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Jofrey La Rosa

ZACK SNYDER’S JUSTICE LEAGUE (critique)

Après mille péripéties, Warner et DC proposent enfin la version de Justice League de Zack Snyder. Une étrangeté dans le paysage bien lisse d’Hollywood, mais est-ce que tout ce remue-ménage valait bien le coup ?

Après le saisissant coup de poker de Batman V. Superman, Zack Snyder prenait le taureau par les cornes et s’attaquait à l’apothéose de ce qu’il préparait depuis Man of Steel : le DC Extended Universe devait avoir son Avengers. En bon architecte du projet, il avait préparé le terrain avec l'introduction des six (supers)héros dans deux films, avant que Patty Jenkins ne développe Wonder Woman (Gal Gadot) dans un film solo, et avant que James Wan ne se charge d’Aquaman. Flash et Cyborg n’ont (encore) à ce jour pas d’aventure solo. Mais revenons à Justice League. Zack Snyder et sa productrice de femme Deborah doivent quitter le tournage dans la précipitation, suite à un drame familial. Leur fille Autumn s’est suicidée. Warner et DC décident d’assurer leurs arrières en convoquant celui qui avait réussi le pari de la réunion de superhéros avec Avengers : Joss Whedon. Malheureusement, ils n’avaient pas pris en compte que les styles de Whedon et de Snyder sont tout sauf compatibles. Et c’est peu de dire que le résultat est décevant. Justice League, dans sa version sortie en salles en 2017, est une purge sans nom. Et suite à la pression populaire, en ligne ou dans divers événements dédiés à la pop culture, ainsi que pour étendre l’influence de sa nouvelle plateforme de streaming HBOMax, Warner annonce en 2020 que le studio octroyait une rallonge aux Snyder, pour qu’ils finissent leur vision du film, reshoots et nouveaux effets spéciaux en prime. Mais alors, qu’en est-il de ce nouveau montage tant attendu ?


Le bien nommé Zack Snyder’s Justice League est un tout nouveau film, qu’on soit honnête. Même si évidemment les deux montages partagent des scènes - et non des moindres, elles sont traitées totalement différemment, et s’imbriquent bien mieux dans ce récit plus long, qui prend son temps sur plus de 4 heures de métrage. Chapitré en six parties, le film trouve un ton et un rythme qui convient beaucoup mieux à l’ambition opératique de Snyder, et à celle d’un film-événement comme l’impose une réunion de superhéros de la sorte. Évidemment, la durée est un peu complaisante par endroits, mais elle permet à Snyder de tisser sa dramaturgie proprement, de se laisser le temps de nouer les enjeux et la caractérisation de ses personnages, dont trois sur six d’entre eux font l'apparition dans l’univers. Ce nouveau montage fait d’ailleurs la part belle à Barry Allen (Flash, par le beaucoup plus juste Ezra Miller) et Victor Stone (Cyborg, Ray Fisher), deux personnages avec des thématiques de filiation, traités à l’opposé et en complémentarité. L’un est jovial et joueur, quand l’autre est sombre et torturé. L’humour du film, venant principalement du personnage de Flash, est assez dilué pour qu’il n’entache pas le côté plus sombre et pessimiste du film qui, comme souvent chez Snyder, brille lors de certaines séquences : des flash-backs ou scènes d’introduction de personnages notamment, qui promettent de belles choses pour la suite de l’univers (s’il y en a). La part plus noire du film, que symbolise parfaitement Cyborg, voit enfin ce personnage avoir la place qu’il mérite, avec qui plus est un propos politique, et une puissance qu’on mesure enfin. Aussi, dans cette version, on comprend très bien les enjeux, parce que comme dans Man of Steel ou Batman V. Superman, Snyder met en perspective les prouesses de nos héros, véritables Dieux, face à nos semblables les Humains, qu’ils ont la charge de protéger d’une menace qu’ils ne comprennent pas. Ce qui est aussi très réjouissant dans Zack Snyder’s Justice League, c’est la propension de dramatiser toujours le récit, de ne pas faire que de l’intrigue, comme souvent dans le paysage du blockbuster contemporain. Et tout ça fait qu’on ne voit pas vraiment les 4 heures passer. Plus, on a envie d’en voir encore davantage.


Dans sa merveilleuse scène d’introduction, Superman (Henry Cavill) agonise après son affrontement contre Doomsday dans Batman V. Superman, sa souffrance se répandant sur Terre comme une onde de choc. Toute la patte visuelle de monsieur Snyder est ici à l’emploi : au ralenti, dans un magma d’effets spéciaux numériques, un personnage divin dans une posture sacrificielle, et un cadre pictural au possible - impression renforcée par l’utilisation d’un ratio 1.33, comme dans les “vieux” films. L’impression est tout autre que devant l’ouverture de Justice League (2017) où on voit une image verticale de téléphone où Superman (avec une bouche en CGI*) nous parle de... (probablement un truc un peu cucul). Là, on retrouve immédiatement les obsessions thématiques et esthétiques de Zack Snyder, leur ampleur et leur outrance. Snyder ne renonce d’aucun CGI, tout son film ne pourrait être qu’une énième bouillie numérique, et il l’est, d’une certaine manière. Mais dans son foisonnement visuel, Snyder crée une réelle cathédrale d’imagerie reconnaissable, opératique et volontiers artificielle. Après tout, quoi de plus normal quand on filme des Dieux, un homme déguisé en chauve-souris ou un robocop capable de tout ? De plus, Snyder ne perd jamais de vue son ancre : ses personnages. On les aime, les magnifie, jusqu’à leur octroyer une ôde adorée et suspendue, par une Islandaise éprise d’Arthur Curry, aka Aquaman (Jason Momoa). La voix et le chant, c’est aussi Tom Holkenborg (ex-Junkie XL) qui l’a retrouvé, dans sa partition pour ce morceau de bravoure qu’est ce Justice League nouvelle mouture. Ainsi, des percées de chœur lyrique viennent parsemer une bande originale enlevée et bien produite, en plus d’un excellent travail sonore.


Quand même les Dieux meurent, plus rien n’est certain. Ainsi, après la mort de Superman, c’est les Amazones qui payent le tribut d’une première bataille contre le grand méchant, Steppenwolf (Ciaran Hinds). Et même les rares Atlantes (peuples des eaux d’Aquaman) que l’on rencontre (Willem Dafoe, Amber Heard) ne veillent que sur des cités mortes. Dans Zack Snyder’s Justice League, tout tourne autour de la mort et du deuil. Tous les matins, Loïs Lane va se recueillir devant le monument aux Morts brisé de Superman, pour pleurer son amour pour Clark, mort à la fin de Batman V. Superman. On y visite des tombes, de pères, de mères, de fils, on regrette des actes ayant mené à la mort. Des pères sacrificiels, des souvenirs du passé, on pleure. Et tacitement, jusqu’à la dernière image, on trouve la dimension la plus bouleversante de ce mastodonte. Quand les Snyder dédient le film à Autumn, leur fille décédée, ils tendent un miroir à leur chagrin infini, qui les a poussé à quitter le navire à la base, mais dont ils mesurent la perte et expient leur deuil dans la réalisation et la finalisation de ce film. Pour passer à autre chose, ils devaient mettre leur vision en son et en image. De la plus belle des manières, Zack Snyder’s Justice League est un beau film, en plus d’être un immense divertissement, façonné avec un œil aiguisé, un sens du grandiose fou et une expertise sans faille. Il en va de fait que le public et l’Histoire ne retiendront que cette version du film, tant il diffère de son prédécesseur.




* Durant les reshoots de Joss Whedon, Henry Cavill était en tournage de Mission : Impossible - Fallout, où il porte la moustache, qu’il était contractuellement obligé de garder. Cette déconvenue a obligé les équipes du film à reconstruire la bouche de Cavill à l’aide d’effets spéciaux numériques.

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