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SUR ORDRE DE DIEU (critique)

Dernière mise à jour : 4 sept. 2022

Sortie sur Disney+ le mois dernier, la série Sur ordre de Dieu (Under the banner of heaven) est une plongée glaçante dans les dérives fondamentalistes mormones aux États-Unis dans les années 1980, d'après des faits réels. Pauline Lecocq vous explique en quoi c’est une réussite pour PETTRI.

Avant la série, il y a un livre du même nom. Celui écrit par le grand journaliste Jon Krakauer, que l’on connaît pour Into the wild, adapté par Sean Penn au cinéma. Il revient sur un double assassinat atroce (une femme et son bébé) au sein de la communauté mormone au début des années 1980 dans l’Utah. Ensuite, il y a un scénariste de talent, Dustin Lance Black, oscarisé pour le film Harvey Milk (de Gus Van Sant, avec Sean Penn aussi), qui adapte ce livre. Il a lui-même été élevé dans une famille de confession mormone qu’il a quitté jeune. Puis, il y a le réalisateur de Comancheria et Outlaw King, David Mackenzie, qui vient diriger de grands acteurs et grandes actrices dans des partitions complexes avec une mise en scène discrète, toujours proches de ses personnages, qui prend le temps de s’attarder sur cette famille et cette communauté mormones, mais qui laisse place à l’écriture, et qui sait être à la bonne distance quant à la représentation d’actes violents.

Après deux épisodes qui imposent un rythme lent et une véritable introspection dans la communauté mormone, avec ses rites et traditions (presque documentaire dans sa représentation), tout en revenant en parallèle sur la création de cette religion, on est sur le point de décrocher, mais on décide de pousser un peu, pour voir où ça va aller, et en finissant la série, on s’en trouve profondément marqué.

Malgré sa longueur (les sept épisodes font tous plus d’une heure), et son rythme lent qui peut dérouter voire rebuter, sa narration est étonnante avec ses deux récits, l’un principal (l’enquête en 1984, en plus des flashbacks sur les années précédentes), et l’autre secondaire qui vient en parallèle retracer les événements majeurs de l’Église mormone et les éléments de radicalisation. Bien que la série soit longue et dense, l’enquête se déroule en réalité en seulement quelques jours. Quelques jours qui vont faire vaciller les convictions de notre enquêteur principal.

En effet, le personnage de Jeb Pyre est un policier lui-même de confession mormone, incarné par le toujours saisissant Andrew Garfield. Plus il enquête sur cette famille et sur sa communauté, et plus la série revient sur l’histoire des Mormons, plus il a des doutes sur sa foi. Notons la très belle relation avec son coéquipier, l’excellent Gil Birmingham, qui se développe petit à petit, et dont le personnage amène quelques touches d’humour bien placées avec son côté pince-sans-rire.

L’autre personnage principal est celui de Brenda, la jeune femme retrouvée assassinée. Elle est interprétée par Daisy Edgar-Jones, la révélation de la série Normal People, qu’on a vu également cette année dans les films Fresh et Là où chantent les écrevisses. On suit son arrivée dans l’Utah, ses études, son introduction dans la famille Lafferty, son travail de journaliste, son mariage etc. Magnifiquement écrit et interprété, on a rarement vu une œuvre de fiction autant s’attarder sur la victime d’un meurtre, et en faire une véritable héroïne, déterminée et inspirante.

Face à elle, la famille Lafferty est composée de cinq frères, tous remarquablement campés, que ce soit Sam Worthington (qu’on n’avait pas vu dans un rôle de premier plan depuis un moment et dont le visage nous avait manqué), Wyatt Russell, Billy Howle, Seth Numrich (Ben dans la série Turn: Washington Spies) et Rory Culkin. On notera également les autres épouses, Adelaide Clemens, Chloe Pirrie et la formidable Denise Gough, qui joue l’une des scènes les plus dingues qu’on ait vu dans le dernier épisode.

La série aborde, par l’enquête sur le double meurtre, la question des traditions et de la radicalisation dans une société de plus en plus moderne. En effet, n’ayant pas de réponses au monde qui les entoure, certains personnages préfèrent se tourner vers le fondamentalisme, en revenant à d’anciennes lois notamment, en particulier celle de la polygamie, qui devient une obsession pour certains. Les dérives traditionnalistes ne sont pas seulement liées à l’Eglise mormone, mais peuvent aussi nous rappeler d’autres religions et événements, d’où la finesse de cette série à toucher à quelque chose de plus universel sur les religions, tout en s’axant à dénoncer les excès, les dérives et les anciennes lois mormones (la polygamie en premier lieu).

Cette série met donc remarquablement en avant la condition des femmes au sein de cette religion, et se révèle au fur et à mesure, et de façon surprenante, une œuvre féministe, en dénonçant la place des femmes dans un carcan patriarcal qui ne s’ouvre pas au monde qui avance. Evidemment la série ne met pas en opposition hommes et femmes, cependant elle pointe du doigt de façon assez juste les questionnements masculins sur la condition féminine et la place que les femmes doivent tenir, ou plutôt sont censées tenir au sein d’un foyer ou d’une communauté. Et c’est passionnant et effrayant à la fois. Pourtant, elle est peu nommée aux Emmy Awards (les Oscars des séries) avec seulement une nomination pour Andrew Garfield, ce que nous trouvons un peu dommage.

On est donc loin de The Book of Mormon, l’hilarante comédie musicale des créateurs de South Park (qu’on vous recommande soit dit en passant) ! Sur ordre de Dieu (Under the banner of heaven) impose son rythme lent et se révèle une œuvre d’une grande force sur le radicalisme religieux et la condition des femmes. Nous ne regrettons pas d’avoir persévéré à la continuer et la finir car in fine elle nous laisse avec un sentiment d’avoir vu une série assez inoubliable, d’une grande puissance.



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