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ZODIAC (critique)

Aujourd'hui marque les 15 ans de la sortie dans les salles obscures françaises de l'immense Zodiac de David Fincher. Pauline Lecocq revient sur ce chef d'œuvre sur Pettri.

Le long-métrage dépeint la traque du tueur du Zodiaque qui a terrorisé la région de la baie de San Francisco à la fin des années 60 et au début des années 70. Ce tueur en série se jouait des policiers et des journalistes, par exemple en envoyant des lettres et des messages codés revendiquant ses meurtres. Fincher a été marqué durant son enfance par cette période : le climat d'angoisse était tel que des policiers surveillaient les bus scolaires que le futur réalisateur utilisait. Des décennies plus tard, il adapte le livre de Robert Graysmith (qu’interprète Jake Gyllenhaal) et nous fait la peinture d’une époque et d’un pays en plein changement, ainsi que d’une Californie faussement ensoleillée et insouciante. Après tout, Charles Manson et la « famille Manson » commettent une série de meurtres dans la région de Los Angeles au même moment. C’est donc un tournant pour l’Amérique et pour la police. Le film est par conséquent ancré dans son époque et est marqué par les problèmes administratifs entre cantons qui ralentissent considérablement l’enquête. D'autant plus qu’en ce temps-là rien n’est informatisé donc tous les documents sont fait à la main et doivent être consultés en se déplaçant. On est alors aux balbutiements du matériel d'investigation et du profilage criminel, qui seront au centre de l'excellente série que Fincher produira (et réalisera en partie) ensuite : Mindhunter.

Grâce à un scénario ultra documenté et détaillé de James Vanderbilt (adapté du livre de Robert Graysmith), on est tout de suite plongé dans cette enquête passionnante. Fincher, Vanderbilt et le producteur Bradley J. Fischer ont d'ailleurs passé 18 mois à mener leur propre enquête et à faire de nombreuses recherches pour préparer le film.

Présenté au Festival de Cannes en 2007 et reparti bredouille (chose que nous ne comprenons toujours pas à ce jour), Zodiac est une enquête passionnante mais explore aussi la représentation de la violence, froide et terrifiante (on pense aux meurtres au bord d’un lac). De plus, le long-métrage joue même parfois avec les codes du film d’horreur : voir cette scène tout bonnement terrorisante où le personnage de Jake Gyllenhaal descend dans une cave (sentiment qui se produira de nouveau avec l’acteur via une scène dans Prisoners quelques années plus tard !). Par ailleurs, la sobriété millimétrée de la mise en scène de Fincher est à remarquer, avec beaucoup de plans fixes mais toujours très composés, quelques ralentis, des travellings latéraux, inspirés par Les Hommes du Président (1976) d’Alan J. Pakula (notamment les scènes de bureau des journalistes). De façon générale, il y a toujours des angles intéressants, surprenants et des images très élaborées qui vont marqueront. Connu pour son perfectionnisme, Fincher alla jusqu’à tourner 70 prises pour certaines scènes, ce qui n’était pas du goût de tous les acteurs ! Le cinéaste opère également un virage au niveau de la photographie (ici avec Harris Savides) qu’il va développer dans ses films suivants : l’image devient monochrome et tire sur le gris, les couleurs sont désaturées, effets que l’on retrouvera particulièrement ensuite dans Millénium les hommes qui n’aimaient pas les femmes (2011) et Gone Girl (2014), tous deux réalisés avec le directeur de la photographie Jeff Cronenweth. Tout ceci concorde à créer une tension permanente qui va aller crescendo.

Durant cette enquête, le long-métrage nous dépeint la confrontation puis l’alliance de trois hommes très différents : un inspecteur de police (Mark Ruffalo), un journaliste (Robert Downey Jr.) et un dessinateur fasciné par les casse-têtes et les codes (Jake Gyllenhaal). Les acteurs sont sobres, parfaits et magiques. Jake Gyllenhaal sortait de l’immense succès de Brokeback Mountain (2005), Robert Downey Jr. était sur le retour avec Kiss Kiss Bang Bang (2005) et était sur le point de tourner Iron Man (2008) avec la réussite que l’on connaît. Quant à Mark Ruffalo, venu du circuit indépendant, il n’était pas encore The Hulk et commençait à accéder à des rôles principaux dans des films de premier plan (par exemple Shutter Island de Martin Scorsese trois ans plus tard). Les hasards du cinéma voudront que ces trois acteurs se retrouvent dans le Marcel Cinematic Universe des années plus tard (Jake Gyllenhaal incarnant Mystério dans Spiderman Far from home (2019)) ! Notons la présence des confirmés Anthony Edwards, Dermot Mulroney et Chloë Sevigny, tous très bien. On retient aussi le remarquable Jimmi Simpson (dans un petit rôle pourtant clé), et John Carroll Lynch qui est une révélation.

En outre, le 7e art est d’une importance capitale dans le long-métrage, d’une part avec le rôle prégnant des affiches de cinéma et des pellicules dans l’enquête, d’autre part avec la mention du premier volet de L’Inspecteur Harry (1971) de Don Siegel, film qui s’est largement inspiré du tueur du Zodiaque pour son histoire, avec un tueur en série se nommant Scorpion (Scorpio en version originale).

Cette affaire jamais résolue nous rappelle également un autre chef d’œuvre, Memories of Murder (2003) de Bong Joon-ho. Et l’on ne peut s’empêcher de penser que David Fincher et Bong Joon-ho s’admirent et s’influencent : que ce soit via le traitement de la pluie pendant une enquête dans Se7en (Fincher) puis dans Memories of murder, ou via la traque irrésolue d'un tueur en série pendant une décennie dans une région très précise dans ce même film sud-coréen puis Zodiac. Si l’on va encore plus loin, Jake Gyllenhaal, protagoniste de Zodiac, sera plus tard à l’affiche de Okja (2017) de… Bong Joon-ho ! Dernièrement, celui-ci a même proposé de réaliser un épisode de la série Mindhunter (diffusée sur Netflix), produite et en partie réalisée par Fincher. Bref, on rêverait que ces deux cinéastes nous offre un projet commun !


Enfin, et c’est peut-être le plus important, l’incroyable force (et la grande réussite) de Zodiac est de transmettre l’obsession de ses personnages pour l’enquête au spectateur. Ainsi, nous aussi, nous devenons enquêteurs et étudions avec minutie les indices pour découvrir la vérité. Jamais un film n’avait atteint un tel degré, en tout cas pas à notre connaissance, de rendre ses spectateurs aussi obsédés par une enquête. Chef d’œuvre absolu, à voir et à revoir, laissez-vous tenter par ce puzzle !


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