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Pauline Lecocq

UN, DEUX, TROIS (critique)

Sorti le 28 février 1962 en France, cet immense film oublié du grand Billy Wilder fête ses 60 ans aujourd'hui. Pauline Lecocq vous en parle.

Une comédie sur une période compliquée ? C’est pour Billy Wilder ! Après La scandaleuse de Berlin en 1948 qui montrait la vie de l’après-guerre dans un Berlin en ruine, le réalisateur revient tourner dans la capitale allemande, ici pour se moquer des occupants américains et soviétiques et de leur conflit idéologique. Après la Seconde Guerre mondiale, la ville a en effet été divisée en quatre secteurs d’occupation : américain, britannique, français (les trois à Berlin-Ouest) et soviétique (Berlin-Est). Le film se passe dans ce contexte de Guerre Froide, principalement à Berlin-Ouest, et l’on y parle (ou mélange !) anglais, allemand et russe.

Inspiré d’une courte pièce hongroise de 1929, ce scénario malin au rythme ultra-rapide a été écrit à quatre mains par Wilder lui-même et son scénariste habituel I.A.L. Diamond (12 films ensemble !). La satire se fait farce caustique et Wilder nous offre probablement son film le plus sarcastique sur la société occidentale, avec à la fois une critique du capitalisme états-unien et du communisme soviétique. C’est brillant, avec des dialogues aux petits oignons, ça part dans tous les sens, on se dit que ça va se faire rattraper par le contexte à un moment donné et puis finalement pas nécessairement. Tout le monde en prend pour son grade, même si l’Amérique est quand même sauve en fin de compte. Le marteau et la cisaille affrontent la bouteille de Coca-Cola en somme.

On notera que Wilder reprend certains personnages et éléments de Ninotchka (réalisé par Ernst Lubitsch en 1939) qu’il a co-écrit, notamment trois personnages soviétiques, tous droits sortis d’un cartoon, qui dénigrent constamment le libéralisme états-uniens tout en y goûtant, non sans déplaisir d’ailleurs.

On peut aussi retrouver dans Un, deux, trois la critique des cadres de bureau de La Garçonnière avec l’entreprise Coca-Cola et ses décors, mais également par le personnage qu’incarne James Cagney : MacNamara rappelle en effet le personnage de Jack Lemmon dans La Garçonnière, qui attend fébrilement sa promotion (mais MacNamara est plus roublard que celui de Lemmon et arrivera coûte que coûte à ses fins).

Enfin, il y a toujours ce thème du travestissement (on pense évidemment à son chef d’œuvre Certains l’aiment chaud) qui intervient dans le cinéma de Wilder, à notre plus grand plaisir.

On l’a dit, le film va à 200 à l’heure et offre des dialogues brillants à un rythme échevelé. Il fallait des acteurs qui s’accordent avec cette exigence, et c’est chose faite. Commençons par le clou du spectacle : l’impérial James Cagney dans le rôle de MacNamara. Habitué et connu pour ses rôles de gangsters, (L’ennemi public (1931), Les anges aux figures sales (1938), L’enfer est à lui (1949)) ou pour son rôle musical dans La glorieuse parade (1942) qui lui valut l’Oscar du meilleur acteur, on ne l’a jamais vu comme ça ! En effet, il semble avoir mangé du lion et, du haut de ses 61 ans, donne une performance tonitruante. Mais, en partie épuisé par le tournage difficile (beaucoup de prises, exigence de Wilder, mésentente avec Horst Buchholz), il se retira du cinéma après ce film, pour ne revenir que 20 ans plus tard dans Ragtime (Milos Forman, 1981), son ultime apparition sur grand écran. Il est très bien secondé par Horst Buchholz (le James Dean allemand qu’on verra ensuite dans Les Sept Mercenaires), Arlene Francis (la femme sarcastique de MacNamara), Pamela Tiffin (la naïve jeune fille de bonne famille, un peu tête à claques sur les bords), Liselotte Pulver (qui venait de tourner dans Le temps d’aimer et le temps de mourir (1958) de Douglas Sirk) et Hanns Lothar (l’incroyable Schlemmer). Chaque personnage a d’ailleurs sa phrase fétiche ou son geste particulier, que ce soit « Next ! » pour James Cagney, « Yes mein Führer ! » pour Arlene Francis, « It’s just maaarvy ! » pour Pamela Tiffin, « Ich bin kein amerikanische Spion » pour Horst Buchholz, et enfin le claquement des talons de Schlemmer (Hanns Lothar), ancienne habitude restée de l’Allemagne nazie.

Justement, certaines réminiscences de l’Allemagne nazie (qui ne sont pas sans rappeler Docteur Folamour de Stanley Kubrick par certains aspects) sont aussi pointées du doigt. En effet, certains Allemands écoutent encore Wagner et la Walkyrie, mais même ce morceau est tourné en dérision à travers un hilarant dialogue chanté résultant d’un problème linguistique (« Schwänger ist pregnant, pregnant is schwänger ! »).

Si l’on continue sur la musique, vous ne pourrez plus jamais entendre de la même façon « La Danse du sabre » (composée par Aram Khatchatourian) et son fameux thème en staccato, car c’est le leitmotiv du film, qu’on entend très régulièrement tout du long et qui symbolise l’énergie et l’action des personnages qui courent partout, notamment MacNamara (James Cagney).

Malgré toutes ces qualités, le long-métrage fut malheureusement un échec en salles au moment de sa sortie. En effet en 1960 le mur de Berlin fut érigé au moment du tournage (l’équipe dut même se déplacer et tourner ses extérieurs à Munich) et il était donc difficile de rire pour la population à propos de la ville quelques mois plus tard. Un, deux, trois fut même interdit en Finlande jusqu’en 1986 de peur que le film nuise à sa relation avec l’URSS (la crainte du pouvoir du cinéma !). Cependant il fut redécouvert avec succès grâce à une ressortie en France et à Berlin-Ouest en 1985 et continue à être réévalué.

Pour finir, on peut reprocher au film son côté théâtral car la mise en scène est composée essentiellement de plans fixes et larges avec peu de travellings, mais que de mouvement à l’intérieur des plans, vous en serez essoufflés ! Espionnage, Coca-Cola, romance et guerre idéologique ont rarement fait bon ménage dans ce summum de comédie, et même si le film repose beaucoup sur ses dialogues brillants et sur l’énergie de ses comédiens, quel rythme, quel plaisir, quelle folie ! Ce chef d’œuvre comique, très sous-estimé, voire oublié du génie Billy Wilder, est à (re)voir absolument !


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