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STEPHEN SONDHEIM : HOMMAGE

Dernière mise à jour : 30 nov. 2021

Le plus grand compositeur et parolier de Broadway n’est plus. Récompensé par 8 Tony Awards, 8 Grammy Awards, 1 Oscar et par la Médaille présidentielle de la Liberté (plus haute distinction civile américaine), il s’est éteint le 26 novembre à 91 ans. Ses chansons de comédies musicales sont devenues des classiques du grand répertoire américain et des standards de jazz. Toujours inspiré, il continuait à écrire et à composer et nous réservait sans doute encore de très belles choses. Adoré et célébré dans le monde anglophone, il reste pourtant assez méconnu en France. Hommage à cet artiste de génie par Pauline Lecocq sur Pettri.

(Stephen Sondheim par Fred R. Conrad pour The New York Times)


Comme l’autrice de ses lignes, peut-être avez-vous d’abord été introduit à une œuvre de Stephen Sondheim via le cinéma, et en premier lieu le joli film Père et fille (Jersey Girl, 2004) de Kevin Smith ? En effet, dans ce long-métrage, la fille de Ben Affleck découvre la comédie musicale Sweeney Todd à Broadway et l’aime tellement qu'elle va jusqu'à en jouer un extrait lors du spectacle de fin d'année de son école.

Sweeney Todd encore quelques années plus tard en 2007, avec l’excellente adaptation cinématographique de Tim Burton avec Johnny Depp et Helena Bonham Carter. C’est véritablement ce film qui permet au public français de découvrir le compositeur et parolier. Semi-échec aux Etats-Unis, le long-métrage est un succès dans le reste du monde, notamment dans l’Hexagone où il réalise plus d’1 million d’entrées, une sacrée performance compte tenu de la noirceur du sujet (un barbier tue ses clients et en fait des tourtes pour se venger) et de la multitude de chansons (il y a peu de paroles non-chantées).

En 2014, le studio Disney décide d’adapter Into the Woods au cinéma. Les contes et leurs désillusions tendent aussi vers une certaine noirceur, mais des changements sont faits par rapport à la comédie musicale d’origine. Réalisé sans génie par Rob Marshall (qui avait mis en scène Chicago pour le grand écran), le film bénéficie de performances solides et d’un univers intéressant, même si son succès est minime en France.

Voilà pour les adaptations récentes au cinéma dont vous avez pu entendre parler. De façon plus ancienne, nombre de ses œuvres ont été adaptées au cinéma : Gypsy (deux fois, en 1962 et 1993, spectacle dont il était uniquement parolier), Le Forum en folie (A Funny Thing Happened on the Way to the Forum) (1966), A Little Night Music (1977). Sondheim a été formé par un maître, qu’il considèrera comme son mentor et comme une figure paternelle : Oscar Hammerstein, du célèbre tandem Rodgers and Hammerstein (soit les compositeurs et paroliers de La Mélodie du bonheur (The Sound of Music), Le Roi et Moi (The King and I), South Pacific, Carousel…) ; il a aussi écrit Show Boat avec Jerome Kern. Et l’on a tendance à oublier qu’à 25 ans seulement, il écrit les paroles d’une des plus célèbres comédies musicales du XXe siècle, tandis que Leonard Bernstein se chargeait de la musique : West Side Story. Une raison de plus pour revoir le film de Robert Wise de 1961 et pour attendre de pied ferme la nouvelle adaptation de Steven Spielberg en décembre.

D’autre part, les chansons de Sondheim interviennent régulièrement au cinéma depuis quelques années, ponctuant des moments forts, notamment en 2019 avec pas moins de trois films. Par exemple, Marriage Story (2019, sur Netflix) de Noah Baumbach avec Scarlett Johansson, Adam Driver et Laura Dern, inclut plusieurs morceaux chantés par ses acteurs et issues de Company (dont les chansons "Being Alive" et "You could drive a person crazy"), une comédie musicale de Sondheim sur le couple.

Dans Joker (2019) de Todd Phillips avec Joaquin Phoenix, la chanson "Send in the clowns" (tirée de A Little Night Music) intervient quand Arthur se fait tabasser dans le métro (ses agresseurs déclament les premières paroles) et lors du générique de fin avec la version de Frank Sinatra.

Montage de la bande-annonce sur la version de Sinatra :

Pour les plus fin.es connaisseur.ses, vous entendrez aussi Daniel Craig chantonner "Losing my mind" (de Follies) dans une voiture dans le génial A couteaux tirés (Knives Out, 2019) de Rian Johnson.

De plus, il est présent dans Lady Bird (2017) de Greta Gerwig. Plusieurs élèves dont la Lady Bird du titre (Saoirse Ronan) et son amie (Beanie Feldstein) passent une audition pour le club de théâtre sur des chansons de la comédie musicale Merrily We Roll Along. Celle-ci a été un échec lors de sa création en 1981, mais a été réécrite et réévaluée depuis (et demeure l’une des préférées de l’autrice de ses lignes).

Beanie Feldstein va justement incarner l’un des trois rôles principaux dans l’adaptation cinématographique de… Merrily We Roll Along, réalisé par Richard Linklater (avec aussi Ben Platt et Blake Jenner). Pour respecter la dramaturgie temporelle de la pièce originale (racontée dans l’ordre chronologique inverse), le cinéaste va d’ailleurs réutiliser sa technique de tournage de Boyhood et va donc étaler le tournage sur 20 ans, pour voir ses acteurs vieillir, le spectacle se déroulant de 1957 à 1976.


En 2019 également, mais du côté du petit écran cette fois, l’une des chansons phares de Sweeney Todd, « Not while I’m around », est interprétée par Jennifer Aniston et Billy Crudup dans la série The Morning Show (S01E05, AppleTV+).

Par ailleurs, Sondheim écrit aussi pour le cinéma, par exemple Stavisky (1974) d’Alain Resnais (oui, oui !). Après avoir contribué à la musique et à la chanson du long-métrage Reds (1981) de Warren Beatty, il retrouve l’acteur-réalisateur sur Dick Tracy (1990), film pour lequel il compose cinq chansons, notamment "Sooner or Later (I Always Get My Man)", interprété par Madonna, qui lui permet de remporter l’Oscar de la Meilleure Chanson Originale.

Grand cinéphile, Sondheim adapte deux films au théâtre : Sourires d'une nuit d'été (Sommarnattens leende, 1955) d’Ingmar Bergman deviendra A Little Night Music (1973), et Passion d’amour (Passione d’amore, 1981) d’Ettore Scola avec Bernard Giraudeau et Valeria D’Obici qui deviendra Passion (1994).

Plus généralement, Sondheim crée un véritable dialogue entre les arts à travers son œuvre. On a parlé de cinéma qui adapte ses comédies musicales ou Sondheim lui-même qui participe à des musiques de films ou qui adapte certains films pour la scène, mais il faut aussi mentionner la peinture. En effet, Sondheim va s’inspirer de la vie du peintre impressionniste Georges Seurat pour écrire et composer la comédie musicale qui lui vaudra le Prix Pullitzer : Sunday in the park with George (1984). Une nouvelle mise en scène américaine devait d’ailleurs faire ses débuts à Londres en mai 2020 avec Jake Gyllenhaal mais celle-ci est reportée jusqu’à nouvel ordre à cause de la pandémie de Covid (et cela nous rend bien triste).

Images de répétition :

Parlons théâtre et mises en scène, justement.

En France, c’est le Théâtre du Châtelet qui proposera les comédies musicales de Stephen Sondheim et on ne le remerciera jamais assez pour cela ! Ainsi, de 2010 à 2016, sous l’impulsion de Jean-Luc Choplin (alors directeur), pas moins de 5 magnifiques productions françaises ont vu le jour : A Little Night Music (2010), Sweeney Todd (2011), Sunday in the Park With George (2013), Into the Woods (2014) et Passion (2016), toutes mises en scène par Lee Blakeley à l’exception du dernier spectacle mis en scène par Fanny Ardant. A ces créations, il faut bien sûr ajouter West Side Story, passée par trois fois dans ce théâtre.

Playlist du Théâtre du Châtelet avec bandes-annonces et extraits des créations mentionnées ci-dessus :

En Angleterre, l’autrice de ses lignes a pu voir quelques mises en scène (notamment dans le West End, l’équivalent du Broadway londonien), soit Gypsy (Savoy Theatre, avec Imelda Staunton), Follies (National Theatre, encore avec Imelda Staunton), Assassins et Merrily We Roll Along dans des créations semi-professionnelles, et Road Show (Union Theatre), la dernière comédie musicale de Sondheim créée en 2008, et la première fois que l'artiste écrit une chanson d’amour entre deux hommes.


Par ailleurs, comment renouveler les œuvres du compositeur et parolier ? Après beaucoup de discussion avec lui, le producteur Chris Harper et la grande metteuse en scène anglaise Marianne Elliott ont réussi à le convaincre d’inverser les genres de quelques personnages principaux dans une nouvelle production de Company : Bobby devient ainsi Bobbie, et l’on suit la quête sentimentale d’une femme trentenaire, peu ou prou intéressée par trois hommes. De plus, un autre changement intervient : Amy, l’une des amies qui va se marier devient Jamie, un ami et on assiste donc au (possible, car c’est tout le sel d’une chanson) mariage d’un couple d’hommes. Quelques changements de paroles sont aussi à noter pour moderniser la pièce (l’inclusion du mot SMS (« text » en anglais) par exemple). Cette nouvelle version que nous avons vue au Gielgud Theatre est une totale réussite. Nous pouvons aussi remarquer que le Queen’s Theatre qui accueillait la célèbre comédie musicale Les Misérables a changé de nom en 2019 suite à de longs travaux et s’appelle aujourd’hui le Sondheim Theatre (et accueille toujours Les Miz au passage !). La même chose est arrivée en 2010 à New York : le Henry Miller Theatre porte désormais le nom de Sondheim. De plus, dans quelques mois débutera une nouvelle production d’Into the Woods au Théâtre Old Vic à Londres, co-mise en scène par le cinéaste Terry Gilliam et on a plus que hâte.

Enfant unique new-yorkais, juif et homosexuel, négligé par ses parents puis victime de violences de la part d’une mère abusive, Sondheim, l’introverti et le solitaire, a renouvelé la comédie musicale américaine, avec ses mélodies parfois proches de la dissonance et ses paroles profondément humaines, tantôt drôles, tantôt désespérées. Ainsi, avec des chansons proches de la conversation, il a marqué de son empreinte le théâtre, la musique et bien plus. D’ailleurs il a été célébré en grande pompe avec des concerts pour ses 80e et 90e anniversaires (voir liens ci-dessous). Notons les deux personnes avec lesquelles il a eu de fructueuses collaborations qui ont donné des chefs d’œuvre : le metteur en scène Hal Prince (Company, Follies, A Little Night Music, Sweeney Todd, Merrily We Roll Along, entre autres) et le librettiste James Lapine (Sunday in the park with George, Into the Woods, Passion). Par ailleurs, il a fait office de mentor en conseillant Jonathan Larson (le créateur de la célèbre comédie musicale Rent, décédé trop tôt du SIDA en 1996 à 35 ans) et Lin-Manuel Miranda, l’auteur-compositeur des comédies musicales In the Heights et Hamilton, notamment en donnant des notes sur cette dernière. On sait qu’il a pu voir la nouvelle version de West Side Story réalisée par Steven Spielberg avant de partir et qu’elle lui a beaucoup plu (contrairement à la version de 1961 qui l’avait déçu). Il avait annoncé en septembre qu’il travaillait sur une nouvelle comédie musicale intitulé Square One, mais est parti dans son sommeil le lendemain de Thanksgiving et nous laisse orphelin.es. Il y aurait encore tant d'autres choses à dire sur votre œuvre, mais nous dirons juste : merci pour votre musique, Mr. Sondheim.

Pour finir, ironie du sort : le film tick, tick… BOOM! qui vient de sortir sur Netflix et qui est réalisé par Lin-Manuel Miranda est une adaptation d’une comédie musicale de Jonathan Larson dans laquelle le personnage principal (Larson lui-même) cite régulièrement son idole : Stephen Sondheim (en tout cas c'est le cas dans la comédie musicale). On espère et on imagine qu’ils doivent composer et écrire à quatre mains là-haut maintenant.


Une playlist pour les curieux.ses et aficionados :


Concerts anniversaires de Stephen Sondheim :

- 80e anniversaire (liste de vidéos) :

- 90e anniversaire (en vidéo pour cause de Covid) :


Company, production de 2011 avec Neil Patrick Harris, Christina Hendricks, Patti LuPone, Martha Plimpton, Jon Cryer, Stephen Colbert... (spectacle entier) :


Sources :


Livres :

Finishing the hat: Collected Lyrics (1954-1981), Stephen Sondheim (2010)

Look, I made a hat: Collected Lyrics (1981-2011), Stephen Sondheim (2011)


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