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ASTEROID CITY (critique)

Avec son nouveau film Asteroid City, l'ex-coqueluche mondiale du ciné indépendant Wes Anderson continue de diviser profondément, au point que le chroniquer d'une manière qui mette tout le monde d'accord semble être mission impossible. Alors, tant pis, je me contenterai de rester totalement subjectif, voilà.

NB : cet article, sans chercher à spoiler, entrera tout de même dans certains détails du film, et de sa construction narrative notamment. Si vous aimez mieux arriver devant le film aussi vierge que possible de toute influence ou information, vous préférerez sans doute repasser lire ces lignes après votre passage en salles (car de toute façon, c'est un film qu'il faut voir, et au cinéma !). Par ailleurs, il y a tellement de personnages que par souci pratique, je les désignerai par les noms des acteurs qui les interprètent.


Avant d'entrer dans le détail d'Asteroid City, et puisque je suis là pour subjectiviser, il me semble important de préciser que je me considère comme un fervent admirateur du cinéma de Wes Anderson. Cependant, après l'indéniable réussite de The Grand Budapest Hotel (2014), que je pense être son meilleur film d'un point de vue purement objectif (mais qui n'est pas mon préféré), je dois reconnaître que j'étais resté sur ma faim après L'Île aux chiens (2018) ; et bien plus encore après The French Dispatch (2021), sans doute son film le plus inégal -voire par moments franchement relou- à ce jour. C'est donc avec une impatience limitée, et non sans quelques craintes, que j'ai abordé Asteroid City, son onzième long-métrage ; et ce d'autant plus qu'il semblait avoir été accueilli assez fraîchement à Cannes le mois dernier.

Alors, lorsque les lumières se sont rallumées dans la salle, on ne va pas se mentir : j'ai été très rassuré de prendre conscience que je venais de passer un bon moment. Cela faisait neuf ans que Wes Anderson n'avait pas livré un film si abouti, imaginatif, et beau visuellement. C'est probablement aussi son œuvre la plus personnelle depuis Moonrise Kingdom ; d'ailleurs, à l'image de ce dernier, Asteroid City est un film profondément dépressif, même si cet aspect tente de se masquer derrière ses couleurs claquantes, sa nostalgie douce-amère et l'apparente légèreté des nombreux personnages enfants/ados.

Asteroid City est à nouveau une histoire en récit enchâssé ; ça peut paraître devenir un toc chez son auteur, mais c'est une technique qu'il développe et utilise de manière chaque fois différente. Dans The Grand Budapest Hotel, cela lui permettait de voyager dans le temps, d'une génération à l'autre, pour introduire son récit principal puis, à la toute fin, en ressortir, avec une grâce et une délicatesse que j'avais trouvées profondément touchantes. Dans The French Dispatch, il s'en servait pour justifier la forme "film à sketchs", chaque segment correspondant à un article de l'ultime numéro du journal éponyme, rattaché à une structure globale de la vie du journal à la mort de son rédacteur-en-chef.

Ici, nous avons une narration divisée en deux parties, qui se développent en parallèle. La première, principalement en noir & blanc et ratio d'image 1.37 (format plus "carré") car dans le cadre d'une émission de télévision, revient sur la création d'une pièce de théâtre, de son écriture à sa première. La seconde, en (magnifiques) couleurs et très large format scope, correspond au contenu de la pièce en elle-même, pas telle qu'elle est jouée sur scène mais plutôt telle que ses personnages la vivent. Cette deuxième partie devient vite la principale du film, non seulement en termes de durée, mais aussi parce qu'il adopte son découpage en trois actes, avec des panneaux entre les différentes scènes.

Cette pièce, située intégralement dans la petite ville désertique Asteroid City (pop. 87) dans les années 1950, raconte l'arrivée d'une famille endeuillée (le personnage de Jason Schwartzman, dont l'épouse vient de mourir, son fils et ses trois triplées) à une convention de jeunes astronomes surdoués. Sauf qu'au beau milieu de l'événement, un véritable alien fait irruption ! L'armée décide alors de placer la ville en quarantaine… Tiens, mais c'est le film de confinement de Wes Anderson, en fait ?!

Si le thème du deuil est à nouveau très présent dans le film, il est abordé avec un détachement apparent, presque dédaigneux, plutôt inhabituel. Lorsque l'histoire débute, le décès de la femme de Schwartzman une poignée de semaines plus tôt ne semble déjà plus chagriner personne. C'est avec une froideur équivalente qu'est abordé le sentiment amoureux, tant entre Schwartzman et Johansson, qu'entre leurs enfants. Mais cette ostensible impassibilité, qui rebute apparemment un nombre croissant de spectateurs dans le cinéma d'Anderson, n'est évidemment qu'une façade dépressive, pour masquer la douleur de tous ces personnages, cassés, perclus, à l'image du personnage du dramaturge (Edward Norton) ; ou incompris pour les cinq enfants "stargazers" qui cherchent tous à leur manière à exister dans l'ombre de leurs parents, et dans ce monde d'adultes qui les marginalise ("They're strange, aren't they, your children? Compared to normal people", ira jusqu'à dire le personnage de Steve Carell, approuvé par tous les parents présents !).

À travers la confrontation de ces deux générations, le film traite aussi plus généralement de celle entre le monde moderne (les distributeurs automatiques d'absolument tout sur le site de bungalows, les technologies pour détecter les OVNIs -pas très fonctionnels-, les machines futuristes inventées par les enfants…) et "l'ancien monde" avec toutes ses contradictions (les américains profonds tous gentils et accueillants mais continuellement armés, le pont non terminé qui ne mène nulle part…). L'arrivée de l'alien, qui devrait changer l'humanité à tout jamais, n'aura finalement pas une si grande incidence sur toute cette petite société ; un peu comme la crise sanitaire n'aura, finalement, pas eu d'effets durables sur la nôtre : beaucoup de questionnements pendant, mais la vie reprend son cours à l'identique ensuite.

Pour l'aspect formel, toutes les promesses d'un Wes Anderson sont tenues, plus brillamment que jamais. Comme déjà dit, la photographie de l'éternel Robert Yeoman (ils ont collaboré sur leurs neuf longs-métrages en images réelles) est absolument sublime et typique : plans statiques décadrés, jeux de symétrie, mouvements de caméra rapides à 90° pour présenter des lieux ou passer d'un personnage à l'autre… les changements de format d'image pour séparer les parties "reconstitution de l'écriture de la pièce" et "représentation de la pièce" se tiennent ; en revanche, les inserts de plans en 1.85 en couleurs dans la partie en noir et blanc paraissent un peu gratuits. Les décors d'apparence maquettes/maison de poupée participent toujours de l'esthétique Andersonienne, bien qu'ils soient beaucoup moins détaillés et riches qu'à l'accoutumée -plutôt logique en plein désert. Le film fourmille (abuse ?) de chansons 50s country/rock, qui laissent peu de place à la musique originale de Desplat ; un peu dommage, car personnellement j'aurais bien profité un poil plus de ses compositions quasi-minimalistes, auxquelles l'usage d'un orgue confère presque des airs de Philip Glass. Enfin, le casting est toujours foisonnant, là aussi presque exagérément : s'il est toujours plaisant de retrouver tant de grands noms, sachez que pas mal d'acteurs n'interviennent que dans une séquence, voire dans un seul plan (Jeff Goldblum).

Après la parenthèse de ses deux derniers films abusivement hermétiques et centrés sur l'auto-référence, Wes Anderson semble donc avec Asteroid City se rouvrir un peu à un cinéma plus riche et foisonnant, bien que toujours ancré dans ses inimitables formes et manies personnelles. Un film à voir (et qu'on gagnera peut-être même à revoir), et qui me permet enfin de redire : "vivement le prochain" !


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