L'hyperactif producteur-scénariste-réalisateur Ryan Murphy est un homme qui ne semble ne jamais dire non à un nouveau projet. Mais comment fait-il pour jongler avec toutes ses œuvres ?
À l’heure où on écrit ses lignes, un certain Ryan Murphy a 11 séries en cours ou en développement, avec quasiment autant de titres qui ont trouvé une conclusion - plus ou moins volontaire ou complète on le verra. En plus d’une carrière sérielle et télé, cet homme a également quatre longs métrages à son actif, dont deux ont trouvé le chemin de plus en plus fertile des films qualifiés « câble et streaming », et ce dès 2014, avec The Normal Heart (on reviendra sur le second plus tard). Avant ce film HBO avec Mark Ruffalo et Matt Bomer, il avait réalisé le quelque peu oublié Running with Scissors (Courir avec des ciseaux) en 2006, qu’il avait produit avec le couple Pitt-Aniston, avec un beau casting : Annette Bening, Joseph Fiennes, Gwyneth Paltrow, Brian Cox, Evan Rachel Wood, Alec Baldwin et Patrick Wilson. Dans ce film sensible et familial, comme il y en a eu une tripotée à l’époque dans le cinéma américain de la marge (The Kids Are All Right, The Royals Tenenbaum, Another Happy Day), Murphy convoque toutes ses obsessions et sa sensibilité.
Ryan Murphy a grandi dans une famille de la classe moyenne de l’Indiana, irlandaise et catholique, dans laquelle il dénote en tant que gay qui s’assume, mais toujours fervent pratiquant. D’abord journaliste, il vire vers l’industrie ciné-télé dans les années 1990 quand son scénario nommé Why Can’t I Be Audrey Hepburn? est acheté par Steven Spielberg pour Dreamworks (mais n’a jamais été produit). Il s’associe ensuite avec Gina Matthews en 1999 pour créer Popular, une série teen corrosive, absurde et sensible sur deux adolescentes aux deux extrémités du spectre de la popularité dans leur lycée, obligées de cohabiter lorsque leur parents décident de se marier, et devenant de fait demi-sœurs. Sorte de prototype de Glee, la série durera deux saisons, durant lesquelles Ryan Murphy trouvera un ton et une écriture qui le caractériseront dans sa carrière à venir. Incisif, grand-guignolesque et cru, il arrive à trouver l’émotion dans les petits riens tout en exagérant les traits d’une société américaine brisée par les apparences. Et rien de mieux pour montrer cela que dans sa création suivante, Nip/Tuck, qu’il écrit, produit et réalise avec Brad Falchuk, bras droit plus qu’important sur toute sa carrière. En effet, dans cette série diffusée entre 2003 et 2010 sur FX (et le groupe M6 en France), il est question de deux chirurgiens esthétiques à Miami, aussi amis dans la vie que différents : l’un est un family guy doutant de sa masculinité, l’autre est un Casanova insipide et vieillissant. Le gimmick de la série deviendra le fameux « Tell me what you don’t like about yourself » (« Dites-moi ce que vous n’aimez pas chez vous »), passant de ce simple prétexte esthétique pour aller plus en profondeur dans l’esprit humain, souvent étrange, voire dérangé ou pire, malsain ou malade. Nip/Tuck est en effet typiquement une série de personnages, tous des anti-héros détestables, drama sexy et bitchy proche du soap-opera, novateur et audacieux, où les intrigues sur le long (chaque saison a un arc global) ou court terme (chaque épisode est bouclé) sont classiques mais traitées avec modernité et originalité, même si plus d’une fois la série dépasse la ligne du bon goût pour aller triturer les tréfonds de l’âme humaine occidentale. C'est en 2008, durant la production de Nip/Tuck, qu'il écrit et réalise un pilote de série drama nommée Pretty/Handsome, avec Joseph Fiennes, montrant un père de famille prévoyant un changement de sexe, mais qui n'a jamais vu le jour. Sans doute trop tôt pour ce genre de thématique... Drôle de virage donc, qu’avant la fin de Nip/Tuck, Murphy migre sur le network Fox pour y co-créer Glee, toujours avec Brad Falchuk mais également avec Ian Brennan, qui deviendra lui aussi un collaborateur régulier. Avec Glee, il retourne à une série se déroulant durant les années lycée, chantonnante et plutôt sur l'axe de la comédie, avec laquelle il arrive à attraper son époque, ce qui fera sa force par la suite. C'est avec ses obsessions plus sombres, des thèmes plus réalistes, que les trois hommes font entrer la teen comedy musicale dans le 21ème siècle : il est question de sexualité(s), de grossesse adolescente, de racisme, de représentation LGBT, autant de thèmes casses-gueules traités, souvent avec délicatesse et nuance, dans cette série pourtant feel-good positiviste, faisant la part belle aux titres pop et aux belles couleurs vives. Mais avant de prendre les rênes de ce nouveau hit télé, Murphy se tente une nouvelle fois au film de cinéma en 2009 avec Eat Pray Love (Mange Prie Aime), l’adaptation d’un best-seller avec Julia Roberts pour Columbia, avec lequel il ose dilater un récit en trois actes distincts à la fois bancal et ambitieux. À ce jour, il n’est jamais vraiment revenu au film de studio.
En parallèle, le succès de Glee devient fou, et la série s’incruste dans toute la pop culture de l’époque – on parle de Glee partout : à la machine à café, sur internet, dans les cours d’école, dans d'autres séries et films – l’impact est énorme et immensurable. Murphy, Falchuk et Brennan se partagent l’écriture des 44 premiers épisodes (les saisons 1 et 2) avant d’ouvrir leur staff de scénaristes à d’autres têtes, alors que Murphy et Falchuk vont créer une nouvelle série pour FX : American Horror Story. La saison 1 de cette série horrifique commence en 2012 avec un casting soigné et étonnant : on retrouve Dylan McDermott, Connie Britton, Evan Peters, Taissa Farmiga, Denis O’Hare, Frances Conroy et surtout Jessica Lange, qui signe son retour en trombe dans l’industrie avec un rôle tout en nuances et en folie. L’originalité de cette série - outre son esthétique, son ton et sa narration sur lesquels on reviendra – c’est sa nature anthologique par saison. Chaque saison est indépendante des autres, avec une histoire complète et bouclée à chaque fois, des acteurs revenant même dans les saisons suivantes dans des rôles complètement différents, interprétant même plusieurs personnages dans une seule et même saison (Evan Peters dans la saison 7 Cult par exemple). Ce format plus que particulier lui permet de ne pas perdre sa série en route, ce qu’il a tendance à faire sur la durée (Nip/Tuck, Glee). Cela lui permet aussi de créer une espèce de phénomène de troupe (il adore le théâtre), en convoquant de nouveau les mêmes acteurs dans d'autres rôles de saison en saison. American Horror Story est aussi le témoin de l’art total de Murphy, qui aime par-dessus tout les extrêmes.
Et pour nous étendre un peu plus sur ce point, revenons un petit peu sur la saison 8, nommée Apocalypse, dans laquelle les scénaristes ne se restreignent plus des simples mentions obscures aux autres saisons uniquement pour les initiés, mais mixent la saison 1 à la saison 3 tout en instaurant une mythologie supplémentaire à toute cette saison folle mettant un groupe de sorciers et de sorcières (qu’on dissocie bien pour un discours plus qu’actuel) à la tête d’un monde post-apocalyptique après l’intervention du fils du diable. WTF hein? Sauf que c’est fait avec tellement de générosité et de clinquant que le plaisir n’en est que redoublé. Les saisons d’American Horror Story se décomposent dans des lieux communs de l’horreur :
- la saison 1 dans une maison hantée (Murder House)
- la saison 2 dans un hôpital psychiatrique un peu particulier (Asylum)
- la saison 3 dans une école de sorcières à la Nouvelle-Orléans (Coven)
- la saison 4 dans une foire aux monstres (Freak Show)
- la saison 5 dans un hôtel de toutes les horreurs (Hotel, où se croisent déjà des personnages des saisons 1 et 3)
- la saison 6 prend quant à elle un virage un peu particulier avec une intrigue entre le found-footage et la télé-réalité dans une maison isolée (Roanoke)
- la saison 7, plus proche de l’actualité (Trump/féminisme), suit la fondation d’une secte meurtrière (Cult).
- la saison 8, en forme de grosse partouze complètement WTF entre sorcières et diable en pleine apocalypse (Apocalypse)
- la saison 9 revient à un schéma plus classique, référentiel et decerebré, dans un pastiche des slashers 80’s teen se déroulant dans un camp d’été (1984)
Mais durant ces neuf saisons, Ryan Murphy est loin de s’y être consacré à plein temps, puisqu’il arrive à poursuivre Glee, tout en créant la sitcom The New Normal à la rentrée 2012, qui ne durera (malheureusement) que le temps d’une saison de 22 épisodes. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne chôme pas, même sur ses séries au succès plus modeste : il co-écrit cinq épisodes de The New Normal et en réalise même quatre. Cette sitcom ultra-moderne et intelligente nous raconte comment une jeune femme accepte de devenir la mère porteuse d’un couple de jeunes hommes gays. Outre le fait d’être très drôle et maline, The New Normal est aussi hystérique, politique, émouvante et éminemment personnelle pour Murphy, presque trop, puisque son mari et lui ont dû faire face à la même situation lorsqu’ils ont voulu avoir leur premier enfant (ils en ont deux maintenant).
C’est aussi dès la deuxième saison d’American Horror Story qu’il trouve son rythme de croisière : écrire deux épisodes par série et par saison, et d’en réaliser jusqu'à quatre, exception faite de Scream Queens en 2015-2016, produite à six mains avec la même équipe que Glee, qui venait de se terminer sur Fox. En effet, Murphy, Falchuk et Brennan se partagent l’écriture de l’ensemble des 23 épisodes sur deux saisons, en plus de réaliser eux-mêmes un total de sept épisodes. Cette série est une satire horrifique complètement over-the-top se déroulant dans une des sororités d’une grande université américaine, où se croisent devant la caméra de jeunes talents comme Emma Roberts, Billie Lourd, Lea Michele, Nick Jonas ou Glen Powell, accompagnés de John Stamos et Jamie Lee Curtis. Le second (voire 3ème) degré de la série peine à passionner les foules et la critique, tant pour le ton décalé que pour l’aspect plus horrifique, antinomique avec les attitudes outrancières de ses personnages complètement déconnectés de la réalité – et de l’horreur qui se trame dans leur environnement. Mais le talent de Murphy et de ses équipes opère bel et bien, ficelant un divertissement irrévérencieux et détaché, sarcastique et à la terreur fun. Avec Scream Queens, il prend le pendant d’une série concurrente (l’adaptation télé de la saga ciné Scream sort peu ou prou au même moment) pour mixer des succès personnels : la série se situe quelque part entre Glee et American Horror Story, dans un entre-deux sirupeux et weird. Mais même au-delà des défauts de la série, on voit le (mauvais) goût certain de la petite troupe pour la parodie de slasher, dans cet environnement teen parfaitement à propos et typique de ce genre de production, dont on s’amuse des codes et des systématismes, dans un déferlement de too-much parfaitement bitchy et tape-à-l’œil.
C'est à ce moment que Ryan Murphy va s'éclipser de l'horreur pour aller tenter sa chance dans la mode du true crime, sans quitter pour autant ses obsessions grandiloquentes : avec American Crime Story, conçue comme la sœur d'AHS dans une forme anthologique où chaque saison est indépendante des autres, chacune déployant une histoire complète et finie, basée sur une affaire criminelle réelle. La première saison, réel chef d'œuvre tonal et formel, prend l'affaire O.J. Simpson et en fait un roller-coaster bitchy et surréaliste à la limite du crédible (alors même qu'il reste fidèle à l'affaire), s'attardant par instant sur les pourtant anecdotiques Kardashian, pour mieux parler du monde de l'époque et celui, encore plus fou, d’aujourd’hui. The People Vs. O.J. Simpson est doté d'un casting dément allant de l'habituée Sarah Paulson à des personnalités plus inédites à la télévision (John Travolta, Cuba Gooding Jr) en passant par de nouveaux venus dans le paysage murphyen (David Schwimmer, Courtney B. Vance, Sterling K. Brown). Pour la deuxième saison, Murphy et ses équipes décident de partir sur le meurtre de Gianni Versace, le célèbre créateur de mode assassiné en 1997 à Miami. Outre la présence des stars Edgar Ramírez et Penélope Cruz, on retrouve le chanteur Ricky Martin, mais surtout un rejeton de Glee, qui leur vole à toutes et à tous la vedette : Darren Criss. Interprétant Andrew Cunanan, l'assassin de Versace, Criss déploie une partition tout à fait captivante, entre la folie et la subtile présence inquiétante de l'origine du Mal. Si la saison est plus éparse et généralement moins saisissante que la première, The Assassination of Gianni Versace n'en reste pas moins puissante et parfois même lyrique. Mais en total cercle vertueux, Murphy crée Feud en compagnie de Jaffe Cohen et Michael Zam, nouvelle série d'anthologie, où chaque saison raconte une querelle célèbre et réelle, la première étant celle de Bette Davis et Joan Crawford, deux éminentes actrices de l'âge d'or hollywoodien. Sur les huit épisodes de cette première (et finalement unique) saison, Murphy en a écrit deux et réalisé trois, avant de passer à une nouvelle série, située dans la ball culture (littéralement la culture du bal) dans le New-York des années 1980 : Pose. Il coécrit sept épisodes et en réalise trois, imposant un style clinquant et subtil, dans un univers à la fois étincelant et dur, entre les galères du quotidien et la frange LGBTQ+ d'un New-York en pleine mutation. Témoin de cet univers grandiloquent, le personnage d'Evan Peters (décidément un grand habitué des productions Murphy), père de famille et mari doutant de son hétéro-normalité, tombe peu à peu amoureux d'Angel (Indya Moore), une femme trans prostituée qui trouve quant à elle trouve refuge dans la nouvelle « maison » de Blanca Evangelista (Mj Rodriguez), elle aussi une femme trans, qui vient d'être testée positive au VIH. Cette « maison », c'est le principal intérêt de cette série où l'amour maternel n'a rien à voir avec les gênes ou l'éducation, mais avec l’entraide et la famille qu'on trouve. Toujours bienveillante et belle, la série déploie sur les dix-huit épisodes de ses deux saisons un enchevêtrement de beautés en tout genre, où l'amour est partout (amical, sexuel, filial, adoptif), et qui fait chaud au cœur et fait couler les larmes, dans un type d'émotion encore jamais vu chez Murphy. En plus de tout ça, on a le droit à un James Van Der Beek (Dawson) en employé de Trump, clone de son patron (cheveux blond et cravate rouge), commentant également la culture d'inégalité, entre la terreur et la haine, que prône le président des États-Unis de l’époque. Mais Pose est surtout une grande réussite douce et âpre, aussi inattendue que pure, dont on attend encore la troisième saison.
Mais comment en est-il arrivé à co-créer un medical procedural comme 9-1-1, avec ses partenaires habituels Brad Falchuk et Tim Minear ? En effet, depuis début 2018, Murphy a créé ce drama très classique pour le network Fox (Glee, Scream Queens) dans l'univers des services d'urgences (policiers, pompiers, ambulanciers) de Los Angeles, à la manière d'une très bonne série du début du siècle, New York 911 (Third Watch). Le succès est tel qu’un spin-off est créé : 9-1-1 Lone Star, avec Rob Lowe et Liv Tyler. Et si les deux séries n'excellent pas par un excès d'originalité, on retrouve certains thèmes chers à l'équipe de Murphy : coming-out, diversité, suicide et addictions d'adolescents, etc. Et même si les deux séries partent parfois sur des territoires mélodramatiques, on a le droit à de l'action forte en adrénaline et un casting au diapason, comprenant pas moins qu'Angela Bassett, Connie Britton ou Kenneth Choi, ayant tou.te.s déjà fait un tour chez Murphy auparavant. La fidélité de cet auteur (parce qu'à mon humble avis on peut le qualifier de la sorte) n'aurait donc d'égal que sa versatilité et sa capacité de production tout bonnement incroyable, d'autant plus que c'est rarement au détriment de la qualité, quasiment toujours constante. Dans une (excellente) table ronde du Hollywood Reporter, on pose la question à Ryan Murphy du pourquoi il a tant de projets sur le feu. Sa réponse est sans équivoque : dans cette industrie, quand on a l’opportunité d’avoir des réponses positives, on fonce, car on a pris l’habitude à des années de « non ». Et ce n'est qu'après qu'on apprend à jongler avec les projets, grâce à une équipe de 3 ou 4 proches collaborateurs qui lui permettent d’avoir la mainmise sur l’ensemble de tous ces projets simultanés. La réduction du nombre d’épisodes par saison de nos jours semble également un facteur déterminant dans sa vision de son ubiquité.
Hyperactif et pieuvre créative, Ryan Murphy réussit depuis quelques temps maintenant à monter des projets osés et edgy sur son simple nom, que ce soit des séries de genre pointues, des dramas évoquant des sujets brûlants ou des procedurals sensibles. Son côté « à la frange » séduit sûrement, mais c'est bel et bien son écriture émotionnelle et la subtilité de sa mise en scène qui prouvent son honnêteté et sa sensibilité toujours à fleur de peau. Ses obsessions, qu'elles soient formelles (les grands angles, le surdécoupage, les travellings, pour simplifier à l'extrême ses automatismes) ou récitatives (les cliffhangers, les montages musicaux, les révélations chocs), sont des attributs qui enrichissent sa patte (et son aura à la fois auprès des studios et des spectateurs). Sa capacité à travailler en équipe, collaborer, déléguer, prouve son ancrage pur et dur dans l'industrie hollywoodienne qu'il adore depuis enfant (ce qu'il a définitivement prouvé avec Feud puis plus tard Hollywood), mais s'applique à la faire entrer dans le 21éme siècle en embauchant de nombreuses femmes dans ses writers' room et à la barre de beaucoup d'épisodes de ses séries, ainsi que des réalisateurs/trices LGBTQ+ ou issu.e.s de minorités. C'est ainsi grâce à lui qu'on a découvert, dans Glee et American Horror Story, le talent d'Alfonso Gomez-Rejon, réalisateur de l'excellent The Town That Dreaded Sundow (2014, produit par Murphy), de Me and Earl and the Dying Girl (2015) et de The Current War (2018). Jusqu'alors réalisateur de seconde équipe pour Iñarittu, Ephron, Affleck ou un certain... Ryan Murphy, Gomez-Rejon réalise huit épisodes de Glee et douze pour AHS, avant de se diriger vers le cinéma. C'est avec le méconnu remake méta d'un classique de l'horreur qu'il signe son premier long, avant de remporter le Grand Prix à Sundance avec Me and Earl and the Dying Girl, un drame adolescent parfaitement maîtrisé doté d'une musique de Brian Eno et produit par Dan Fogelman (This is us, Crazy Stupid Love). Avec The Current War, il part sur les territoires du drame historique en mettant en scène la guerre que se sont livrés Edison, Westinghouse et Tesla pour imposer leur version du réseau électrique naissant. Le film, avec Benedict Cumberbatch, Michael Shannon, Nicholas Hoult et Tom Holland, fait partie de tous ces films quelque peu retardés par le scandale Weinstein (qui officiait comme producteur exécutif via The Weinstein Company) mais qui est finalement sorti en 2020, dans sa version director’s cut, non charcutée par Weinstein.
Réalisateur grandiloquent et sensible, scénariste avec un sens du concept pointu et producteur interventionniste et quasi-publicitaire, Ryan Murphy est à la fois un fruit d'Hollywood, un magnat navigant dans les codes actuels de la production, et un témoin des changements pour le meilleur qui s’opèrent en coulisses. Alors oui, il a un côté too-much (dans tous les sens du terme), mais il assume une vision de l'industrie omnipotente et immensément belle, alternant entre tous les genres et ayant un vrai sens de la troupe, tant au niveau des comédiens que de ses collaborateurs en coulisses. En 2019, il signe un deal avec Netflix, à hauteur de 300 millions de dollars. Ça lui permet de développer toute une tripotée de projets, qu’il chapeaute de plus ou moins loin, en plus de continuer à s’occuper de ses séries historiques. Mais bien qu’il ait cette multitude de projets sériels, il a trouvé le temps de faire un nouveau long-métrage en 2020 : The Prom, adapté d’une comédie musicale de Broadway. Très camp et progressiste, ce film musical sorti sur Netflix met en scène Meryl Streep, James Corden et Nicole Kidman, stars new-yorkaises de Broadway venant en aide à une jeune lesbienne dont le lycée refuse qu’elle n’invite son amoureuse au bal de promo. Là encore, l’œuvre ne brille pas par sa subtilité, mais explore encore davantage si c’était nécessaire les obsessions thématiques et formelles chères à son auteur : l’identité homosexuelle, l’explosion chantée, les mouvements de danse, les couleurs vives… Cette même année, il produit également une nouvelle adaptation de The Boys in the Band pour Netflix, pièce-étendard de la culture gay de 1968, dont une première adaptation avait été faite en 1970 par William Friedkin. Ici, nous retrouvons beaucoup des acteurs habitués à l’écurie Ryan Murphy : Zachary Quinto, Jim Parsons, Matt Bomer, Andrew Rannells ou Charlie Carver sont de la partie. Le film est un huis-clos assez beau et subtil, où un groupe d’hommes homo sont en pleine catharsis verbale. Pour la plateforme au “toudoum”, il produit également deux documentaires : A Secret Love, qu’il coproduit avec Jason Blum, traitant d’une relation lesbienne secrête, et Circus of Books sur un haut-lieu de la pornographie gay. Mais il réussit également à produire deux saisons de The Politician, dont l’intrigue s’articule autour d’un jeune homme ambitieux qui se rêve président des États-Unis. Là encore, inclusion et projet en équipe puisque Murphy ne réalise que le pilote, écrit une flopée d’épisodes mais laisse la barre à ses proches collaborateurs Brad Falchuk et Ian Brennan. La majorité des épisodes sont réalisés par des femmes et à l’écran, la variance de genre est un sujet majeur abordé, ainsi que les sexualités, qui sont toujours questionnées et au cœur du propos politique. Dans la mini-série Hollywood, Murphy et ses comparses abordent comme une utopie le changement de paradigme sur les questions d’inclusion si elles étaient arrivées plus tôt dans l’histoire de l’industrie du cinéma. En effet, dans ce récit toujours bienveillant, au sortir de la Seconde guerre mondiale, Hollywood s’éveille aux problématiques de représentation positive des populations de couleurs, non-blanches et/ou de sexualités diverses. Le “et si ?” hollywoodien rappelle évidemment le film de Tarantino sorti en 2019 (Once Upon A Time… in Hollywood) mais ici, le message est plus actuel, plus doux, plus politique aussi. Nous sommes avec Hollywood au sommet du système murphyien. Ensuite, il s’aventure dans le prequel amusant Ratched, qui met en scène Sarah Paulson dans la peau de l’infirmière de Vol au dessus d’un nid de coucou, dans une série à la fois glaçante et toujours engagée, abordant encore les mêmes obsessions formelles (grands angles, couleurs vives, mouvements de caméra...) et thématiques (la filiation, la sexualité, la folie). Tout cela n’est évidemment pas du tout fini, puisque beaucoup de ces projets sériels sont encore en production, pour de nouvelles saisons ou axes. Et on peut voir une tendance de l’auteur aux anthologies ou à des formes plus sérielles, qui lui garantissent des terrains d'explorations fertiles et viables, pouvant aborder un peu tout ce qu'il a envie. On n'a donc pas fini d'entendre parler de diverses histoires d'acceptation, de familles louches, de sexualités multiples ou des travers de notre société, que ce soit dans le drame pur, l'horreur, la comédie, le procedural ou autres, d'autant plus qu'après avoir signé ce fameux deal avec Netflix, il n'a pas moins de quatre nouvelles séries qui vont voir le jour en 2021/2022 (en plus des autres) : American Horror Stories (un spin-off où chaque épisode sera indépendant), Consent, One Hit Wonders et Monster: The Jeffrey Dahmer Story. De quoi donc s'enthousiasmer pour la suite !
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