Sans doute l’un des jeux les plus innovants et cohérents de cette décennie, Outer Wilds a su depuis 2019 transporter dans l’espace de plus en plus d’adeptes de son game design de génie. En un mot (ou trois) : c’est ouf. En septembre dernier sortait son DLC, Echoes of the Eye. Et franchement ? Bah c’est tout aussi ouf. Voilà merci, le billet est terminé, on se retrouve sur Atrebois, petite pierre.
Outer Wilds : pourquoi c’est ouf (sans spoilers, dur)
« Arrête tes conneries, Hugo. » D’accord. J’ouvre les yeux devant un feu de camp crépitant avec un marshmallow planté au bout d’un bâton. Comme j’ai pas faim (et comme la guimauve c’est immonde, tout le monde le sait), je me décide à engager la conversation avec l’étrange gus, en face de moi, qui me fixe de ses quatre yeux. « T’as les codes de lancement, petite pierre ? », me tance-t-il (c’est rigolo à prononcer « tance-t-il »). Ben non je les ai pas, du coup je me casse et décide d’explorer le village. Je tombe sur un gamin qui me fait piloter ce qui a l’air d’être une reproduction miniature de mon vaisseau spatial. Plus loin, d’autres gamins veulent jouer à cache-cache (qu’ils sont cons, j’ai qu’à sortir mon onduloscope, un engin qui repère les sources sonores, pour les trouver). Viens ensuite un autre gamin (je commence à me croire à Disneyland) obsédé par une matière translucide verdâtre, que j’apprends être de la matière fantôme extrêmement dangereuse (heureusement je peux l’identifier grâce à mon lance-guetteur, que je peux jeter, qui prend des photos et fait de la lumière mais pas le café). Enfin, Gossan me demande de réparer des tuyaux dans une caverne à la gravité zéro. Comme je suis sympa, j’enfile une combinaison, et je me rends vite compte que les contrôles du jeu, entre le pilotage du vaisseau et les déplacements dans l’espace, ça va être la grosse poilade mais pas à gratter. Bon, ça y est, les tuyaux sont réparés, j’ai visité tout le village et parlé à tout ce petit monde, j’ai plus que le musée à faire… Mais dis-donc, c’est tipa que j’aurais fait le tuto à mon insu ? Malin le lynx.
Et me voici donc, enfin, tout en haut du village. À l’entrée du musée, deux stands sont consacrés au programme Odyssée et à ses membres, lesquels avaient pour objectif d’explorer le système solaire. Ok Thomas. Vient ensuite une exposition dédiée à un peuple ancien, les Nomaï, qui auraient visité ce système solaire, et une autre consacrée à ce fameux système solaire (cinq planètes et quelques satellites que nous allons visiter). Enfin, je m’essaye à la traduction d’écrit Nomaï, au changement de gravité, et je découvre perplexe une pierre noire qui semble coincée dans un autre espace-temps, puisqu’elle change de place chaque fois que j’en détourne le regard. Mais voilà Cornée, l’un des membres d’Odyssée, qui me donne enfin les codes tant convoités, après un petit speech sur le programme, son échec, et son inquiétude devant la disparition de certains de ses compères, perdus dans l’espace. Quand je ressors du musée, une statue de Nomaï se tourne vers moi et plonge ses yeux dans les miens. Bizarre. Mais bon, moi, grand rêveur ambitieux que je suis, n’attend à présent qu’une chose : le décollage. Hop, je sors en trombe, je monte dans la fusée, j’attache la ceinture. Plein gaze, je m’élève de la plateforme, je suis tout excité, comme lors de ma première leçon de conduite. Pas de bol, je suis comme à l’époque tombé sur l’examinateur froid et calculateur relou et, à peine décollé, je me plante violemment trois mètres plus loin sur la surface d’Atrebois. Je suis mort. Sympa votre jeu.
Outer Wilds, ce sont des débuts difficiles, comme décrit. Pas d’enjeu narratif si ce n’est décoller et explorer l’espace, des mécaniques qu’on nous présente d’entrée de jeu sans en comprendre réellement l’utilité, des contrôles plus qu’aléatoires, des morts à répétition sans sommation. Il m’a fallu m’y prendre à trois reprises, espacées de quelques mois chaque fois, pour apprendre à apprécier cette proposition hors du commun. Avant ça, j’étais stressé, je pestais, je n’adhérais pas du tout à l’expérience. Puis vient l’apothéose. Parce que, oui, personne ne vous dira jamais quoi faire, où aller, quel outil utiliser. Pas le moindre indice : tout repose sur nos capacités d’observation et notre manière de relier les informations glanées ici et là sur les différentes planètes, sachant que ces dernières ont toutes leur propre manière de fonctionner et d’évoluer au fil du temps (pas d’exemples pour pas spoiler, déso).
Ce game design de génie rappelle forcément la liberté d’exploration qu’offrait un Breath of the Wild (avec l’idée d’être pleinement acteur de ses motivations), ainsi que la manière toute particulière avec laquelle nous évoluons dans Zelda Majora’s Mask, du fait de sa mécanique temporelle. Ah, oui, je vous l’avais pas dit ? Coincé.e dans une boucle infinie, chaque mort signifie retour au point de départ et à l’état zéro de ce petit monde calé sur une chronologie définie. Il faudra alors retourner au dernier endroit visité, ou bien partir ailleurs en quête de nouvelles informations, parfois attendre un événement bien précis pour accéder à un endroit auparavant inaccessible, etc. Ici, c’est l’information qui prime, au point qu’une fois tous les systèmes du jeu compris, il est possible de lancer une nouvelle partie et de la terminer en 15 minutes environ. En fait, dès le début, tout est sous nos yeux, il faut juste comprendre les logiques.
Et non content d’avoir un gameplay intelligent et novateur, Outer Wilds est aussi doté d’un univers cohérent, dense et surprenant venant solidifier ce premier. C’est un véritable petit monde qui s’offre à nos yeux, où tout s’enchaîne avec une fluidité sans pareil, où les possibilités d’apprentissage sont multiples, si bien qu’il est difficile, à moins de ne pas rentrer dans le concept, de s’y ennuyer. Il y a toujours quelque chose à faire, à expérimenter, à vérifier. Une planète à visiter, un personnage à trouver. Et mille émotions par lesquelles passer… Et puis merde j’abandonne. J’en suis au stade où mon cerveau se met en grève, après avoir essayé de décortiquer ce jeu hors norme, enfermant le cœur dans une prison dorée pour faire croire qu’on pouvait intelligemment parler d’une œuvre qui se vit avant de se raconter. J’exulte Outer Wilds. Je ris Outer Wilds. Je pleure Outer Wilds. Nan franchement oublie les deux autres paragraphes chiants comme la mort là, oublie cette connivence cognitive qu’on essaye de dresser entre nous comme si on était des êtres bienpensants. C’est trop compliqué de toute façon de parler des vraies choses. Je te propose plutôt de te poser tranquillement sur ton canapé, d’écouter l’OST et de te laisser transporter par cette douce mélancolie sur fond de banjo (si c’est possible, tu vois déjà ton attention est happée). Ok. C’est le début de l’invitation au voyage. Ok. Maintenant lance le jeu. Pars. Explore, laisse-toi guider par ton imagination, suis tes rêves. Peut-être tu vas t’écraser, peut-être tu vas transpirer, mais au bout tu vas t’oublier.
Meilleur jeu.
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