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POKER FACE (critique S1)

Après avoir signé un excellent Glass Onion en toute fin d’année 2022, Rian Johnson vient illuminer l’année séries 2023 avec Poker Face, murder-mystery show en 10 épisodes, mettant en haut de l’affiche une géniale Natasha Lyonne (Poupée Russe).

Il semble avoir une obsession chez Rian Johnson depuis qu’il a brillamment ravivé le genre au cinéma avec Knives Out : le murder-mystery. En décembre dernier sortait le très réussi Glass Onion, premier des deux films de la commande de Netflix avec son détective Benoit Blanc. Mais à peine quelques mois plus tard, il livre une première saison à sa première création sérielle : Poker Face. Attention, rien à voir avec le thriller du même nom de et avec Russell Crowe présenté à Rome l’an dernier. Dans cette série, Charlie Cale est une femme d’une quarantaine d’année quelque peu white trash, vivant dans une caravane dans le Nevada. Elle travaille dans un casino un peu miteux pour payer ses factures, mais a surtout une habilité folle : elle peut déterminer à coup sûr si quelqu’un ment, à la seule vue de son visage. Une capacité qui peut s’avérer décisive pour le poker notamment… Mais à la suite d’un fameux événement dans le casino, Charlie doit prendre la route, pour échapper à des gens lui voulant du mal. Au volant de sa magnifique Plymouth Barracuda, elle va devoir écumer les routes américaines, ne restant jamais longtemps au même endroit. D’abord par choix, mais aussi par nécessité, puisque partout où elle passe, elle ne peut s’empêcher de résoudre les crimes qui continuent de s’amonceler sur son passage. Une dose de Columbo, une pointe d’Arabesque, une mise en scène rappelant les meilleures heures de ce que Rian Johnson avait pu offrir à Breaking Bad (“Fly”, “Fifty-One”, “Ozymandias”), Poker Face a ce qu’il faut pour tenir son concept un chouïa vieillot, mais profondément réjouissant.


Mais le truc avec la première saison de cette série, c’est que bien que Johnson et son équipe s'emparent des codes déjà bien établis de mystères meurtriers type Columbo, soit des howcatchem, en opposition aux whodunits (tels que Johnson a déjà subverti avec Knives Out et Glass Onion). Dans les howcatchem, le spectateur connaît dès le début du récit qui est le meurtrier, ainsi que souvent son mobile. Le but étant pour la suite de l’histoire de savoir comment on va faire pour le coincer. La parallaxe narrative est donc drastiquement déplacée - et je dois dire que Poker Face arrive à raviver ce sous-genre pourtant vraiment jubilatoire. À la suite d’un passionnant épisode pilote avec Adrien Brody (Le Pianiste, The Darjeeling Limited), Dascha Polanco (Orange is the New Black) et Benjamin Bratt (Law & Order, Demolition Man), Natasha Lyonne (Orange is the New Black, Poupée Russe) est la seule à la barre de cette série type ‘enquête de la semaine’, comme au bon vieux temps de la télévision d’antan. Sauf que la modernité d’écriture, le rythme ciselé et l'impeccable direction artistique du projet en fait une série on-ne-peut-plus dans l’ère du temps, intrinsèquement épisodique.


Et quoi de mieux qu’un personnage à la fois tragique et nuancé, brillant et paumé, pour mener une telle série. S’il faut d’abord s’accrocher pour adhérer au style de jeu, à la voix et à la physicalité de Natasha Lyonne, mais son personnage nommé Charlie n’a de cesse de grandir dans le cœur du spectateur. Drôle, illustre et malchanceuse, Charlie est un personnage adorable, malgré une écriture en pointillé et sporadique, qu’on aime découvrir puis voir se développer, dans 10 épisodes qui forcent le respect. À chaque fois, le même plaisir intact de se replonger dans une nouvelle affaire, chacune d’entre elles traversées par un casting de guests de luxe : Judith Light, Lil Rey Howery, Chloë Sevigny, S. Epatha Merkerson, Simon Helberg, Ellen Barkin, Tim Meadows, Tim Blake Nelson, Luis Guzmán, Clea DuVall, Nick Nolte, Ron Perlman et (le systématique chez Johnson) Joseph Gordon-Levitt. Avec de grandes pièces de mise en scène opératiques, de superbes performances et une musique originale au poil, Poker Face arrive à passionner de bout en bout, dans une décontraction aussi cocasse que pertinente, qui fait la part belle à des coins oubliés de l’Amérique reculée, qu’on voyait à l’époque dans Code Quantum, Les Routes du Paradis ou les productions de Stephen J. Cannell (vous vous souvenez certainement de lui sur sa machine à écrire dans le logo de sa boite de prod !).


On visite tour-à-tour une petite ville-étape en plein milieu du désert, une maison de retraite, un resto BBQ en plein air, un motel en pleine tempête de neige mais on fait aussi une tournée avec un petit groupe de metal ou la découverte d’un savoir-faire du cinéma peu mis en avant. Autant visuellement que tonalement, la série paye ses hommages appuyés aux séries d’un autre temps, mais ne glorifie pas pour autant la nostalgie. Rian Johnson réitère donc l’habile jonglage à l’œuvre dans Knives Out ou Glass Onion, qui convoquaient les codes du manoir ou de l’île isolée chers à Christie, tout en subvertissant les attentes du spectateur, et fait de même ici, cette fois dans le style du howcatchem donc. À coup sûr une des meilleures série de l’année, à ne manquer sous aucun prétexte !

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