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LE BLEU DU CAFTAN (critique)

Récompensé en mai dernier au festival de Cannes et présélectionné aux Oscars, Le Bleu du Caftan de Maryam Touzani est sorti il y a quelques jours dans les salles françaises. Pauline Lecocq vous parle sur PETTRI de ce très beau film.

Synopsis : Halim, un maalem (maître tailleur de robes traditionnelles), est marié depuis longtemps à Mina, avec qui il tient un magasin traditionnel de caftans dans la médina de Salé, au Maroc. Le couple vit depuis toujours avec le secret d’Halim, son homosexualité qu’il a appris à taire. La maladie de Mina et l’arrivée de Youssef, un jeune apprenti, vont bouleverser cet équilibre.


Présenté à Cannes dans la section Un Certain Regard l’an dernier où il a remporté le prix FIPRESCI (prix de la critique internationale) mais également dans plusieurs autres festivals où il a récolté de nombreuses récompenses (prix du jury au festival international du film de Marrakech et au festival Chéries Chéris notamment), Le Bleu du Caftan a aussi représenté le Maroc aux Oscars où il a été présélectionné pour l’Oscar du Meilleur film étranger cette année (soit dans les 15 derniers films en lice pour la nomination, sans être retenue pour les cinq derniers). Ce long-métrage est le deuxième de sa réalisatrice et scénariste Maryam Touzani, après Adam sorti en 2020 en France. Elle a écrit le scénario en collaboration avec Nabil Ayouch, qui produit aussi le film (ce dernier est réalisateur, notamment de Much Loved, et compagnon de la cinéaste). Finement et subtilement écrit, avec une grande importance accordée aux scènes du quotidien et à leur répétition avec parfois des variations, la relation de couple entre Mina et Halim se révèle plus intéressante que de prime abord, de même que la relation entre Halim et Youssef, et Mina et ce dernier. Un trio de plus en plus complexe et intéressant se met en place, incarné par d’excellent.e.s acteur.ice.s.

L’acteur palestinien Saleh Bakri campe magnifiquement Halim avec beaucoup de sensibilité, tout en retenue, regards et gestes, lui qui semble un personnage si fragile et doux. Il s’enferme dans sa bulle de travail qui est sa passion, ce qui lui permet aussi de se cacher par rapport au monde extérieur. À l’opposé, Mina est protectrice et proactive. Lubna Azabal, également présente au cinéma en ce moment dans le très beau Pour la France de Rachid Hami, incarne ce personnage d’une grande force de caractère. L’actrice belge collabore pour la deuxième fois avec Maryam Touzani après Adam et livre une prestation incroyable en épouse forte et solaire, malgré sa maladie. Enfin, l’acteur marocain Ayoub Missioui interprète à merveille le discret et fascinant Youssef, qui devient un personnage beaucoup plus profond que son apparence physique ne le laissait supposer.

Pour les accompagner dans cette histoire faite de non-dits et de silences, Maryam Touzani adopte une mise en scène en plans fixes ou caméra à l’épaule, adepte des gros plans sur les visages et les corps de ces personnages, comme semblant les sonder pour nous donner accès à leur âme et leurs pensées. La photographie de Virginie Surdej est absolument sublime et confère au film son aura sensuelle, avec l’importance capitale des tissus (leurs textures, leurs couleurs) et du savoir-faire du maalem dans sa gestuelle.

Une vraie force traverse ainsi ce long-métrage grave et lumineux. Son rythme volontairement lent est nécessaire pour bien décrire les relations entre ses personnages, et les changements qui s’opèrent petit à petit, via des scènes et des gestes du quotidien. C’est un film sur l’acceptation (de la mort qui arrive, de l’orientation sexuelle, bref de notre humanité en somme) fait avec une grande délicatesse, pudeur et sensualité à la fois. Il met aussi en lumière un métier qui tend à disparaître : le maalem, artisan et artiste de la confection d’habits portés pour les grandes occasions et qui se transmettent de génération en génération. In fine, c’est aussi un film critiquant la société conservatrice et patriarcale qui étouffe les femmes comme les hommes, montrant bien les problèmes liés à ses conventions et ses carcans. Il en devient un doux hymne à la modernité, pour l’évolution des traditions. On ne peut d’ailleurs s’empêcher de penser aussi à Joyland, long-métrage également présenté à Cannes (et qui y a remporté la Queer Palm), avec un autre magnifique personnage d’épouse et une critique de la société patriarcale (pakistanaise cette fois-ci).

Cinéma à la fois sensuel et intime, Le Bleu du Caftan est un grand et beau film d’amour et de liberté qu’il faut vraiment aller voir.


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