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SILVIO ET LES AUTRES (critique)

Aujourd'hui, pour l'anniversaire de son auteur Paolo Sorrentino, revenons sur Silvio et les autres, satire aussi efficace que vaine. Critique de Jofrey La Rosa pour PETTRI.

Sorti en Italie en deux parties d'1h40 chacune, Loro (le titre original de Silvio et les autres) est chez nous réduit d'une heure pour une exploitation internationale plus digeste de 2h30. Voir Silvio Berlusconi sous le regard de Paolo Sorrentino avait de quoi exciter les papilles des amateurs de ses films précédents, de Il Divo à Youth, en passant par La Grande Bellezza. C'est d'ailleurs au comédien de ce dernier qu'il confie le rôle de Berlusconi, magnat des médias devenu homme politique, duquel les frasques et l'amour des femmes sont indissociables. C'est aussi avec son chef opérateur habituel, Luca Bigazzi, que Sorrentino travaille ici, pour un résultat comme toujours magnifique, chaud et contrasté, classieux et esthétique. On ne change pas une équipe qui gagne. Ni un style d'ailleurs, puisqu'on retrouve ici tout ce qui fait le succès du cinéaste italien : une vulgarité apparente, de grands sentiments, une alternance de surdécoupage musical et de longs plans conçus comme des tableaux.


Dès l'ouverture, Sorrentino insiste sur des scènes étranges. Un mouton dans le jardin d'une grande villa de Sardaigne, qui rentre dans le salon, d'où la télé joue une émission de quiz en muet. Le climatiseur semble faire des siennes, baissant la température jusqu'à l'irréparable : le mouton s'écroule, mort de froid. Que faire de cette scène à la fois surréaliste et significative. Parce qu'elle annonce peut-être le destin de Sergio Morra, interprété par le « Ray Liotta italien » Riccardo Scamarcio (vu dans Romanzo Criminale, Dalida ou John Wick 2), petit wannabe suiveur du milliardaire qui tente par tous les moyens de s'attirer ses faveurs. Quitte à jouer les Carraway auprès de Gatsby (ou inversement, on ne sait plus trop au final) en organisant une fête peuplée de jolies pépées, espérant de fait attirer l'attention du plus grand « séducteur » d'Italie - c'est dire ! Mais après une longue introduction très bien rythmée, centrée sur ce personnage (qui s'avèrera) annexe, rappelant à la fois Scorsese et Luhrmann, on assiste à un changement radical de point de vue. On restera désormais avec Silvio dans son palace côtier et ensoleillé, entre son désir pas très volontaire de reconquérir sa femme Veronica et ses discussions politico-relationnelles de séducteur vieillissant. Ce rapport à la séduction est un point central du personnage, bien sûr sur le côté politique des choses – ce n'est finalement que ça, mais aussi sur le côté business. Au milieu du film, il a le droit à une longue scène dotée d'un tunnel de dialogues (comme il y en a beaucoup dans le film) où Berlusconi fait ce qu'il fait de mieux : le vendeur. Il essaye de vendre un hypothétique appartement à une vieille dame choisie au hasard dans l'annuaire, à laquelle il arrive à complètement retourner le cerveau. Parce que le grand problème de ce personnage plus grand que nature, fait pour Sorrentino, c'est que « tout, ça ne suffit pas ». C'est la seule jeune femme qu'il n'impressionne pas qu'il veut, c'est aussi elle qui le rejette parce qu'il lui rappelle son grand-père. On peut donc rapprocher ça encore une fois des obsessions thématiques de Sorrentino, chez qui l'âge et la fonction sont toujours des questions centrales : La Grande Bellezza, Youth, The Young Pope, The New Pope.


La gestion rythmique désastreuse du film tient peut-être (et sûrement) du remontage ou de la volonté de ne rien couper, mais on remarquera que l'anti-climax du volcan trouve un contrepoint dans la scène de tremblement de terre au travail sonore génial, où on a réellement l'impression d'y être. À noter aussi que le montage significatif à la soviétique de ce désastre (celui de L'Aquila en 2009) intervient avec l’annonce de sa réélection. L'écriture et le montage du film est donc bel et bien à la fois son plus grand atout (tout le début) et son défaut le plus flagrant. À en juger, la gestion très bizarre du personnage de Sergio, qui est d'abord présenté comme le protagoniste principal, avec ses sous-intrigues en pagaille, avant de n'être plus qu'un personnage très secondaire dépassé le premier acte. C'est avec une musique savamment choisie qu'est rythmé le film, avec des chansons de LCD Soundsystem, Santigold, Agnes Obel, Perera Elsewhere, le Slow de Kylie Minogue ou l'immonde mais adapté King Of My Castle de Wamdue Project. In fine, Sorrentino enchaîne les plans et les idées visuelles de grande beauté, dans un univers complètement surréaliste à la limite du cartoon. À l’image du cabotinage de Servillo, dont le faciès de choix, souriant à l’extrême, ne présage qu’un détachement infini. Ce masque naturel fait état de l'évidente façade du dirigeant politique italien, mais aussi de son côté grand-guignol, presque hors du monde physique.

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