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THE LOST KING (critique)

Après The Queen et Confident Royal, le réalisateur britannique Stephen Frears revient, du haut de ses 81 ans, nous parler de royauté avec The Lost King, récit -trop- romancé de la quête réelle de la dépouille du roi Richard III au début des années 2010.

En tant que spectateur, j'ai toujours trouvé assez délicat d'appréhender un film tiré de faits réels, et en particulier de juger de ses points négatifs. Quand quelque chose ne nous plaît pas dans le film, est-ce parce qu'on a un problème avec l'histoire qu'il raconte ? Ou est-ce à cause du film en lui-même, qui la raconte mal, ou l'a mal adaptée ? Si on n'y croit pas, est-ce parce qu'un excès de romance tue la crédibilité de l'adaptation, ou parce que l'histoire elle-même était "trop extraordinaire" ? Car au final, qu'est-on en droit de reprocher à des faits réels, s'ils sont vraiment réels ? Ces questionnements ont ressurgi en moi tout au long du visionnage de The Lost King, qui raconte l'histoire "vraie" de Philippa Langley, citoyenne britannique ayant contribué à faire découvrir la tombe du roi Richard III, perdue depuis des siècles. Mais se peut-il que l'histoire se soit passée comme le scénario la raconte ?


Après un générique très inspiré de North by Northwest (tant graphiquement que musicalement), plutôt réussi en soi bien que sans grand rapport avec le reste du film, on nous présente donc Philippa, employée d'une société de publicité qu'elle n'a guère de raison d'apprécier, souffrant du Syndrome de Fatigue Chronique ("it's a real disease", insiste-t-elle à juste titre face aux regards dubitatifs), mère de deux enfants et dans une relation assez trouble avec son ex-mari, et très nettement mal dans sa peau. Devant une représentation de la pièce Richard III de Shakespeare, elle s'identifie tellement au mal-aimé personnage-titre (que le Barde montre repoussant et accessoirement sanguinaire) qu'elle est prise d'une idée fixe : laver l'honneur de ce roi mort cinq siècles plus tôt, et prouver au monde que Richard III était un homme bon et beau, dont l'image aurait été dépréciée par les relectures de l'histoire initiées par ses ennemis. Rejoignant le fan-club du défunt souverain, elle commence à mener l'enquête pour retrouver sa sépulture perdue, aidée par des visions de Richard III himself avec lequel elle dialogue fort commodément.

Alors au début, on se dit : pourquoi pas ? Après tout, le ton est d'abord assez léger, le film semble receler une galerie de personnages secondaires pittoresques (la glaciale libraire gothique, la brochette de geeks excentriques du fan-club, le spécialiste ayant adopté la coiffure de Richard III…) ; l'aspect fantaisiste nous autorise à gober l'intuition farfelue que tire Philippa d'une simple représentation théâtrale. En voulant réhabiliter un ancien souverain qu'elle estime injustement rabaissé, c'est bien sûr son sentiment d'être elle-même incomprise qu'elle cherche à révéler au monde : le parallèle qu'elle tire entre Richard III et elle semble pouvoir fonctionner. Son enthousiasme, qui vire à l'obsession, est enivrant, et le sentiment d'émulation communicatif : va-t-on vraiment découvrir avec elle cette tombe qu'aucun historien n'avait pu situer jusqu'alors ?!

Malheureusement, plus le film avance et veut devenir sérieux, plus sa crédibilité chute, jusqu'aux abysses. La méthode d'enquête que le film accorde à Philippa (non, ça ne peut pas s'être réellement passé comme ça !) la déconnecte du spectateur, et finit par provoquer l'embarras. Déjà, il y a ces visions d'un Richard III qui la guide d'outre-tombe -mais bien sûr sans trop en révéler non plus pour faire durer le film-, processus cinématographique éculé et même assez ringard. Mais surtout, après avoir feuilleté des bouquins pendant trente secondes au début, Philippa met de côté toute rigueur scientifique ou intellectuelle, pour ne plus mener son enquête qu'à l'aide d'intuitions mystiques et de ressentis quasi-magiques. À la fin, on ne parle pas d'une historienne mais bien d'une personne folle à lier qui croit parler à des rois morts, et imagine des faits supposément réels en regardant une pièce de théâtre d'il y a quatre cents ans ! Et quand ses théories assez fantasques et dénuées d'arguments tangibles sont repoussées par les "autorités" académiques (ici exclusivement masculines) qui lui demandent des preuves, le film feint de prétexter qu'elle est simplement victime de machisme saupoudré de validisme, probablement dans l'idée d'amener un point de vue féministe… sauf que c'est plutôt le contraire qui se passe. Car prétendre qu'une femme ne peut répondre à la science et à la rigueur intellectuelle (très gratuitement incarnées uniquement par des hommes dans le film) que par l'intuition et la sensibilité, plutôt que par plus de science et de rigueur intellectuelle, c'est une idée qui paraît bien archaïquement patriarcale. Et plus généralement, cette façon de donner systématiquement raison aux instincts d'une néophyte face au savoir académique et scientifique millénaire, donne au scénario un cachet complotiste de bas étage un peu dur à avaler. Personnellement, cela m'a coupé toute envie d'être d'accord avec ce film, dont il est dur de déterminer s'il est juste maladroit ou réellement mal intentionné. Lorsqu'à la fin, Philippa se fait voler le mérite de sa découverte par l'Université de Leicester, qui l'avait rabrouée tout du long, il est déjà trop tard : on n'arrive plus vraiment à partager son écœurement face à l'injustice qu'elle subit. On n'y croit déjà plus depuis longtemps.


C'est d'autant plus dommage que The Lost King renferme des qualités cinématographiques indéniables : acteurs de talent (notamment Sally Hawkins, comme toujours), esthétique un peu télévisuelle mais propre, et surtout une musique absolument admirable d'Alexandre Desplat -encore lui- qui signe là de mon point de vue sa partition la plus marquante depuis Adults in the Room. Le film contient également de sympathiques morceaux d'humour so british, notamment par le biais du personnage joué par Steve Coogan, également co-scénariste (on n'est jamais mieux servi que par soi-même), et même quelques scènes vraiment efficacement mises en scène. Impossible de ne pas avoir de frissons devant LA scène mystique du parking !


Alors voilà, on y revient. Puisque Philippa Langley a réellement permis de trouver et d'exhumer Richard III (bien qu'a priori de façon beaucoup moins rapide et isolée que ce qui est montré ici), puisqu'elle a vraisemblablement accepté d'être présentée ainsi dans le film, celui-ci étant adapté de son propre livre, que doit-on penser de l'histoire rocambolesque, peu crédible et idéologiquement rebutante qui nous est présentée dans The Lost King ? Les faits réels ne peuvent pas s'être vraiment déroulés comme ce que l'on voit là… si ? Et si non, pourquoi les avoir pollués ainsi ?



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