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ANNIE COLÈRE (critique)

Dernière mise à jour : 7 avr. 2023

À l'occasion de sa sortie DVD ce 4 avril, PETTRI revient sur Annie Colère : un film discret et engagé où se mêlent tendresse et politique.

Synopsis : Février 1974. Parce qu’elle se retrouve enceinte accidentellement, Annie, ouvrière et mère de deux enfants, rencontre le MLAC – Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception – qui pratique les avortements illégaux aux yeux de tous. Accueillie par ce mouvement unique, fondé sur l’aide concrète aux femmes et le partage des savoirs, elle va trouver dans la bataille pour l’adoption de la loi sur l’avortement un nouveau sens à sa vie.


À l'heure où de nombreuses femmes perdent ce droit primordiale de par le monde (ou luttent encore pour l'obtenir), ce second long-métrage de Blandine Lenoir arrive comme une piqûre de rappel quand à sa nécessité, et au courage des femmes qui ont œuvré en son sens. On ne peut que saluer le subtil travail d'écriture de Blandine Lenoir et Axelle Ropert, ludique et précis, mais surtout poignant. En effet, leur scénario prend appui sur la thèse de Lucile Ruault : Le spéculum, la canule et le miroir. Les MLAC et mobilisations de santé des femmes, entre appropriation féministe et propriété médicale de l’avortement (France, 1972-1984). De fait, l'essence de cette époque particulière qu’est le début des années 1970 transpire à travers l'écran. On y découvre une France ouvrière en pleine évolution, pas si longtemps après les événements de mai 68, mais où l'avancée des droits sociaux (spécifiquement ceux des femmes) peinent encore à trouver leur place. Proche du film documentaire, Annie Colère est entrecoupé d'images d'archives retraçant le contexte politico-sociale des ses années charnières, et témoignant du courage et de la force de ses femmes engagées publiquement dans un combat illégal à l'époque (on y retrouve entre autre la célèbre intervention de l'actrice Delphine Seyrig sur l'avortement, archivée par l'INA). Un réel hommage à ses militantes de terrain, souvent moins connues que Simone Veil, et qui ont pourtant plus que contribué à l'avancée des droits des femmes en France.


Au même titre qu'une Annie ignorante et naïve au début du film, les spectateurs font la rencontre du MLAC lors d'une soirée de présentation alors qu'Annie cherche une solution saine et peu dangereuse pour mettre un terme à cette nouvelle grossesse non désirée. Son parcours, encadré par les bénévoles et le corps médicale, jusqu'à son avortement (illégal donc), permet de dresser un état des lieux quand aux avortements clandestins en France ; ainsi qu'au peu d'intérêt porté à la santé mentale et physiologique des femmes. Méthodes abortives, clandestinité et ses drames, contraception et méconnaissance du corps des femmes, tout est passé au crible, frontalement, mais toujours avec bienveillance et douceur. Le film ne bascule jamais dans la leçon de morale ou la violence. Pourtant la colère est là. Une colère sourde qui dicte leur engagement à ses femmes, qui choisissent de miser sur l'entraide et le soutien qu'elles s'apportent les unes aux autres. En effet, les femmes néophytes telles qu'Annie et quelques comparses découvrent un monde des possibles et un accès à une liberté qui leur avait été caché, à travers la découverte de leur propre corps, de leur libre arbitre, et surtout de leur droit de choisir. On assiste à une élévation et une émancipation jouissive de ces femmes qui resplendissent au contact les unes des autres. Une ode à l'entraide et à l'amitié.

Au delà de sa forme narrative particulièrement soignée, le film repose énormément sur son casting, mais aussi sur une douceur et une sororité parfaite. Rosemary Standley, Zita Hanrot, India Hair, et Josiane Balasko parmi la pléiade d’acteur.rice.s présents au casting interprètent une palette de personnages aussi intéressants que passionnants et passionnés. Mais individuellement très différents les uns des autres, des personnages bien écrits qui trouvent leur place dans le film à la fois en tant que groupe que de personne à part entière. Mais c'est avant tout Laure Calamy qui crève l'écran et campe le rôle d'Annie à la perfection. Le film dresse le portrait d'une femme ordinaire qui devient extraordinaire au fur et à mesure qu'elle s'émancipe. Laure Calamy possède le rôle avec une simplicité et une chaleur désarmante : de mère préoccupée par les soucis du quotidien et empêtrée dans sa charge mentale, elle évolue en tant que femme. Sa maternité bien qu’intrinsèque ne la définie plus, elle devient/redevient sa propre personne. Le personnage évolue alors en tant qu'accompagnante et bénévole au sein du MLAC afin de prodiguer aux autres les bienfaits et l'éducation qui l'ont tant transformé. À commencer par sa propre fille, jeune adolescente, avec qui elle tisse de nouveaux rapports, plus apaisés et plus honnêtes. Le MLAC lui permet d'offrir à la nouvelle génération les opportunités de réflexions et d'évolutions qu'elle n'a pas eu la chance de connaître plus tôt.


On assiste à un regroupement de femmes sans faille, sans jugement, qui veillent les unes sur les autres avec un désintérêt et une bienveillance désarmante. Pas moins de six avortements ponctuent le déroulement du film et chacun s'accompagne de sa dose de chansons, de câlins, de mots doux et de tendresse, en faisant de superbes scènes, bouleversantes et pleines d'émotions. Une beauté et une poésie qui éloignent le spectateur de l’apitoiement et de la froideur médicale. Ce sont de petites parenthèses hors du temps, dans lesquelles seule compte l'entraide que ces femmes s'apporte pour lutter contre la douleur physique et morale. Aucune femme n'a recourt à l'avortement de gaîté de cœur ; on ne cessera jamais assez de le clamer, et Annie Colère nous le rappelle à nouveau. On nous y présente des femmes de tous les âges, de toutes les castes, et de diverses situations familiales. Toutes, sans exception n'ont d'autre choix. Pourtant chaque personnage vit son avortement à sa façon, présentant ainsi tout un panel de réactions qui évite de basculer dans le drame et de le misérabilisme. Soulagement, peur, tristesse, colère, aucune justification n'est à apporter sur le ressenti des femmes, on laisse vivre les émotions et le spectateur les reçoit de plein fouet.

En cohésion avec ces personnages qui font front, quelques hommes se lient au combat de ces femmes, soit en les accompagnant dans leur parcours vers l'avortement, soit en prenant en charge les responsabilités de la maison. La finesse du film repose également sur cette non confrontation des genres (même si la communication et l'entente ne sont pas parfaites voire peuvent être difficiles), mais au contraire un profond désir d'avancer ensemble. Des maris ne souhaitant pas une nouvelle paternité, aux médecins maladroits souhaitant aider et apprendre à traiter le corps des femmes ; ces personnages masculins sont aussi touchants qu'essentiels, et ajoutent une dose de crédibilité et de justesse au film.


Annie Colère est un film réussi, qui fait du bien. En plus de la tendresse et de la sororité qui émanent du film, se dégage aussi un message d'espoir quand à l'évolution des droits des femmes dans le monde (petite victoire, le droit à l'avortement vient d'être inscrit dans la constitution française). Mais juxtaposé à l'actualité, il nous rappelle que nul droit n’est acquis, et qu'il suffira d'une crise politique pour le voir remis en question (comme l'a prouvé la cour suprême des États-Unis en faisant régresser voire supprimant le droit à l'avortement dans multiples états). Loin des clichés et des stigmatisations qui entourent l'avortement, Annie Colère apparaît comme une véritable leçon de vie où la solidarité et la bienveillance, l'éducation et la communication priment dans les batailles dont le moteur reste une rage et une profonde contestation face aux injustices. Un réel coup de cœur pour un film dont la sortie sur grand écran s'est faite plutôt discrète en fin d'année dernière : à découvrir ou revoir à la maison, cette fois-ci en DVD !


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