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TWIN PEAKS - FIRE WALK WITH ME (critique)

On continue sur notre lancée, après la critique de la série originelle Twin Peaks, place à Fire Walk with me, préquel sorti un an après l’arrêt de la série-phénomène. Dans ce film, David Lynch s’attele à raconter la semaine précédent le meurtre de Laura Palmer. Jofrey La Rosa nous confie son avis sur le film.

Un générique sur de la neige statique. On dézoome pour sortir d’un poste de télévision, que l’on brise. Comme pour s’affranchir de l’expérience télévisuelle, du médium autant que de ses contraintes, pour pallier la rancœur d’une annulation alors qu’ils avaient rendu populaire une œuvre singulière, Lynch commence son film un peu revanchard. Dans Twin Peaks - Fire Walk with me, il s'attelle à déconstruire sa série Twin Peaks, qui a trouvé sa conclusion à peine un an plus tôt. Plus qu’une conclusion en bonne et due forme à cette œuvre avortée sans réelle fin définitive, il décide de faire une préquelle, contant les prémices de l’enquête concernant Teresa Banks, une autre jeune femme assassinée et mentionnée dans la série par l’agent spécial Dale Cooper, avant de s’attarder sur les derniers jours de la vie tragique de Laura Palmer, dont le meurtre était au cœur de l’intrigue de Twin Peaks. Pour mener à bien ce projet ambitieux et réellement cinématographique, Lynch conserve dans les grandes lignes l’équipe qui a fait le succès de la série : Ron Garcia à la photographie, Angelo Badalamenti à la musique, Robert Engels à la co-écriture. Le co-créateur Mark Frost, occupé ailleurs par la réalisation de son film Storyville, est crédité à la production, même si en coulisses les relations avec Lynch semblent froides. La fin de la série, décevante pour beaucoup touchaient pourtant à ce qui m’a le plus plu, soit un déferlement de trouvailles surréalistes et oniriques dingues et grandiosement folles, bien au-delà du côté foufou(traque) du ton global de la série, plus hasardeux à mon goût.


Ce qui captive immédiatement dans Fire Walk with me, c’est juste ce décalage de ton, prenant le sujet au sérieux. Preuve en est le personnage de Dale Cooper, protagoniste décalé de la série, qui revient ici succinctement pour enquêter et présager la fameuse Black Lodge, mais de façon beaucoup plus précise, entre la contemplation, le tragique et le surréalisme, pour affirmer que la gestion tonale de ce film est beaucoup plus appropriée au sujet, d’autant plus funeste, pour un rendu beaucoup plus prenant ; un geste réaffirmé par le format unitaire en trois parties, où Lynch semble davantage se plaire. Parce que plus qu’un simple prequel, qu’une simple adaptation, Fire Walk with me est un film de David Lynch. Un vrai, construit, mis en scène et captivant, qui trouve autant ses racines dans son œuvre sérielle qu’il en définit les prémices, tout en déplaçant son attrait dans les errances métaphysiques et existentielles d’une jeune femme au destin déchirant. Il nous réconcilie avec Laura Palmer, tout en étant pourtant pas tendre avec son personnage, tour à tour horrible, touchant, détestable… Loin de toutes explications psychologiques lambda et barbantes qui déflorerait l’aura de la Laura de la série, dont l'absence mystérieuse planait sur toute l’intrigue. Lynch et son interprète Sheryl Lee composent une partition à la fois lancinante et sublime, tel un chant du cygne hypnotique aux nombreuses séquences touchant au grandiose. Pour seul exemple, nous citerons celle de Dale Cooper qui teste un système de vidéosurveillance, à la fois mystérieuse et pleine de possibilités d'interprétations quant au lore mythologique du récit.

Mais le cœur du film est bel et bien la détresse existentielle de Laura, hantée par une figure démoniaque térrifiante depuis l’enfance, et dont l’évolution vers son corps de femme n’a qu’intensifié l’horreur de sa vie. Nous savions déjà que Bob, démon de possession se nourrissant de souffrance et de chagrin (le fameux garmonbozia) issu de la Black Lodge, possédait Leland, le père de Laura, depuis l’enfance. On savait aussi qu’il l’avait violée avant de la tuer. Ce qu’on ne savait pas pour sûr, c’est qu’il la violait depuis longtemps, dans un commentaire osé et terrifiant de l’inceste, au travers de scènes tout bonnement glacantes avec des apparitions de Bob. Et ce sujet dur est parfaitement exploité par un Lynch inspiré et une Sheryl Lee magistrale, qui explorent la profonde noirceur humaine, des errances dans Black Lodge à des trips autodestructeurs dans la Pink Room. Un film hypnotique et transcendant, tantôt déchirant tantôt mystérieux, qui élève son matériau en trouvant enfin le ton qui (me) dérangeait dans la série d’origine. Grand film.

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