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AMERICAN HORROR STORY : NYC (critique S11)

Diffusée sur MyCanal, la onzième saison de la série anthologique d’horreur American Horror Story prend des détours aussi surprenants que passionnants. Jofrey La Rosa nous parle de cette grande fournée pour PETTRI.

Ça fait bien longtemps que beaucoup ont quitté le navire American Horror Story. En effet, rien de plus normal quand c’est la onzième saison et il y a même une série anthologique spin-off depuis deux ans. Mais il doit bien rester quelques téléspectateurs, puisque FX continue de produire cette série-phare de la scène horrifique actuelle. Je dois avouer que personnellement, j’ai toujours regardé cette série d’un œil curieux, depuis les premières saisons très réussies (1,2,3), à celles qui le sont beaucoup moins (4,5,6,9). Mais parfois, Ryan Murphy et Brad Falchuk trouvent un angle intéressant, comme ils l’avaient fait en saison 7 (Cult), en mettant l’horreur américaine à l’épreuve de la victoire politique de Trump. Dans la saison suivante (Apocalypse), ils tentaient le regroupement des personnages de plusieurs saisons – parce que oui, pour les novices, chaque saison d’AHS est indépendante, dotée d’intrigues et de personnages complètement différents. Et après des saisons en demie-teinte, on attendait pas grand chose de cette saison 11, sous-titrée NYC.


Je ne vais pas (me) mentir, j’aime beaucoup le travail de Ryan Murphy. Je trouve que son point de vue est toujours intéressant, sa sensibilité reconnaissable entre mille, et ses obsessions saines et louables. Mon incompréhension était donc totale devant la polémique provoquée par sa mini-série Dahmer. Le point de vue me semblait d’une limpidité telle, que je ne comprenais pas les critiques le concernant dans cette série que je jugeais plutôt réussie et nuancée. À peine quelques semaines plus tard, la première saison de The Watcher confirmait la bonne forme de ce prolifique auteur de séries, avant que je ne lance donc sans trop d'attente cette onzième (!) saison d’American Horror Story. Et quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai découvert ce qu’en avaient fait Murphy et Falchuk ! Loin des monstres, des sorcières et autres apparitions fantomatiques des précédentes saisons, cette saison NYC s'avère plus terre-à-terre. Prenant place en 1981 à New-York, un flic qui assume depuis peu son homosexualité (Russell Tovey) doit mener l’enquête sur une série de meurtres qui frappe la Grosse Pomme, dans l’indifférence générale : et pour cause, toutes les victimes sont gays.


Penchant plus du côté du thriller que de l’horreur pure, AHS : NYC semble d’abord insaisissable, parce qu’à la fois plus que typique du style Murphy, mais aussi à mille lieues des tropes à l’œuvre dans la série en temps normal. Plus expérimentale et plus symbolique, cette saison semble moins immédiatement efficace dans l’horreur, parce que moins frontalement référentielle à un type d’épouvante habituelle : la maison hantée, l’asile psychiatrique, les sorcières, le found-footage, les OVNI, les vampires… American Horror Story a fait le tour du problème. Ici, la référence évidente et immédiate semble être plus proche du Cruising de William Friedkin (1980) : un choix plus pointu - et plus film noir à ambiance thriller. Cependant, le tueur en série ne tarde pas à se montrer, accoutré d’un masque en cuir et un costume assorti, le Big Daddy, comme l’appellent les personnages de la série, est un archétype de la représentation gay, ici menacant mais somme toute stoïque. Mais comme souvent dans AHS, les apparences sont parfois trompeuses, et il est nécessaire de fouiller. C’est en fait un réel homme, physiquement proche de tous les serial-killers classiques (avec des lunettes type Jeffrey Dahmer d’ailleurs) qui sévit, alors que Big Daddy n’est en réalité qu’un symbole, une personnification.

Plus proche de la branche elevated-horror en vogue en ce moment, AHS : NYC a un ton plus sobre, malgré une écriture rapide et fragmentée, plutôt typique des productions Murphy-Falchuk. En cela, ça en fait une habile illustration certes, mais aussi une synthèse parfaite des obsessions thématiques et formelles de cet auteur majeur de la télévision contemporaine : l’horreur, le crime, la communauté LGBTQ+ (en particulier ici les gays), l’Histoire américaine, le divertissement, les années 1980, le mélange de tons, le côté over-the-top, New-York… Tout y est. Dans cette saison à part, American Horror Story prend de front le fléau du SIDA à l’orée des années 1980 à New-York, notamment dans la communauté homosexuelle, comme Murphy et Falchuk l’avaient déjà abordé dans la fabuleuse Pose (à découvrir d’urgence si ce n’est pas déjà fait). En effet, la figure menaçant de Big Daddy symbolise en effet le virus (jamais nommé), qui vient harceler les différents personnages, puis leur prendre la vie d’un coup. En parallèle, une scientifique (Billie Lourd) découvre puis étudie une maladie, donc les origines oscillent entre le complot et le mystère pur, entre une source bactérienne et un virus. Évidemment, comme souvent chez Murphy, ça part dans tous les sens, tant les personnages et le monde sont all-over-the-place, mais il faut de toute façon adhérer au style, si particulier, de l’artiste.

Dans un incroyable exercice de style équilibriste sur le deuil, la revanche et l’uchronie, AHS : NYC nous montre, dans un ultime double-épisode, l’épreuve collective que fût l’épidémie du SIDA pour la communauté gay new-yorkaise des années 1980, dans un ballet onirique morbide rappellant autant David Lynch (Twin Peaks, Island Empire) que Bertrand Mandico (After Blue, Les Garçons Sauvages). Pas étonnant donc, de retrouver Jennifer Lynch à la réalisation d’épisodes, fille de David, proche collaboratrice de Ryan Murphy (AHS, The Watcher, Ratched, Dahmer, 9-1-1), qui vient convoquer le fantôme filmique de son père, accompagnée d’un directeur de la photographie prometteur : Stanley Fernandez Jr. Son travail feutré, baroque et beau en diable, élève un matériau filmé en numérique, mais abondamment travaillé pour un rendu pellicule, granuleux et aux fabuleux halos de lumière. La saison est sublime esthétiquement, plus encore quand l’onirisme vient en contrepoint disruptif à la noirceur sassy ambiante. Les nombreux montages sont puissants et émouvants, au rythme de Kraftwerk ou I’m Calling You, reprise par Patti LuPone. Mais la musique originale, toujours signée Mac Quayle, trouve un ton plus proche de John Carpenter, avec des synthés inquiétants très 80’s.


Au casting, on a les usual suspects du crew Murphy : on a déjà vu Joe Mantello dans The Normal Heart, Hollywood et The Watcher, ainsi qu’à la réalisation et la production de The Boys in the Band. Mais on a aussi Zachary Quinto (AHS, The Boys in the Band), Billie Lourd (Scream Queens, AHS, American Horror Stories), Denis O’Hare (AHS, The Normal Heart), Leslie Grossman (AHS, Popular, Nip/Tuck), Sandra Bernhard (AHS, Pose) et Isaac Cole Powell (AHS). Charlie Carver (Desperate Housewives, The Boys in the Band, Ratched) est lui aussi de la partie, mais produit aussi l’intégralité de la saison, en plus d’en écrire quatre épisodes-clés. Mais l’acteur principal de cette série s’avère être un novice de la troupe murphyesque : l’anglais Russell Tovey (Looking) intègre la série pour mener ce récit touchant et touchy, avec une force audacieuse. Tout ce petit monde navigue dans une intrigue serpentine qui trouve son paroxysme dans un ultime double-épisode déchirant, aussi soigné que sublime, qui élève le matériau de ce que proposait jusqu’alors American Horror Story à un stade artistique peu commun. Incroyable comme après onze putains de saisons, une série peut encore surprendre, proposer des choses nouvelles et expérimenter, sans jamais tourner le dos à ce qu’elle est depuis le début. AHS : NYC est une prouesse de série télévisée, forte, émouvante, trépidante et sublime, qui touche (presque) au chef-d’œuvre.

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