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GRACIE ABRAMS - GOOD RIDDANCE (critique)

Après avoir sorti deux EP très réussis, la talentueuse artiste pop Gracie Abrams au succès exponentiel transforme l'essai avec Good Riddance, son premier album, sorti ce vendredi. Aboutissement ou déception, la réponse est sur PETTRI.

Même si je ne suis pas le public cible, je dois dire que je suis le travail artistique de Gracie Abrams depuis longtemps. Depuis 2016 pour être exact. À l’époque, en bon cinéphile/fanboy de réalisateurs n’ayant pas de réseaux sociaux, je me mets à suivre leurs enfants, de façon à avoir de leurs nouvelles. Stalker alert, je sais… Du coup, au-delà de la marmaille de Spielberg, Scorsese et consorts, il y a aussi les enfants de J.J. Abrams, cinéaste que j’affectionne particulièrement. L'aîné Henry a alors 18 ans et est assez discret sur ses réseaux*. Sa cadette Gracie a quant à elle à peine 17 ans. Et pourtant, elle poste régulièrement des chansons sur son Soundcloud (aujourd’hui introuvables), de la petite pop-folk à la sensibilité à fleur de peau. Peu à peu, Gracie grandit avec son auditoire, et ce même si elle semble prendre ses distances avec la musique le temps d’études supérieures à New-York, loin de sa famille. La jeune femme nous parle de ses relations, amoureuses et amicales, de ses ressentis au fil de chansons moins produites que maintenant, mais qui convainquent déjà le presque trentenaire que j’étais alors. Ce n’est qu’en 2019 que Gracie Abrams se met pleinement à la musique, poussée par sa famille et ses ami.e.s, aidée par un compagnon désormais producteur et compositeur de musique (Blake Slatkin, qui a travaillé pour Jasiah, Omar Apollo, Juice WRLD, Lil Nas X, Tate McRae, Lizzo… et responsable du Stay de Kid Laroi et Justin Bieber). Elle signe chez Interscope et sort d’abord deux singles, pour tâter le terrain : Stay et Mean It. Son premier EP, nommé Minor, sort en juillet 2020, et c’est une petite bombe. Suit l’année suivante This Is What It Feels Like, projet vendu comme une ultime proposition avant le premier album. Doucement, le succès arrive, notamment grâce à quelques chansons tiktokables et une collaborations bien sentie avec Benny Blanco (Unlearn). Mais c’est ouvrir les concerts d’Olivia Rodrigo (et bientôt ceux de Taylor Swift!) qui amène un nouveau public à l’œuvre de Gracie.


L’artiste n’a jamais caché ses influences, quasiment toutes sorties de la scène américaine pop-rock-folk : Joni Mitchell, Phoebe Bridgers, Lorde, Taylor Swift, Elliott Smith, James Blake, Bon Iver, Metric, The 1975, The Killers ou même Kate Bush. On les retrouvait déjà dans ses projets précédents, mais son premier album officiel, le Good Riddance qui nous intéresse ici, les digère pour mieux parler de ses maux à elle, avec un style qui lui est propre, purement émotionnel et aux beaux arrangements musicaux. Si la musique de Gracie Abrams peut paraître de prime abord une énième redite d’une ‘sad white millennial rich girl’, aller au-delà pourra vous montrer que c’est pourtant une belle proposition faite avec le cœur par une jeune femme sensible et sincère, se livrant en déplacant les barrières affectives qu’elle entretient avec son public. Il n’y a qu’à voir ses concerts, aussi intimes que de plus en plus peuplés, où l’autrice-interprète interagit sans cesse avec un auditoire qui semble partager plus que de la simple musique. La prouesse à l’œuvre avec Gracie Abrams, c’est sa capacité à autant mettre en avant ses expériences personnelles, qu’à pouvoir résonner dans n’importe quelle autre âme. Évidemment les jeunes femmes qui ont son âge vont plus s’y retrouver, mais je dois avouer qu’en tant qu’homme qui a maintenant une bonne trentaine, j’y trouve aussi mon compte. La sincérité avec laquelle Gracie évoque ses traumatismes, qui peuvent sembler bénins, mais qu’il ne faut pas pour autant minimiser, puisqu’ils peuvent parler à n’importe qui. Le personnel est universel, ne l’oublions pas.

Gracie Abrams est plus forte quand il s’agit de se livrer avec profondeur avec un aplomb très pop, au sens du refrain aiguisé, tel que dans I Miss You I'm Sorry, Mess It Up, Rockland, Block Me Out ou évidemment son tube incroyable Feels Like. Mais ça, c’était dans ses anciens projets. Qu’en est-il de Good Riddance ? Ce qui change, c’est évidemment l’absence de Blake Slatkin, l’ex de la belle, qui laisse sa place à un collaborateur plus âgé pour Gracie : Aaron Dessner. Le musicien est un membre de The National et de Big Red Machine (avec Justin Vernon), ayant bossé sur les derniers disques d’une certaine… Taylor Swift. Il imprègne le premier album de Gracie Abrams d’une mélancolie ajouté à l’émotivité toujours à fleur de peau de la jeune femme. On y retrouve des compositions d’une beauté simple et efficace, mais avec une dimension parfois évolutive et riche, qui sublime les textes d’Abrams. Cette dernière, comme à son habitude, ne retient rien et ouvre les vannes de son affect - et de nos larmes avec. Dès le premier titre, parfaitement nommé Best, elle nous confie qu’elle n’est pas la meilleure personne dans une relation, dans une ballade pleine de haine de soi, où figure d’ores et déjà le titre de l’album, qu’on pourrait traduire par “bon débarras”. Dans I know it won’t work, Gracie se confie sur ce qui marquera le début de cet album : une rupture douloureuse, qu’elle évoque également dans Full Machine, Where do we go now?, I should hate you et Will you cry?. En cela, l’album semble presque consacré à ce motif - mais c’est oublié la ressource de Gracie. Si dans ces chansons, elle traite de sujets sensibles, emprunts d’une certaine douleur émotionnelle, l’artiste n’en néglige pas moins ses mélodies et plus encore ses refrains, très efficaces et catchy. Plus, la fragilité suave de sa voix apporte une douceur innée aux chansons qu’elle nous offre, pour un résultat très souvent impressionnant. Ainsi, le single Where do we go now? est en cela le meilleur exemple de ce que peut produire Gracie : à l’image d’un Block Me Out, c’est une chanson éminemment personnelle et émouvante, mais avec une force mélodique dingue, en faisant une imparable pop-song, qui plus est sincère et aux différents niveaux d’écoute. Dans Will you cry?, la force du morceau réside dans la montée crescendo d’une production léchée, suppléée par une ligne d’accords de guitare étonnants et remarquables.

Le premier réel pas de côté, tenté en tant que single qui plus est, est la sublime chanson nommée Amelie, où la réalité et le rêve se confondent, pour un guitare-voix à la fois mélancolique et désespéré, parfois agrémenté de pianos et de synthés, et doté d’un storytelling et d’un refrain assez prodigieux. On part loin pour ne plus en revenir. Puis Gracie continue sur sa lancée avec le génial Difficult, où elle met toutes ses insécurités à la vue de tou.te.s, admet avec honnêteté sa vulnérabilité sur beaucoup d’aspects de sa vie et de sa personnalité, notamment en ce qui concerne son rapport à la famille, sa vie amoureuse et ses propres décisions. On y retrouve donc les thèmes chéris de Mess It Up et The Bottom, pour le pinacle de l’album, et une pop-song enlevée et surannée. Mais c’est avec This is what the drugs are for que Gracie m’a le plus étonné, une chanson qui évoque les meilleures heures des ballades pop-folk des années 2000, et aurait pu à coup sûr se retrouver dans The O.C. à cette époque. La thématique, qui plus est assez inédite pour la jeune artiste, est très bien traitée. Superbe refrain, superbes couplets, superbe instrumentalisation. Superbe morceau, tout simplement. Suivent Fault Line et The Blue, deux chansons à la fois douloureuses et volatiles, qui méritent autant les éloges par leur simplicité apparente que pour leur richesse intertextuelle, où Gracie semble voir un renouveau affectif, qui la perd presque autant que d’avoir le cœur brisé.

Enfin, dans l’ultime morceau (de bravoure) qu’est Right Now, qui s’étend sur près de six minutes intenses, Gracie s’adjoint les services d’un co-auteur, et pas des moindres : c’est le légendaire Brian Eno qui vient prêter main forte à la chanteuse, pour une ballade atmosphérique bercée par des notes de pianos et des arrangements presque cardiaques. Encore une fois, Gracie évoque son ressenti tant qu’à la vie qu’elle mène, entre le regret de ne pas assez voir sa famille, et enfin se sentir elle-même désormais, et ce même si elle se sent flotter, comme incapable d’interagir normalement avec qui qui ce soit. Une pensée complexe pour une jeune artiste qui ne l’est pas moins, entre auto-contradictions et remises en question perpétuelles, tant artistiques que personnelles. Gracie Abrams arrive à atteindre un équilibre rare dans la pop actuelle, entre la belle ballade atemporelle et la sincérité à fleur de peau d’une jeune femme et artiste complexe et intelligente. Un bel album, libérateur et profondément émouvant. On a déjà hâte de voir où l’artiste ira par la suite…

* Il est désormais auteur de comic-book et dessinateur talentueux, ayant signé l’illustration ci-dessus pour la sortie de l’album de sa petite sœur.

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