top of page

ATLANTA (critique S3)

Après deux saisons en état de grâce, Donald Glover et son équipe reviennent pour une troisième et pénultième saison de leur Atlanta, avec une quatrième qui conclura l’épopée surréaliste de Earn, Alfred, Darius et Vanessa.

On l’aura attendu cette troisième saison ! Il aura fallu patienter 4 ans pour avoir le droit à cette nouvelle salve d’une dizaine d’épisodes. Et comme on a été sage, Donald Glover et son équipe créative nous ont gâtés. Et outre le retour de leurs protagonistes en plein succès, durant une tournée européenne annoncée en fin de saison précédente, on assiste à quatre fables engagées, pertinentes et justes, n’ayant apparemment rien à voir avec nos héros. Ainsi, les épisodes 1, 4, 7 et 9 viennent par quatre fois nous édifier d’histoires indépendantes, toujours à voir avec la condition des Noirs-américains et des immigrés aux États-Unis, à Atlanta ou même ailleurs. De leurs contes moraux, parfois très sombres, les scénaristes et réalisateurs tirent de véritables petites bombes piquantes et importantes, aussi intelligentes que parfaitement écrites et mises en scène. Aux commandes de cette saison, Donald Glover a laissé son frère Stephen Glover prendre le poste de showrunner, puisqu’écrite conjointement avec la saison 4, tournée au même moment. Mais il a tout de même écrit trois épisodes, et en a réalisé autant, en plus d'interpréter le rôle principal (cela va sans dire). Pour le reste, il a confié un épisode à son génial comparse Ibra Ake, qui écrit et réalise “White Fashion” (épisode 6) tandis que les six restants sont menés à bien par le toujours incroyable Hiro Murai (Barry, le clip de “This is America”).


Earn, Alfred et Darius sont en tournée en Europe, entre Copenhague, Londres, Amsterdam, Paris et Budapest, ce qui bouscule un peu le paysage dépeint dans la série, mais pas fondamentalement son esthétique léchée, aux cadrages classieux et audacieux. C’est surtout ses personnages qui sont déplacés et en territoire encore plus fou qu’à Atlanta. Un terrain étrange où ils se sentent encore plus étranger, dans six épisodes épars et parfois un peu bordéliques (il semblerait qu’ils ne soient pas dans l’ordre), mais doués d’une indéniable force interne. D’une puissance narrative et conceptuelle folle, même. L'onirisme pur est troqué contre un pessimisme immonde, notamment dans “New Jazz” (épisode 8), où Liam Neeson vient courageusement passer une tête dans son propre rôle, pour parler de ses écarts racistes dans un littéral Cancel Club. L’intelligence de l’écriture… Fou malade. On sent tout de même que la construction thématique centrée sur certains personnages empêche parfois de s’appesantir sur certains autres : ainsi, Van (Zazie Beetz) est assez sacrifiée cette saison, entre "Sinterklaas is coming to town” (épisode 2) et “Tarrare” (épisode 10), on la voit peu. Mais dans ce dernier épisode, tourné à Paris, on assiste à la proposition la plus surréaliste de la saison, de celles qui ont fait la réputation de la série. Dans celui-ci, encore une fois un peu à part de l’intrigue principale, Van croise Candice, une ancienne connaissance qu’on avait déjà vu dans l’épisode dit ‘de Drake’, mais notre protagoniste semble totalement différente : française, elle traine dans des milieux huppés mais louches, est en couple avec un chef mais entretient une relation avec Alexander Skarsgård (absolument génial d’autodérision), tabasse des gens à coups de baguette de pain, tout cela pour cuisiner des mains humaines dans un rituel sectaire des plus dingues.


Mais la force intrinsèque de cette étrange saison 3 est dans ces quatre contes black à la portée universelle, qui questionne toute une société américaine en perdition, entre son passé, l’enfermement des Blancs dans un racisme génétique et systémique, ses envies partielles et la réalité du quotidien de gens en souffrance. “Three Slaps”, “The Big Payback”, “Trini 2 De Bone” et “Rich wigga, poor wigga” (respectivement épisodes 1, 4, 7 et 9) sont des chefs-d'œuvre. Dans le premier, un enfant est retiré à sa mère célibataire pour une claque, et placé dans une famille d’accueil où deux femmes blanches maltraitent des enfants noirs, avant de carrément vouloir les tuer. Dans l’épisode 4, Justin Bartha interprète un monsieur Tout-le-monde qui accuse le coup d’un revers national de justice où les descendants d’esclaves peuvent demander réparation financière aux descendants d'esclavagistes. Une uchronie black revancharde mais subtile, que Jordan Peele n’aurait pas reniée, prouvant la lucidité pertinente des auteurs d’Atlanta. Dans le troisième épisode stand-alone, des parents blancs se rendent compte de leur absence alors que la nourrice trinidadienne de leur petit garçon meurt soudainement. Plus, leur enfant semble plus emprunt de la culture de Trinidad-et-Tobago qu’ils ne le pensaient. Oui, les parents riches délèguent l'éducation de leurs enfants à des mères pauvres, qui délaissent de fait leur propre progéniture. Une preuve systémique s’il en est que les différences de classes ne font que s’entre-creuser. Dans l’avant-dernier épisode de la saison, un métis très light-skinned, qui renie son héritage noir-américain, se voit refuser une bourse universitaire uniquement offerte aux Noirs de son lycée. Il décide de s’attaquer à celui-ci par les armes, comme c’est trop souvent le cas aux États-Unis.


Mais toutes ces histoires indépendantes, édifiantes mais à part, semblent liées à en croire par une scène post-générique dans l’ultime épisode, où Earn recoit un bagage perdu qui ne lui appartient pas, dans lequel il trouve une photo de famille : des Blancs, dont le père semble l’homme du canot dans l’épisode 1 et celui qui se suicide dans le quatrième (Tobias Segal), qu’on connait sous le diminutif ‘E’. Earnest Marks serait donc à la fois notre protagoniste et cet homme. Mais qu’est-ce que cela signifie pour la série et, plus précisément, pour sa suite et fin en saison 4 ? Nous verrons bien, dans une ultime salves d’épisodes, qui devraient arriver plus tard cette année ou tôt en 2023. En tout cas, nous avons hâte de retrouver les propositions abrasives, pertinentes et fortes de Glover et sa dream-team d’Atlanta, que ce soit avec ou sans Earn, Al, Darius et Van. Et ce parce que leurs récits fabuleux sont ce qui se fait de mieux et de plus passionnant dans le paysage de l'intelligentsia audiovisuelle actuelle.

Comments


bottom of page