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AS DUSK FALLS (critique)

Dernière mise à jour : 1 sept. 2022

Premier jeu du studio londonien (mais fondé par une Française !) INTERIOR/NIGHT, As Dusk Falls fait le pari de proposer un jeu vidéo inspiré de la narration sérielle. Pari réussi ? Réponse de Noémie Contant.

Il fait chaud en Arizona. Vous attendez votre femme et votre père et essayez d’occuper votre fille Zoe pendant ce temps. Elle doit fermer les yeux et répondre à des questions sur ce qui vous entoure. A votre tour de lui répondre maintenant : combien d’étoiles y a-t-il sur son sac à dos ? Allez-vous jeter un œil discret afin d’être sûr d’avoir la bonne réponse ?


Ce choix est l’un des tous premiers du jeu As Dusk Falls, qui doit probablement en compter près d’une centaine, d’importances différentes : tricher à ce jeu d’enfant n’aura pas d’incidence de vie ou de mort, par contre d’autres choix en auront.


Mais faisons avant cela un retour en arrière, procédé dont le jeu est par ailleurs très friand : en 2003, Caroline Marchal entre dans le studio parisien Quantic Dream pour un jeu qui contribuera à définir le jeu vidéo interactif : Fahrenheit. Celui-ci se distingue par ses fins multiples et son système de QTE (Quick Time Event, ou le fait de réaliser des actions précises dans un temps déterminé - le système ne vient cependant pas de Fahrenheit mais de Shenmue en 1999). Caroline Marchal passe ensuite lead game designeuse sur les deux prochains succès du studio : Heavy Rain en 2010, qui pousse le concept plus loin en nous faisant incarner 4 personnages et en n’ayant aucun game over (l’un de vos personnages peut mourir, il n’y aura pas de retour en arrière), puis Beyond: Two Souls en 2013, qui enracine encore plus le rapport avec le cinéma en mettant en scène Elliot Page et Willem Defoe via un motion capture de 65 caméras. Puis elle quitte le studio en 2014, part à Londres et finit par fonder en 2018 le studio INTERIOR/NIGHT. Quatre ans plus tard, le premier jeu sort : As Dusk Falls.

Entre 2014 et 2022 également, de nombreux jeux narratifs sortent, avançant dans la voie que les jeux de Quantic Dream ont contribué à paver : les jeux du studio Dontnod (dont l’énorme succès Life is Strange), les nombreux Telltale (dont l’acclamé Walking Dead), ou des pépites un peu plus indés comme What remains of Edith Finch. Pas évident donc de sortir du lot, surtout pour un nouveau studio.


Et pourtant. Et pourtant As Dusk Falls y arrive. Là où les jeux de Quantic Dream étaient plus tournés vers le cinéma, ce jeu-ci prend plutôt après la narration sérielle, que ce soit dans l’ambiance ou dans la construction même du jeu, en six parties d’environ une heure chacune. Mais au-delà de cette inspiration sérielle, on a aussi une inspiration très tournée vers la bande dessinée américaine. La grande originalité du jeu est en effet qu’il n’y a absolument aucun personnage vraiment contrôlable, aucun déplacement dans les décors. Tout se passe via des dessins numériques (travaillés à partir de véritables acteurs), en 2D dans un décor en 3D. Jamais de mouvement, seulement un effet flip book ou roman photo. Si le procédé peut être déstabilisant au début, on s’y fait finalement très bien et cet aspect graphique original et travaillé apporte une vraie valeur ajoutée au jeu, qui est donc même plus dans l’interactive drama que du pur jeu vidéo.

L’autre grand point positif du jeu, c’est aussi bien sûr son histoire. Ou plutôt ses histoires. Si la trame de fond est la même (le destin de deux familles sur 15 ans, suite à un vol qui a mal tourné et la nuit d’horreur dans un motel qui s’en suit), le destin des personnages peut très grandement changer d’une partie à l’autre et une timeline à la fin de chaque chapitre vous indique votre profil de joueu.se.r, vos choix, les différents embranchements (sans en révéler le contenu) et le pourcentage des choix faits par la communauté. C’est par ailleurs un aspect important du jeu : vous pouvez jouer seul.e mais vous pouvez aussi inviter des ami.e.s pour voter avec vous sur leur ordinateur ou smartphone, ou même enclencher un mode streamer pour voter dans le tchat. Plusieurs jeux incluent le fait de voir les choix des autres joueur.eu.ses, mais peu proposent une application pour inclure vos proches dans les vôtres. Ce qui est là aussi une nouveauté très rafraîchissante et sympa.


Ce mode de jeu inclut également le fait de pouvoir mettre son veto sur un choix : et ce n’est vraiment pas du luxe ! Les personnages sont tellement bien écrits que certains choix vont vous briser le cœur, vous triturer le cerveau ou, au contraire, vont être tellement évidents qu’ils viendront directement des tripes. Le destin des personnages, principaux ou secondaires, est entre vos mains. Et avec un grand pouvoir vient de grandes responsabilités.


Vous n’allez sans doute pas sortir indemne de ces responsabilités et de ce jeu qui exploite de nombreuses thématiques importantes : la famille, la parentalité, le suicide, le deuil, le trauma… En six heures (mais bien plus si vous souhaitez exploiter tous les choix), As Dusk Falls nous propulse dans l’Arizona profonde, où l’on veut retourner bien vite. Et puisque le jeu est divisé en deux tomes, peut-être peut-on espérer bientôt un troisième et quatrième pour continuer à suivre ces personnages si attachants et à parfois se taper la tête contre les murs suite à un choix cornélien.


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