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SCORN (critique)

Dernière mise à jour : 17 nov. 2022

8 longues années se sont écoulées entre l’annonce de Scorn, en 2014, et sa sortie. Un temps de développement extrêmement long qu’on suppose chahuté par la pandémie de coco mais aussi, sans doute, par des questions de design, le jeu souffrant à mon sens d’un manque cruel de savoir-faire. C’est simple : j’ai absolument détesté y jouer. Et pourtant, son ambiance et sa direction artistique tout en zizis métalliques me hantent encore.

C’était pas ma Giger

Bon, je force le trait. Il n’y a pas tant de zizis que ça, dans Scorn, malgré l’inspiration évidente et assumée des travaux de H.R. Giger et de Zdzisław Beksiński, tous deux adeptes de mises en scène étranges et dérangeantes (souvent sexuelles) se déroulant dans des univers où l’organique se mêle inextricablement à la mécanique. Je ne connaissais pas du tout ces artistes, si ce n’est de nom pour le premier et pour en avoir aperçu quelques œuvres illustrant les thématiques phares du YouTubeur Alt236, qui lui voue un culte. Ce ne sont pas forcément des univers qui m’attirent, j’ai pas un intérêt ni une appétence particulière pour eux, et j’ai jamais cherché à combler mes lacunes à leurs égards. Mais je dois dire que leur mythologie, leur créativité débordante, l’espèce de dégoût mâtiné d’admiration qu’ils me procurent ont quelque chose de fascinant, un je-ne-sais-quoi fantasmagorique qui réveille en moi les émotions contradictoires que j’ai pu éprouver, plus jeune, en lisant des œuvres fantastiques.

C’est donc assez frais que j’ai plongé dans cet univers, excité quand même à l’idée de découvrir un monde original (dans le sens qui ne m’est pas familier, mais aussi parce que rare dans le paysage vidéoludique) à même d’éveiller ma curiosité et mon esprit créatif. Bah bravo le veau mécanique, c’est foutrement réussi. Que ce soient les ambiances, les lumières, les décors, les couleurs, l’architecture : la direction artistique est incroyablement prenante, écrasante, et enchaîne les décrochements de mâchoire. On se sent petit.e, faible, mais sans cesse émerveillé.e. Pas de doute : on a clairement affaire à un studio d’artistes picturaux. Et si jeu est dénué de scénario à proprement parler, préférant nous perdre dans des zones immenses sans jamais nous expliquer le pourquoi du comment, ni même distiller des indices sur l’essence de ce monde, on finit par prendre un petit plaisir à y projeter nos propres fantasmes, nos explications bancales mais potables, créant notre petit abécédaire personnel sur le fonctionnement de ce monde inhospitalier. C’est un choix radical de design (sans doute par défaut), mais ça fonctionne, surtout sur le dernier tiers du jeu qui déploie pour moi les plus beaux environnements, et le plus de détails architecturaux à même de laisser libre court à notre imagination. Ce moment où, dans la pénombre, la voix des artistes semble enfin s’aligner avec notre oreille, nos propres projections. Enfin.

Scorn mou aïe

Parce que bordel c’était compliqué, et loin, très loin d’être gagné. J’ai failli lâcher la manette de nombreuses fois, pestant comme jaja devant la lourdeur du jeu et de ses choix de design plus que discutables (qui sont peut-être, encore une fois, des choix par défaut tant le manque d’expérience et de savoir-faire se font sentir). Par où commencer… La partie action complètement ratée ? L’absence de gestion de rythme ? La DA si belle mais creuse tant les premiers environnements ne racontent pas grand-chose ? La déception de se trouver devant un titre qui n’est pas le jeu d’horreur attendu ? La charge est lourde, votre Honneur, j’ai là des témoins et des preuves accablantes qui concourent tous au même point : le jeu de l’accusé est nul. Horrible. Le seul point en accord avec le thème « Halloween les fantômes on a peur toussa », c’est ça : c’est un jeu vidéo horrible.


Voyons plutôt les premiers instants du jeu. Projeté dans un environnement labyrinthique, j’actionne des machines qui ne fonctionnent pas. Une bonne dizaine de bras mécaniques, des scies, des rails, qui ne font strictement rien, jusqu’à trouver l’élément, au bout d’une heure de recherche, qui relie le tout. J’adore. J’ai compris. Je continue. Non, j’ai rien compris de ce qu’il se passe, je suis seul. J’enchaîne des énigmes chiantes comme la mort (Halloween, toussa), par paquet de trois évidemment, pour que ce soit bien répétitif, pour rien. Mais littéralement : j’ai dû acheminer un énorme récipient phallique et translucide dans un amas glauque et putride de chair, trois fois. Les deux premières, j’ai ouvert deux volets me donnant accès à un balcon, quatre mètres carrés vue sur le pont Alexandre-III (en bad trip par contre). La troisième a fait exploser Oncle fétide et je me suis réveillé complètement ailleurs, avec un cordon ombilical dans le bide, sans savoir pourquoi je me suis échiné à faire tout ça (excepté : parce que le jeu l’a décidé). Aucun sens, ni d’un point de vue ludique, ni d’un point de vue sémantique. Cette impression de réaliser des actions vides de sens dans un environnement qui n’en a pas plus, sans réel but autre que : il faut avancer dans le jeu. Oui, mais pour aller où ? On s’en fout. Et voilà, rebelote. Petite promenade à l’extérieur au calme, dans un level design pataud et linéaire qui ne sait pas captiver ni orienter le regard (même si l’ambiance est chouette, j’ai plus eu une impression de fouillis qu’autre chose), puis on enchaîne joyeusement, pendant plusieurs heures, d’autres énigmes horripilantes jusqu’à plus soif, dans des environnements peu évocateurs. C’est ça, le jeu. C’est ça le jeu dans ce qu’il aurait pu donner de meilleur s’il avait assumé d’être un walking simulator, soit un ludiciel dans lequel la principale interaction est de… marcher, et de se laisser happer par la narration environnementale et quelques énigmes ici et là. Pour schématiser. Et oui, c’est très, très cool les walking simulators.

Mais non, ici, il y a des armes. Et des ennemis (4 ou 5 au total). La première arme qu’on trouve, a le design d’un pistolet. Elle se tient et s’active comme un pistolet. Elle a tout d’un pistolet. Mais c’est un piston. Enfin, un pistolet qui tire un piston (qu’on baptisera intelligemment le pistonlet, voire le pistonlaid vu qu’il est composé de chair et de sang, et qu’il est relié directement à notre corps). Mais ce n’est pas le sujet. Ce pistonlaid nous sert à activer des portes (???, un bout de bois aurait pu le faire…) et à faire des dégâts aux ennemis (idem…). On touche ici au défaut principal du jeu : pendant une longue partie de l’aventure, il n’y a pas de wordbuilding. Ces éléments ont pour moi été placés pour gamifier un jeu qui n’en avait pas besoin (en tout cas pas comme ça), sans être intégrés intelligemment à la diégèse du jeu (car ne trouvant un sens que dans les mécaniques ludiques du jeu). Le pire : c’est même pas fun à utiliser, les affrontements étant une purge. On est lent, on se traîne maladroitement à droite ou à gauche pour tenter d’esquiver les projectiles que les ennemis nous envoient en ligne droite (comble du mauvais design : il y a beaucoup de couloirs, donc on est souvent, de base, en mauvaise posture pour esquiver et se mouvoir correctement face aux ennemis). Le changement d’arme comme les rechargements sont incroyablement longs aussi, sachant que les ennemis ont été designés pour être éliminés avec un certain type de munitions, forcément extrêmement rares dans le jeu de surcroît. Bref, côté action, ça ne va pas du tout, et je n’ai même pas tout évoqué (je pourrais parler des stations de soin à usage unique ; des checkpoints automatiques qui sauvegardent le niveau de notre jauge de santé à un instant T, et tant pis s’il y a une rencontre fâcheuse ensuite nous obligeant à recommencer de nombreuses fois le segment, cinématiques inskippables incluses ; ou encore des boss qu’on bat en tournant inlassablement autour d’eux pendant de longues minutes).

Sortez le pop scorn

Mais alors, quoi ? Ce qui sauve le jeu, c’est son dernier tiers (et sa DA tout du long). C’est là que prend forme un semblant de cohérence, avec une architecture écrasante, grandiose, une mise en scène d’instruments de tortures et de corps étouffants, symbolisant la maternité. Ou plutôt, la gestation. On devine en creux, enfin, ce qu’a voulu nous raconter le studio de développement à travers cette inspiration marquée, via une ambiance et un ensemble d’éléments faisant sens, ensemble. Des statues mimant des actes sexuels, des corps, des vies sacrifiés pour permettre la naissance, d’autres statues gigantesques au ventre d’un rouge vif, gonflé… Nous y voilà, dans le phallus gigerien. Il aura fallu quelques heures à cette virée sanguinolente, il aura fallu notre avatar maintes fois mutilé, aliéné, désincarné et notre propre cerveau terni et abruti par des choix de design désastreux. Mais j’ai au bout du compte été happé par ce final aussi torturé que nébuleux. Et même s’il ne s’agit finalement pas d’un jeu d’horreur à proprement parler, l’ambiance misant avant tout sur des éléments de gore et de body horror plutôt que sur un enrobage cauchemardesque complet, il y a largement matière à nous bousculer et à provoquer chez nous ce petit malaise des familles.


Scorn est un jeu qui ne plaira pas à tout le monde. Voilà comment l’intégralité des papiers sur le sujet a conclu. Voilà comment je conclus : Scorn est un jeu qui plaira à certain.e.s. Subtil. C’est un jeu déroutant, non pas dans son esthétique, mais dans la radicalité de ses non-choix de design. Une expérience qui aurait largement gagné à s’imaginer en aventure minimaliste, absurde et glauque au pays de Giger. C’est un jeu que j’ai détesté faire, qui m’a profondément agacé et ennuyé, mais qui me marquera longtemps à coup sûr. Le genre d’expérience si contrastée qu’elle en devient attachante et belle, pour peu qu’on y trouve un point d’ancrage.


(Contrairement à A Plague Tale: Requiem, mon prochain papier. Et schlak le teasing que t’avais pas vu venir.)


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