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MAGNOLIA (critique)

Après le succès de son deuxième long-métrage Boogie Nights, la New Line donne carte blanche à Paul Thomas Anderson pour son prochain projet. Et le jeune cinéaste décide de mettre en scène Magnolia, film choral étrange dans un Los Angeles qui l’est tout autant.

C’est entouré d’un casting 5-étoiles que Paul Thomas Anderson débarque à la Berlinale 2000 : Tom Cruise, Julianne Moore, Philip Seymour Hoffman, Philip Baker Hall, John C. Reilly, William H. Macy, Jeremy Blackman, Melinda Dillon et Melora Walters. Résultat : un Ours d’or pour le jeune cinéaste d’à peine 30 ans. Mais ce film choral n’est pas exactement comme les autres. Le ton déjà, marqué par la psychologie fine et nuancée de ses personnages, tous disparates dans un Los Angeles froid et transfiguré. Pourtant, qu’on le veuille ou non, au final, ils sont tous connectés. Par l’écriture de P.T. Anderson certes, mais aussi et surtout sa mise en scène, bourrée de mouvement et d’un éclairage sombre et coloré, toujours significative et brillante. C’est aidé par son chef opérateur habituel Robert Elswit, et grandement inspiré par les chansons d’Aimee Mann, qu’on peut entendre durant tout le film au milieu des compositions saisissantes de Jon Brion, qu’Anderson orchestre un film pointu et exigeant. Ou serait-ce un film gratuit et auto-centré ?


La réponse est loin d’être aisée. Mais la balance entre ces deux facettes est au cœur du sujet du film. Le déterminisme, les coïncidences, les liens de causes à effets, sont autant de thèmes que le film empile dans plus de 3 heures de métrage. L’ironie cosmique à l’œuvre dans celle qui nous intéresse la rapproche des travaux des frères Coen, mais dans un écrin purement marqué par un auteur qui trouve de plus en plus son propre ton. C’est encore très inspiré par l’énergie expansive d’un Martin Scorsese - mais différemment, abondamment pillé dans ses précédents longs-métrages (Hard Eight, Boogie Nights), que Anderson filme son chassé-croisé humain et biblique. Avec une pointe de Coen donc, mais aussi avec une force dramatique folle, jamais dénué d’un humour certain*. Et c’est alors qu’on se rend compte d’une évidence. Magnolia peut très bien être rapproché d’un Short Cuts, de Robert Altman. Récit choral datant de 1993 situé à Los Angeles, dans lequel on retrouve d’ailleurs Julianne Moore, ainsi que la chouchou des Coen Frances McDormand.

On peut parfois entendre de Magnolia qu’il est pompeux et prétentieux. Sauf que le film a une force interne et un côté conscient de soi-même, qui commente les événements du film au sein même de celui-ci. La complexité de Magnolia est à la hauteur de son propos. Quelque part, on regarde un récit sur des récits conscient qu’il en est un. Les personnages eux-mêmes ont parfois l’air de nous parler à nous, les spectateurs, sur leur condition. Le film a aussi un côté prophétique qui peut paraître pompeux. Mais c’est oublié à quel point l’écriture ciselée d’Anderson apporte aux sujets qu’il aborde, notamment celui des abus d’adultes sur les enfants, toujours porteurs de vérités et de réponses, qu’on écoute pas. Que ce soit Stanley, Dixon ou d’une certaine façon Claudia ou Frank, l’inénarrable personnage de Tom Cruise, ils sont ignorés ou abandonnés jusqu’à l’excès, créant traumas et souffrances. Et évidemment, on reproche le climax à Anderson, que beaucoup ont pris comme une dérobade narrative à ce(s) récit(s) éclaté(s). Sauf qu’au-delà de l’imagerie, c’est évident que c’est une volonté première qui plane sur le film depuis le début, par la surabondance du nombre 82, issu ni plus ni moins que de la Bible :

Exode 8:2 : “Si tu refuses de le laisser aller, je vais frapper par des grenouilles toute l'étendue de ton pays.”

Mais revenons un peu au cœur de ce que fait un film : ses comédien.ne.s. Et au-delà des usual suspects du gang P.T. Anderson, toutes et tous incroyables, on retrouve Tom Cruise, qui signe tout bonnement un de ses meilleurs rôles. Juste après Eyes Wide Shut, il fait le grand écart avec son personnage de Frank T. J. Mackey, horrible gourou masculiniste obsédé par la figure du phallus, qui mute peu à peu en ex-adolescent traumatisé par l’abandon, et son Bill Harford dans l’ultime film de Kubrick, spectre sexuellement réprimé dans le froid du New-York hivernal. De son animal blessé, Cruise compose un rôle profond et habité, dans lequel il s’amuse et marque le film de son empreinte indélébile. Son meilleur rôle ? Bien possible… Quoiqu’il en soit, reste Magnolia, film-somme marqueur de son époque, mais aussi intemporel qu’exigeant et profond. Un voyage filmique aussi dingue qu’il est bourré de surprises à chaque revisionnage, incroyablement riche et beau.



* Paul Thomas Anderson est en couple avec la comédienne Maya Rudolph (SNL, Bridesmaids) depuis 2001 (avec qui il a quatre enfants) et a d'ailleurs beaucoup travaillé sur la post-production de Funny People de Judd Apatow.

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