), interroger toutes les personnes qui ont côtoyé Caravage de près, et leur faire raconter les moments les moins recommandables de sa vie et sa carrière, pour tenter de le cerner et décider s'il doit être gracié.


Bref, c'est un peu la trame narrative de Citizen Kane, avec un enquêteur plus méchant, et appliquée à un artiste de la Renaissance. Il fallait oser, mais pourquoi pas, avec des scénaristes qui assurent derrière... sauf que ce n'est pas trop le cas ici.

L'Ombre, personnage voulu sombre et mystique (mais que l'interprétation catastrophique de Garrel rend surtout risible), va rencontrer beaucoup de gens... beaucoup trop, en fait, et le film s'enferme assez vite dans une ronde interminable car redondante dans sa façon de raconter l'histoire : L'Ombre débarque chez une personne, l'interroge, la personne ne veut rien dire, L'Ombre la torture/menace/interroge avec persistance, la personne finit par raconter et on est projeté dans son souvenir, puis on en ressort, l'Ombre est content et part chez quelqu'un d'autre... et retour au point de départ ! Une narration chronologique plus classique (et sans doute moins artificielle) de la vie du peintre nous aurait épargné ces lourdeurs et, par là même, facilement vingt minutes de notre vie. Et Louis Garrel.


Un autre grand problème du film est qu'il parle finalement assez peu d'art. Si L'Ombre est censé juger de l'œuvre autant que de la personne de Caravage, les souvenirs racontés s'appesantissent en réalité bien plus volontiers sur le côté dépravé de sa vie que sur ses talents de peintre. Les scènes de "reconstitution" des créations de tableaux semblent surtout servir de prétextes aux scènes de sexe avec les modèles (à peu près une tous les quarts d'heure, parfois plus longue que celles de peinture !) qui tendent à s'ensuivre. Michele Placido multiplie également les scènes d'orgie, qu'il dépeint avec une fascination évidente, et les fait volontiers durer sans trop se préoccuper de leur nécessité scénaristique. Fait "amusant" (enfin...) : tous les personnages féminins qui apparaissent dans l'histoire sont des prostituées... à l'exception de la signora Colonna, interprétée par Isabelle Huppert, noble protectrice de Caravage tout au long de sa vie -mais, d'après le film, juste parce qu'elle a envie de se le taper (spoiler alert : elle y parvient, et ce n'est pas forcément quelque chose qu'on avait envie de voir). Tout cela donne au film un fort relent de beauferie, plus digne d'un téléfilm Mediaset des années 1990 que d'un film de cinéma en 2022...

Je ne m'étendrai pas sur la véracité historique des faits représentés, n'étant guère spécialiste de la question, mais une rapide recherche Wikipedia à la sortie du film m'a laissé à penser qu'une bonne partie de ce qui se passe à l'écran n'est que pure élucubration fictive, Placido semblant être aussi spécialiste en histoire de l'art que moi en physique quantique et métaphores appliquées.

Un autre point qui prend à la gorge dès les premières minutes du film : tous les acteurs jouent étonnamment mal. Dans le rôle-titre, Riccardo Scamarcio en fait des caisses mais ne semble pas capable de la moindre finesse -il est en cela au moins raccord avec le film dans sa globalité. La présence totalement incompréhensible de Garrel et Huppert (que j'imagine imposés par les Labadie dans le cadre de cette coproduction franco-italienne), dans le rôle de deux personnages censément italiens, porte un préjudice supplémentaire au film, car il est évident qu'ils jouent en français, et que leurs voix italiennes sont très mal post-synchronisées. De plus, pour le rôle de L'Ombre, personnage obscur avec de forts accès de violence, il aurait fallu un acteur bad boy, incernable et imprévisible, une sorte d'équivalent européen d'un Adam Driver ; le pauvre Louis Garrel, avec sa tête de premier de la classe d'hypokhâgne, n'est absolument pas crédible, et ridiculise malgré lui autant le personnage que lui-même. Les autres seconds rôles (dont une quantité non négligeable se trouve être des membres de la famille du réalisateur), masculins comme féminins, ne brillent guère plus, certes peu aidés par des scènes et dialogues assez clichés.


Formellement, le film bénéficie d'une photographie plutôt soignée par Michele D'Attanasio (directeur photo de Jeeg Robot, Freaks Out, Tre Piani et la série Gomorra, pour ne citer qu'eux), bien que le recours assez automatique à des plans débullés et des effets d'optique déformants gratuits dans de banales scènes de dialogues devienne un peu lassant à la longue. Les décors et costumes semblent bien faits (même si là aussi, je ne saurais juger de leur véracité historique).

En revanche, au niveau montage, c'est vraiment la cata. Nombreuses sautes dues à des plans sur plans d'échelles trop proches, calage de plans très larges totalement inutiles dans des scènes rapprochées (pour masquer les post-synchronisations ratées, ou de mauvaises performances d'acteurs ?)... Tout cela m'a vraiment fait sortir de certaines scènes, et globalement rendu le film désagréable à regarder -sans parler du gâchis du travail fait à l'image.


Vous l'aurez compris : je ne recommande guère ce Caravage, film pénible et lourdingue d'un réalisateur prétentieux, aux multiples maladresses scénaristiques et cinématographiques. Si vous aimez les biopics d'artistes italiens, vous trouverez sans doute plus de bonheur à vous replonger dans Volevo Nascondermi de Giorgio Diritti (sorti en toute discrétion en France à l'été 2021) ou Leopardi - Il Giovane favoloso de Mario Martone (2015) !

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