Après le succès public phénoménal de leur trilogie Matrix, les Wachowski reviennent à la réalisation avec Speed Racer, adaptation d’un manga et animé japonais alors quarantenaire. Une prise de risque mal marketée qui leur coûtera leur place au sommet d’Hollywood.
Speed Racer est un film. Mais c’est aussi bien plus que ça.
C’est évidemment l’adaptation américaine d’un manga et animé japonais des années 1960. Tardive qui plus est. Plus de 40 ans après, cette œuvre est désormais culte et portée par tout un fandom passionné certes, mais vieillissant. Donc quand on voit les réalisatrices de Matrix s’y atteler, qui plus est au sortir de leur (incroyable) trilogie à succès, on a de quoi s’interroger. Warner ne sait comment marketer ce film enfantin, mais mené par les créatrices du cyberpunk d’action de Matrix. Du coup, personne ne le voit, alors même que c’est un mastodonte niveau budget (on parle de 120M$). Le peu de monde qui va voir Speed Racer ne le comprend pas.
La proposition est trop radicale. Trop numérique. Trop foutraque. Trop enfantine. Trop simpliste. Trop déconcertante. Les Wachowski sont encore une fois allées trop loin trop vite. mais quoi de plus normal dans un film se nommant Speed Racer ? Pour premier et seul élément de réponse, je préfère vous arrêter tout de suite : c’est un des films les plus importants et novateurs de ce siècle. Mais pourquoi donc cet échec tant public que critique à sa sortie ?
Speed Racer est un film ambivalent. Entre la radicalité formelle qui le caractérise fortement en tant qu’héritier cinétique de l’œuvre originale qu’elle adapte ; et son côté plus bon enfant, notamment avec le public visé, et le personnage de Spritle et de son chimpanzé Chim Chim. Pourtant, le seul public qui n’était pas choqué par la rapidité et le foisonnement visuels du film est ce jeune public, habitué aux dessins-animés survoltés. Son côté jusqu'au boutiste est ce qui le poussera à sa perte, mais c’est aussi ce qui fait sa singularité première. Rien n’est fait à moitié dans Speed Racer. Un exercice de style intense et immersif, où le numérique permet une hardiesse et les plus grandes folies à deux cinéastes en totale roue libre. La maîtrise, les couleurs, les multiples couches de numérique et le mouvement perpétuel envoient le film dans les étoiles, avec un tourbillon de trouvailles audiovisuelles qui s’affranchit de tout : à la fois des standards et des codes d’un cinéma que ses créatrices veulent révolutionner une nouvelle fois. Avec l’aide de John Gaeta aux effets visuels et de David Tattersall (la prélogie de Star Wars) à la photographie, les Wachowski virevoltent avec leur caméra, incrustant leur personnages dans un environnement (presque) totalement numérique et ultra criard. Sans jamais réduire le rythme, elles imposent un style pétaradant pour un résultat épatant, où le spectateur en prend plein les yeux, toujours à la fois stimulé et mis à contribution.
Mais ce n’est pas la seule donnée de Speed Racer à être intéressante. Son propos aussi. Toujours punk - même si le cyber de Matrix est déplacé vers la révolution numérique coup de poing qu’elles revendiquent, les Wachowski instillent un discours anti-corporatiste très à gauche, remettant la famille au centre de tout. Et la quête identitaire se trouve cette fois dans le personnage de Rex/Racer X, passé sous le bistouri pour trouver sa voie, alors que Speed et sa compagne Trixie sont un couple très chaste et innocent, presqu’asexué. Mais le romantisme est roi, figuratif, des cœurs scintillant en bokeh lors d’un baiser tendre et passionné. Le casting du film est d’ailleurs assez spectaculaire avec Emile Hirsch, Christina Ricci, John Goodman, Susan Sarandon, Scott Porter, Roger Allam, Rain, Hiroyuki Sanada et le génial (et trop rare) Matthew Fox. C’est ce dernier, entre deux saisons de Lost, qui disrupte le film avec un jeu tout en retenue et une scène de combat contre des ninjas incroyable. Et son comparse Michael Giacchino complète un tableau déjà bien beau avec une partition originale magnifique, inventive et sans cesse stimulante.
C’est dans des moments purement visuels, vibrants, presque vrombissants, que Speed Racer parvient à trouver une magie de tous les instants, dans des moments d’abstractions fous et d’hommages cinématographiques subtils et enivrants. Mais même au-delà de sa cinétique décomplexée, Speed Racer est une bombe de cinéma, qui va dans tous les sens à 1000 à l’heure, pour un rendu toujours inattendu qui vous fera vous accrocher à votre siège, comme un enfant devant son premier film. Un chef d’œuvre, pas moins.
À noter que Speed Racer a fait l’objet d’un superbe essai de Julien Abadie, nommé Speed Racer : les Wachowski à la lumière de la vitesse. Je vous le conseille grandement.
Comments