Comment faire suite à une magnifique saison 1 ? Sam Levinson se devait de confirmer dans la saison 2 de sa grandiose Euphoria. Retardée par la pandémie, il nous avait fait patienter avec deux épisodes spéciaux, sortis il y a un an. Mais que vaut cette nouvelle salve de huit épisodes ? Éléments de réponse par un Jofrey La Rosa amouraché.
Sam Levinson est l’homme en forme de ces dernières années. Après avoir enchaîné Assassination Nation et la première saison d’Euphoria, il a signé deux épisodes spéciaux à sa série adolescente, en plus de son sublime Malcolm & Marie, film avec John David Washington et Zendaya sorti sur Netflix l’an dernier. Tout ce qu’il touche rayonne : d’une sincérité moderne, d’un esthétisme tout-puissant, d’une profondeur folle. J’étais tombé amoureux de la douce noirceur pop et moderne de la première saison d’Euphoria, foudroyé par la rudesse formelle et thématique de ses épisodes spéciaux, mais je dois dire qu’il a fini de me foutre au tapis avec la deuxième saison de cette série adolescente tout bonnement stratosphérique. Désormais totalement libéré de la narration d’origine (c’est l’adaptation d’une série israélienne), Sam Levinson se concentre sur les répercussions de la première saison, diluant ses intrigues à de simples fils narratifs entre tous ses personnages parfaitement maîtrisés par à la fois leur interprètes et par lui-même, unique scénariste de cette salve d’épisodes. En saison 1, il déléguait un peu du pouvoir d’écriture et de mise en scène. Désormais, il est l’unique capitaine à bord d’un navire guidé par la photographie du génie Marcell Rév, un chef opérateur hongrois, que s’est approprié Levinson après qu’il ait découvert son travail à la tête des films de Kornél Mundruczó, dont il a d’ailleurs produit le dernier film (Pieces of a Woman). La première saison était tournée en grand format numérique (ainsi que quelques scènes en 16mm). Mais Levinson et Rév ont dû prendre goût à la pellicule sur Malcolm & Marie, puisque depuis ils ne quittent plus le 35mm. Si dans le film ils utilisaient toute la profondeur du monochrome, pour Euphoria, ils ont fait ressortir l'Ektachrome à Kodak. Et le rendu est simplement incroyable. Un mot galvaudé de nos jours, mais que je pèse ici de toutes mes forces.
Parce que dans ces huit épisodes, Levinson fait le pari d’épurer les intrigues pour consacrer le ressenti de son sujet à son esthétique, infaillible et d’une force encore plus grande. Sa mise en scène foisonne, et Rév devient un acteur encore plus grand de la cathédrale qu’est ce chef d’œuvre. Ça y est, le terme est lancé. Et pourtant, beaucoup ont reproché (à tort) la pauvreté des intrigues à cette deuxième saison. Mais quand a t-on décidé que l’attrait sériel était absolument narratif et jamais suggéré, montré, sublimé ? Mis en scène. Mis en image et en son. On y laisse les intrigues respirer, dans un ballet organique de belles images en mouvement, trouvant à chaque moment le bon endroit, la bonne façon pour conter une intrigue se concentrant sur les répercussions d’un drama intense, en en déployant qu’une infime partie ça et là, sur toute la saison. Et pour autant, la série ne perd jamais d'intérêt, parce que ses personnages sont au cœur de tout. L’addiction de Rue, sa relation avec Jules et sa famille, une nouvelle relation entre Cassie et Nate qui entre en conflit avec l’amie de l’une et ex de l’autre Maddy, le nouveau bonheur amoureux de Kat, et un rapprochement entre Lexi et Fez, voilà ce que réserve cette saison à nos ados. Dans tout ça, il y a bien Cal, le père de Nate, dont on en apprend un peu plus, et dont l’acteur Eric Dane trouve un terreau fertile pour une prestation géante. Mais globalement, tous les comédien.ne.s sont grandioses, Zendaya en tête, qui prouve à plusieurs reprises qu’elle est de loin la meilleure actrice de sa génération.
Mais tous les autres personnages trouvent davantage de place, tant les intrigues leur laissent exprimer toute leur souffrance, leur bonheur, leur imagination. Parce que oui, Euphoria a enfin trouvé une formule parfaite : entre l'âpreté de sa première saison déjà géniale, et un recul mature sur la dureté de ce qu’elle racontait. Une saison 2 qui bouscule beaucoup, mais qui pousse aussi son spectateur à davantage d’émotions fortes, alors même qu’elle les met au préalable dans un état de vide, dans une sensibilité à fleur de peau, presque adolescente. Et c’est à cet endroit charnière et délicat, parfois doux et tendre, mais aussi âpre et rugueux, qu’Euphoria est la meilleure. Huit épisodes en état de grâce, parfaitement exécutés et sublimes en tous points. Tantôt sublimes par leur esthétique, leur musique (Labrinth toujours géant, mais différemment), tantôt par leur richesse thématique, marqué par le deuil, l’amour, l’affection, la rancœur…
Euphoria devient un phénomène culturel, mais aussi un incontournable des séries, éprouvante à bien des égards, mais tellement puissante et sybiline, qu’elle reste longtemps à nous hanter, encore et encore, comme rarement on éprouve cela de nos jours. Une série prodigieuse. On a hâte de découvrir où va nous amener Levinson en saison 3, mais en attendant, on revisitera maintes fois ses deux premières saisons.
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