Tandis que certains se penchent sur des sagas cultes, d’autres retrouvent leurs auteurs fétiches. C’est le cas de Sophie, qui a lu le dernier recueil de Stephen King et présente, mieux vaut tard que jamais, sa chronique sur ce dernier.
Soyons honnêtes. Qui parmi vous a pensé à Predator devant le titre du livre ? Levez la main.
(Faites plaisir à Arnold et levez la main. S’il vous plaît. Merci.)
Voilà, ça, c’est fait. Maintenant, je vous préviens d’office : je ne serai pas des plus objectives dans cet article (comme si ça avait été le cas auparavant…). Le recueil dont il est question provient, pour ainsi dire, de l’un de mes auteurs-doudous. Car cela fait près de 20 ans que Stephen King m’accompagne. Lorsque j’ai ouvert Carrie, du haut de mes 12 ans j’ai été fascinée par cette écriture de l’horreur et de la cruauté, plongeant leurs racines au plus profond de la psyché humaine. Une anecdote en passant : l’âge auquel je l’ai découvert coïncide avec celui des protagonistes confrontés à l’antagoniste terrifiant de Ça, autre grand roman de l’écrivain, que j’ai dévoré peu de temps après. Depuis, je me suis empressée de lire tout ce qui me tombait sous la main de son nom, et j’ai guetté chaque nouvelle sortie. Ce d’autant plus qu’entre nouvelles et romans, Stephen King est un écrivain prolifique, encore aujourd’hui pour mon plus grand plaisir.
La distinction entre roman et nouvelles mérite d’être mentionnée, chaque forme répondant à des exigences particulières. Le récit prend en compte des faits concrets, mais aussi ce qui est indicible et/ou lisible (les pensées, les actions, tout ce qui échappe à la parole). Là où le roman se permet quelques longueurs, la nouvelle, par son format plus court, rend le récit et sa lecture plus intenses. Pour reprendre Baudelaire : “La nouvelle a sur le roman à vastes proportions cet immense avantage que sa brièveté à l’intensité de l’effet.”
Ce que Stephen King a su mettre en œuvre à travers nombre d’histoires plus ou moins courtes.
Il faut dire que sa matière à écriture s’y prête tout particulièrement. L’horreur, le fantastique… Tout ce qui joue avec nos terreurs, nos angoisses, l’écrivain ne cesse d’en arpenter les couloirs avec sa créativité reconnue et consacrée. Et ce pour la bonne cause : “La bonne histoire d’horreur, c’est celle qui fonctionne au niveau symbolique, qui utilise des événements fictifs (et parfois surnaturels) pour nous aider à comprendre nos peurs les plus profondes.”
Sublimer la peur, se protéger de celles qui nous pétrifient en jouant à se faire peur pour de faux.
Ce sont ces ingrédients que l’on retrouve avec la première nouvelle, Le téléphone de M. Harrigan. Nous revenons au début des années 2000, période à laquelle un jeune garçon se lie d’amitié avec un homme d’affaires richissime. C’est à cette époque qu’Apple sort ses premiers iPhones et, croyez-le ou non, ce détail a son importance dans l’intrigue de cette crypt tale des temps modernes. Je n’en dis pas plus, mais la nouvelle est présentée ça et là comme une mise en bouche tout à fait sympathique, que l’on peut servir aux néophytes comme aux habitués.
La vie de Chuck, deuxième nouvelle du recueil, va moins de soi pour qui découvre l’auteur. Elle est formée de trois actes qui à la fois se lisent indépendamment les uns des autres et forment un tout poétique autour d’un certain Charles Krantz, le fameux Chuck, entre fin du monde imminente et souvenirs épars. Qu’arriverait-il si le monde arrivait à sa fin ? Qu’advient-il lorsqu’un être s’éteint, et avec lui sa mémoire, son univers intérieur, tout ce qui faisait partie de lui ? C’est là où la poésie se situe, dans la réponse que cette nouvelle donne à toutes ces questions.
Passons à la pièce principale du recueil, Si ça saigne.
Aucun martien à dreadlocks ni Arnold à peinture de camouflage derrière ce titre, mais une réflexion plus triviale : si ça saigne, ça fait vendre. Les nouvelles atroces sont du pain béni dans le monde de l’information en continu et du journalisme jaune (l’ancêtre du clickbait). Si ça saigne, ça attire l’audience, pourvu qu’il y ait de la violence, du pathétique, tout ce qui pourra soulever un tant soit peu d’émotion et d’audimat de la part d’un public continuellement abreuvé.
L’enquêtrice Holly Gibney en fait l’amer constat lorsqu’une bombe frappe un collège, avant d’être intriguée par la présence d’un journaliste investi sur les lieux…
Nous revenons ici dans l’univers que Stephen King a fait naître avec Mr. Mercedes, et quatre autres romans qui, d’une série de polars, finissent par embrasser le fantastique, avec L’Outsider (paru en 2018) comme petit dernier. Ce mélange d’atmosphère n’est pas sans rappeler les derniers livres de James Lee Burke ou ceux de John Connolly, pour les amateurs du genre. En outre, il permet de soumettre une réflexion intéressante au roman policier : les personnages de ce dernier sont, d’une manière ou d’une autre, confrontés à la part obscure des êtres, de ce qui les entoure. Le lecteur l’est, à travers eux, par l’esprit de l’écrivain, sans crainte d’être aussi atteint, encore que. Et pour celui qui a intégré les notions de bien et de mal, et toutes les nuances qui les entourent et s’entrecroisent, cette part a quelque chose d’irréel. Elle se déploie au-delà de la raison, de ce qui est considéré comme telle. Quoi de plus logique que de faire appel au fantastique pour l’exprimer.
Également, c’est avec plaisir que l’on retrouve le personnage de Holly, qui a gagné en indépendance depuis Mr. Mercedes. Désormais personnage principal et enquêtrice, elle fait preuve d’une assurance et d’une force d’autant plus singulières qu’elle est atteinte de troubles du spectre autistique. Quand bien même elle reste une création d’un auteur qui ne l’est pas (du moins de ce qu’on sait), le personnage est crédible et bienvenu dans l’univers de Stephen King où règnent des figures féminines puissantes, antagonistes comme bienveillantes : Carrie, Misery, Jessie, Rose Madder, Histoire de Lisey, Charlie, Dolores Claiborne, Sleeping Beauties, Doctor Sleep, etc.
Nous terminons le recueil avec Rat. Un rat, voilà l’étrange rencontre qu’un professeur d’université va faire, aux prises avec l’écriture de son nouveau manuscrit. Car il existe un fossé entre l’imagination et les mots dans lesquels on tente de la mettre, à la plume ou au clavier. Et pour cet écrivain qui s’y trouve coincé depuis toujours, la solution se propose sous la forme d’un pacte avec un rat. Suivons Stephen King dans ce conte de fée maléfique, avant de refermer le livre.
Quatre nouvelles, ma foi, de bonne facture, toutes promises à une adaptation cinématographique ou télévisuelle, selon le webzine Deadline Hollywood, entre les mains de Ryan Murphy, Darren Aronofsky ou Ben Stiller. Soyez certains que la rédaction de PETTRI suivra cela de près !
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