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GOD OF WAR : RAGNARÖK (critique)

Plutôt mitigé sur le reboot de la série en 2018, on ne peut pas dire que j’attendais spécialement sa suite en cette fin d’année où il fait encore 20 degrés chez moi, aux portes de décembre (18,4 en vérité, c’est pour la dramaturgie, ça va). Trois semaines après sa sortie, je peux clamer haut et fort que je suis agréablement surpris, et même conquis mesdames et messieurs. Il en a fait du chemin, Kratos.

Midgard du Nord

Trois ans après avoir dispersé les cendres de Faye, découvert qu’Atreus est en fait Loki et qu’il était amené à tuer le paternel, Kratos, Mimir et Atreus coulent une petite vie tranquille façon Charles Ingalls au pays des neiges (mâtinée quand même d’entraînements à la dur pour préparer le bambin, à présent adolescent, aux aspérités du monde). Mais vlatipa que Chris Hemsworth s’amène (juste avant de mettre son rôle en pause) avec papa Odin pour demander à Kratos de rester sage et d’arrêter d’embêter tout le gratin divin nordique (pour rappel, on avait tué Baldur à la fin du reboot de 2018). Petit hic : pendant le combat spectaculaire que l’on mène contre Thor, Odin en profite pour soudoyer notre rejeton et l’inviter à se joindre à lui, à Asgard. Kratos et Atreus sont alors persuadés que cette visite préfigure d’une manière ou d’une autre l’arrivée du Ragnarök, la fin de tout, et vont chercher à l’éviter.

Je n’ai jamais été intéressé par la licence God of War. Déjà, parce que j’ai eu une PS2 très tard et que ma ludothèque se résumait à FF XII et MTV Music Generator. Ensuite, parce que j’ai une certaine aversion pour les beat them up, qui m’ennuient en général au bout de quelques minutes de gameplay, tant j’ai l’impression de répéter ad nauseam les mêmes actions dans des environnements bourrins, où tout fait BADABOUM PIOU PIOU. Je n’ai ni l’âme d’un bagarreur ni les velléités d’un scoreur, surtout quand on incarne un mascu hyper vénèr contre le monde. Le reboot de 2018, sur PS4, m’avait néanmoins happé avec sa promesse de revisiter ce personnage aux muscles soyeux et à la voix caverneuse, en cherchant une filiation du côté d’un The Last of Us et son focus qu’on commence à connaître par cœur, celle recentrant toute la narration sur une relation (promis, même si j’en parle tout le temps, je n’ai aucun lien avec Naughty Dog, c’est pas ma faute si le jeu vidéo vient de se rendre compte que les binômes sont vendeurs). Un opus que je qualifierai d’assez tiède, même si je salue la patte graphique, la mise en scène (et ce fameux plan séquence intégral), un système de combat efficace (mais redondant), et surtout l’audace de revisiter à ce point un personnage bateau et creux comme Kratos. Tiède parce que, malgré ses bonnes idées, je suis resté bloqué sur son écriture très médiocre et une structure globale poussive. Si bien que je n’attendais pas forcément sa suite, dont j’avais d’ailleurs complètement oublié la sortie deux semaines avant.

Kratos, fantôme d’Aspartame

Et bah quelle claque, mes aïeux. C’est tout ce que j’ai à dire, en fait. Ragnarök, c’est God of War 2018 avec tous les potards à fond : gameplay, combat, narration/écriture, mise en scène, équilibrage, tout a été revu, corrigé, rectifié… et sublimé, si bien qu’ici, la mayonnaise a fini par prendre. Bon, bien sûr, on a là le triple A ultime, celui qui coche toutes les cases. Et vla que je te mets du RPG, tartiné d’action et de mise en scène-spectacle, des coffres à foison pour injecter des petites piqures de sérotonine, des dialogues non-stop façon Marvel pour « dynamiser » l’expérience (par pitié arrêtez de faire ça, c’est insupportable), des sidekicks qui te spoilent toutes les énigmes, comme si ça allait conserver une « fluidité » de jeu (et bah non, département marketing, c’est juste chiant), moult activités à disposition pour doper la durée de vie, etc. Sauf que, étonnamment, j’ai apprécié quasi chaque minute passée dans cet univers, malgré ces aspects qui d’habitude me font prendre mes jambes à mon cou et partir loin (salut les Horizon, Assassin’s Creed et consort). Alors, pourquoi ?

Eh bien, euh… Le système de combat fonctionne à merveille, pour commencer ! Dynamique, varié, équilibré, le jeu donne envie de s’investir dans l’arbre de compétences pour débloquer des combos et devenir toujours plus dévastateur, que ce soit à la hache, aux doubles lames ou avec la nouvelle arme. Un réel effort d’équilibrage a d’ailleurs été fourni, ce qui rend la difficulté appréciable quel que soit le mode joué, avec des défis bien corsés mais (presque) jamais injustes. Mmh, sinon… Ah, oui : les zones annexes sont clairement délimitées dans la diégèse, ce qui permet de jouer à la carte, en continuant l’histoire ou en décidant sciemment de passer quelques heures à explorer les nombreux lieux du jeu (un système que je préfère mille fois au gigantesque lac circulaire qui servait de hub dans l’épisode de 2018, rendant l’exploration aussi pénible que le couloir du métro de Montparnasse)… Qu’est-ce que je peux citer aussi… Le plan séquence bien sûr ! Bon oui, comme en 2018, mais ça fonctionne toujours aussi bien ! Il renforce d’ailleurs un côté spectacle peut-être moins fort que le premier (et son fameux combat avec Baldur), mais largement plus distillé tout au long du jeu… Voilà voilà. Enfin vous voyez quoi, c’est quand même bien mieux qu’avant ! Tous les potards à fond ? Oui je l’ai déjà dit ça. Ça n’explique pas pourquoi la mayonnaise est si onctueuse ? Ah bah excusez-moi, pardon cher lectorat exigeant abreuvé aux jeux indés hein… Non mais sérieux quoi… Tu leur amènes la crème de la crème mais voilà, c’est pas du circuit-court donc on crache dessus. Super.

Putain vous avez raison. C’est pas suffisant. C’est juste… mieux qu’il y a quatre ans. Mais pas incroyable. Pas la dinguerie que j’ai décrite au début. Il doit y avoir un truc quand même. Mmh. Alors, pourquoi ?

Cœur de glace, mes larmes se voient pas sous la grêle (je voulais mettre « Ragnarok voisine » comme intertitre, c’est plus drôle mais ça n’a pas de sens, un peu comme la vie quoi finalement)

Alors, pourquoi ? C’est une question vraiment pas facile quand on y réfléch… C’est l’écriture. C’est juste l’écriture, en fait. Ce n’est absolument pas là que j’attendais le jeu, et pourtant c’est bien elle qui sert de ciment venant soutenir et sublimer l’ensemble. Avec ses personnages secondaires plus approfondis, dont le background et la personnalité se dévoilent peu à peu (Freya, Tyr, Thor, Odin, Brok et Sindri, notamment lors de quêtes annexes soignées) mais surtout le couple Kratos-Atreus qui dévoilent aspirations, atermoiements et prises de conscience bienvenus sans que ce soit maladroit, Santa Monica Studio montre une indéniable maîtrise de son récit. Dans les premières minutes du jeu, on retrouve ainsi un Atreus qui a pris de l’âge. Plus mature, plus fort, plus dégourdi (vous aussi vous pensez à Daft Punk maintenant ?), il n’a même plus besoin d’attendre les directives cinglantes de Kratos pour participer à la vie en communauté. C’est un plan tout con sur le visage de Kratos, coupé dans son élan et ses habitudes alors qu’il se rend compte que sa progéniture devient adulte, suivi d’un sourire de fierté aussitôt réfréné par peur de montrer ses émotions et volonté de garder la tête froide en toute circonstance, qui m’a très vite convaincu que le studio voulait porter ses personnages beaucoup plus loin qu’en 2018. Alors oui, c’est une scène cliché. Mais dans God of War, mais dans du triple A, mais dans le jeu vidéo, mais dans un titre aussi attendu et observé qu’une méga production PlayStation : une scène de prologue qui prend son temps, qui raconte la trivialité par le silence, fait le plus grand bien. Et le reste n’est pas en reste. Les divinités sont délicieusement humanisées pour offrir une fresque crédible et originale d’une mythologie nordique largement écumée (comme la mer ah ah… Vikings tout ça…) : Odin a soif de connaissance alors même qu’il est vénéré et craint de tous (ce qui en fait un antagoniste contrasté et nuancé), Thor est caractérisé par sa puissance, mais aussi par ses addictions et ses relations familiales, Freya par son désir de vengeance et sa quête de sens après avoir été plusieurs fois bafouée, etc. Même les forgerons Brok et Sindri « le sang de la veine » (seul.e.s celleux qui savent, savent), autrefois purs outils de game design pour la sacro-sainte composante RPG, ont bénéficié d’un soin exemplaire en termes d’écriture et de mise en scène… Bon faut que je m’arrête, parce qu’il y aurait encore beaucoup à dire sur l’écriture, et parce que c’est l’heure des fajitas. Je n’ai même pas abordé les dialogues situationnels qui dressent un fil rouge entre la myriade de coffres qu’on ouvre au gré de détours, ou des merdes qu’on ramasse en chemin, ce qui permet intelligemment de réintégrer les poncifs de rétention des AAA dans la diégèse, tout en approfondissant le lore, les personnages, l’histoire. Même un Naughty Dog ne fait pas ça. Ou ces dialogues qui prennent en compte nos actions et qui savent se stopper au moment importun, contrairement au backseat (HUM), qui pourtant fait lui-même preuve d’un soin particulier en étant toujours intégré de sorte à respecter la personnalité du sidekick qui nous accompagne. BREF, un tour de force, clairement.


Je peux le dire aujourd’hui : je suis amoureux de Kratos. Ses muscles saillants ne me révulsent plus. Je n’ai plus peur de ses accès colériques de mascu, de sa veine qui tremble lorsque point la rage, de son côté bossy insupportable et de ses valeurs de réac. Non, c’est terminé tout ça. Je sais à présent que derrière ce cœur de pierre se cache un gros nounours sensible qui ne demande qu’à ouvrir les vannes, vibrer comme un enfant naïf émerveillé par le beauté du monde. Merde, je suis dans une relation toxique.


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