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UNIFORMES ET JUPON COURT (critique)

Billy Wilder est parti il y a 21 ans aujourd’hui. Pour le célébrer, Pauline Lecocq vous parle sur PETTRI du premier film américain du cinéaste : Uniformes et jupon court (1942) ! Cette comédie met en scène la formidable Ginger Rogers dans une histoire de travestissement, thème que l’on retrouvera dans toute son œuvre.

Après avoir co-réalisé avec Alexandre Esway le film Mauvaise graine en 1934 avec Danielle Darrieux (qui avait alors dix-sept ans !) en France, Billy Wilder émigre aux Etats-Unis. Il devient scénariste à Hollywood et y démarre une belle collaboration avec Charles Brackett à la fin des années 1930. Ils écrivent notamment plusieurs films du maître de la comédie Ernst Lubitsch, dont les classiques La Huitième Femme de Barbe-Bleue (1938) et Ninotchka (1939). Ils continuent leur partenariat d’écriture jusqu’en 1950, et Brackett devient même producteur des œuvres réalisées par Wilder, nous donnant de grands films : Les Cinq Secrets du désert (1943), Assurance sur la mort (1944), Le Poison (1945), Boulevard du Crépuscule (1950) et le long-métrage dont nous parlons dans ce papier. Brackett co-écrit aussi (sans toutefois les produire) La Valse de l’empereur (1947) et La Scandaleuse de Berlin (1948), films plus mineurs.

Au début des années 1940, après avoir écrit le scénario de Uniformes et jupon court, Wilder réussit à convaincre le studio Paramount de le réaliser. Il passe donc derrière la caméra avec cette œuvre, considérée comme le premier long-métrage dont il est le seul aux commandes, ainsi que son premier film américain. Nous avons une légère préférence pour le titre anglais The Major and The Minor (« le Major et la mineure ») que nous trouvons plus drôle, avec son double-sens, et qui résume le synopsis à lui seul. En effet, Susan Applegate (Ginger Rogers), à force d’être victime de harcèlement à New York, prend ses cliques et ses claques et veut repartir chez elle dans l’Iowa. Sauf qu’un mauvais concours de circonstances financières l’oblige à se déguiser en petite fille pour avoir un billet de train demi-tarif. En tentant d’échapper aux contrôleurs, elle rencontre le Major Philip Kirby (Ray Milland) et doit jouer la comédie plus longtemps que prévu.

Pour les aficionados du cinéma de Billy Wilder, on retrouve l’un de ses thèmes de prédilection, qui sera plus tard au centre de son chef d’œuvre Certains l’aiment chaud : le travestissement. Ici, point d’homme se travestissant en femme ou inversement, il s’agit d’une femme adulte qui se résout à se travestir en fillette pour pouvoir avoir un billet demi-tarif et rentrer chez elle. Le postulat de départ paraît un peu gros et pourtant tout fonctionne, à commencer par Ginger Rogers. Il fallait en effet une actrice capable d’être crédible en femme adulte et en gamine de 12 ans. Ginger Rogers, qu’on connaît surtout pour sa collaboration avec Fred Astaire dans des comédies musicales, est tout simplement incroyable. Pour les fans et nostalgiques de son duo avec Fred Astaire, elle effectue même quelques claquettes et pas de danse dans la seconde partie du film à l’école militaire ! La comédienne venait d’obtenir l’Oscar de la meilleure actrice pour le long-métrage Kitty Foyle et pouvait donc décider avec qui tourner. Elle s’amuse comme une folle dans ce film, passant de la femme cynique et désabusée mais débrouillarde à la fillette naïve et adorable, avec un tempo comique magique. Elle nous offre même une mise en abyme du travail d’acteur.ice car son personnage interprète lui-même plusieurs rôles ! Ginger Rogers s’entendit très bien avec le cinéaste et se reconnut dans son personnage car elle avait elle-même fraudé plus jeune avec sa mère lors de trajets en train quand les fins de mois étaient difficiles. Mère et fille sont d’ailleurs réunies à l’écran car Lela E. Rogers joue la mère du personnage de Susan ! Quant au rôle du Major Kirby, il avait été écrit par Wilder et Brackett avec Cary Grant en tête, mais le cinéaste choisit Ray Milland. Ce dernier est parfait en charmant militaire droit, digne et gentil, quoi qu’un peu naïf, et rend très bien la balle à Ginger Rogers. Wilder le dirigera ensuite en écrivain alcoolique dans le formidable Le Poison trois ans plus tard, rôle qui vaudra au comédien l’Oscar du meilleur acteur. Les autres actrices et acteurs sont toutes et tous parfait.e.s, notamment l’étonnante sœur de la fiancée du Major, interprétée par Diana Lynn. Ils sont bien aidés par les dialogues qui, comme d’habitude chez le cinéaste, sont toujours aux petits oignons. On pense notamment à la réplique "Why don't you get out of that wet coat and into a dry martini?" (« Enlevez donc votre manteau mouillé et prenez un martini sec ! »).

Au niveau de la réalisation, Wilder se considérait à l’époque comme néophyte en la matière et décida de demander l’aide du monteur Doane Harrison (qui avait monté Par la porte d’or (1941) que Wilder et Brackett avaient écrit). Ce dernier fut donc présent sur le tournage et dans la salle de montage, chose inhabituelle dans le processus de création filmique. Il deviendra l’un des plus fidèles collaborateurs du cinéaste en montant tous ses films jusqu’en 1966 avec La Grande Combine (il mourut deux plus tard), prenant même parfois la casquette de producteur associé. Le film est donc très fluide dans sa narration, très bien cadré, et possède un vrai sens de l’espace. En effet, il se déroule principalement dans deux lieux plutôt fermés : le train et l’école militaire (sans compter les gares de New York et de Stevenson). Cette quasi unité de lieu s’ajoute à une quasi unité de temps puisque le film se déroule en quelques jours seulement, ce qui confère à son efficacité.

Le long-métrage est donc drôle, charmant et rythmé avec un duo qui fonctionne très bien. Pourtant l’arrière-plan est plutôt sombre : on est en effet en 1941 et les États-Unis ne se sont pas encore engagés dans la Seconde Guerre Mondiale. Ils le feront suite à l’attaque de Pearl Harbor en décembre de la même année. Mais au moment de l’écriture du script et du tournage, ce n’est pas encore le cas. La guerre qui a lieu en Europe est ainsi mentionnée plusieurs fois, et les personnages de l’armée américaine se demandent s’ils doivent s’engager ou pas. Le Major Kirby veut y aller, ce qui compromet son futur mariage avec sa fiancée. Wilder abordera plus frontalement cette guerre avec son film suivant : Les Cinq Secret du désert (1943).

Un autre sujet est abordé dans Uniformes et jupon court : le harcèlement sexuel, dont le personnage principal est victime tout au long du film. L’appel de la grande ville fait place à la désillusion pour cette raison, c’est pourquoi Susan décide de repartir à la campagne dans sa famille. Mais elle doit aussi y faire face à l’école militaire avec des adolescents qui ne cessent d’essayer de la séduire. Elle est d’ailleurs blâmée (déguisée en enfant de 12 ans) pour être trop aguicheuse alors qu’elle n’est évidemment pas responsable de l’attitude irrespectueuse des jeunes militaires ! Ce propos est toujours malheureusement d’actualité. Mais l’héroïne est attachante par son culot et sa débrouillardise et évidemment qu’elle tombe amoureuse de l’homme qui la respecte le plus !

Uniformes et jupon court (The Major and the Minor) est donc une très grande réussite : une comédie légère, efficace, vraiment drôle et intelligente avec une performance incroyable de Ginger Rogers ! On vous recommande donc fortement ce premier long-métrage de Billy Wilder qui, sans être un chef d’œuvre, est le premier d’une longue série de grands films !

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