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TÁR (critique)

En salles depuis aujourd'hui, nommé pour plusieurs récompenses dont au moins un Golden Globe remporté pour son interprète Cate Blanchett, le film Tár de Todd Field fait sensation. Une attention méritée ou un nouveau pétard mouillé ? Réponse de Jofrey La Rosa pour PETTRI.

Qu’on soit ou non adepte de musique orchestrale, Tár est une secousse à tous les niveaux. Y allant porté par la hype de la saison des Awards, je suis resté bouche-bée, comme cloué à mon siège devant le spectacle à l’œuvre dans cette proposition singulière de cinéma. Mais revenons aux bases. Lydia Tár (Cate Blanchett) est une star de la musique classique contemporaine, une cheffe d’orchestre brillante et respectée. Elle mène le philharmonique de Berlin d’une main de maître, mariée à son premier violon, Sharon (Nina Hoss), avec laquelle elle a une fille : Petra. Au quotidien, elle est assistée de Francesca (Noémie Merlant), qui se donne corps et âme pour satisfaire cette workaholic qui doit bientôt enregistrer la cinquième symphonie de Mahler, sortir un livre, composer une nouvelle pièce musicale, tout en donnant des cours à Juillard et gérer sa vie de famille. Si la composition de Blanchett est bluffante, c’est un cinéaste que je découvre : Todd Field avait signé Little Children en 2006 et In The Bedroom en 2001, en plus d’avoir eu une respectable carrière en tant qu’acteur auparavant. Ici, sa maestria folle impose un style tout bonnement sidérant formellement, enchainant les plans impossibles, dans une tension qui monte crescendo, avec un travail sonore remarquable.


Aidé par son chef opérateur Florian Hoffmeister (The Terror, Great Expectations), il compose des cadres superbement cliniques, graphiquement très beaux certes, mais surtout efficaces et significatifs. Leur froideur, associée au jeu habité de Blanchett, impressionnante, permet de créer une tension latente, puis de plus en plus prégnante durant toute la durée du métrage, pourtant longue (2h38). Parce que le film ne parle pas juste d’une crise personnelle dans l’élite d’une certaine intelligentsia hautaine. D’abord, Lydia est lesbienne. Ensuite, on y parle de non-binarité et des propos tendancieux d’auteurs-phares qu’on joue encore aujourd’hui (Bach, Varèse), tout en apportant un regard nouveau sur le mouvement me too, au travers des tares (vous l’avez?) de la protagoniste. Surtout, il apporte un regard sur l’homoparentalité et une nuance de chaque instant sur tous ces sujets, que Field aborde avec un tact et un contrôle rares dans ce genre de production ambitieuse mais encore marginale.

Vous l’aurez compris (ou pas), j’essaye tant bien que mal de taire le fond du sujet du film. N’allez pas plus loin si vous ne voulez pas déflorer ce pur chef-d’œuvre (le mot est lancé).

Tár est d’abord un pur portrait, d’une femme forte mais brisée par un métier, une fonction, une passion, qui l’enferme plus qu’il ne la libère. C’est aussi un commentaire assez inédit sur le mouvement me too et ses dérives, notamment au travers de l’homosexualité féminine et des rapports toxiques de domination. C’est également un thriller tendu sur une menace qui plane sur cette femme mure mais belle, froide et séductrice. En outre, c’est évidemment un film qui explore un milieu, en l'occurrence celui de la musique classique, et plus étrangement, c’est enfin un film qui tend vers l’horreur via des séquences glaçantes, parfois oniriques. Et toutefois, Tár reste un film homogène et d’une fluidité folle, porté par son actrice principale certes, mais aussi par des seconds rôles de qualité : Noémie Merlant, géniale, Nina Hoss, touchante, et Sophie Kauer, parfaite. Tout cela au son de Mahler, Elgar et de la compositrice Hildur Guðnadóttir, subtile et brillante, comme souvent (Joker, Chernobyl). Je ne tarirai donc pas d’éloges vis-à-vis de la densité formelle et thématique de ce film puissant, aussi impactant que surprenant. Je finirai simplement par reprendre les mots du grand Martin Scorsese :

“Depuis si longtemps maintenant, nous sommes si nombreux à voir où les films vont... Je veux dire, ils nous prennent par la main et, même si c'est parfois dérangeant, nous réconfortent en cours de route en nous laissant penser que tout ira bien à la fin. C'est insidieux, car on peut s'y abandonner et finalement s'y habituer, ce qui conduit ceux d'entre nous qui ont connu le cinéma dans le passé - bien plus que cela - à désespérer de l'avenir de cette forme d'art, en particulier pour les jeunes générations. Les nuages ​​se sont levés quand j'ai vu le film de Todd, Tár. Ce que vous avez fait, Todd, c'est que la structure même du film que vous avez créé ne le permet pas. Tous les aspects du cinéma et du film que vous avez utilisés en témoignent. Le déplacement des lieux par exemple, le déplacement des lieux seuls font ce que le cinéma fait de mieux, c'est-à-dire réduire l'espace et le temps à ce qu'ils sont, ce qui n'est rien... Tout cela est transmis à travers une mise en scène magistrale, avec des angles et des cadres contrôlés, précis, dangereux et précipités, géométriquement ciselés, dans une merveilleuse composition en 2:35. Les limites du cadre lui-même et de longues prises mesurées reflètent l'architecture brutale de son âme - l'âme de Tár.”

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