Le king du cocaine rap est de retour quatre ans après un Daytona un peu en demi-teinte. Avec It’s Almost Dry, il semble déterminé à prouver qu’il est le meilleur dans sa catégorie. Chronique de Jofrey La Rosa pour PETTRI.
L’ancien membre des Clipse est aujourd’hui le patron du label GOOD Music, initié par Kanye West. Comme sur son album précédent, on retrouve des productions de son ami sur ce disque, dont il se partage les compositions avec un autre ponte du milieu : Pharrell Williams. Ces deux producteurs-stars, eux aussi artistes et invités à poser sur des morceaux, sont les deux collaborateurs privilégiés de Pusha T depuis quelque temps. Dès ses débuts, il est produit par les Neptunes, encore une fois à la barre ici, Pharrell d’autant plus que Chad. Kanye West a pris l’ex-dealer de Virginia Beach sous son aile au sortir des années 2000, alors que Malice, le frère de Pusha et autre moitié de Clipse, décide de se consacrer à ses croyances, devenant au passage NoMalice. Pusha prend la direction du label de Kanye, pose des couplets incroyables sur des morceaux du mé(ga)lomane, et sort quelques mixtapes en solo, avant de balancer My Name is My Name puis King Push (en 2013 et 2015), un succès d’estime à la clé. Mais c’est en 2018 avec son clash contre Drake que les projecteurs se tournent vers Pusha T : de piques subtiles depuis des années, la tension monte vite entre les deux rappeurs alors que Drake commence les hostilités. Pusha répond dans son album Daytona, entièrement composé par Kanye West, faisant partie de la tétralogie des Wyoming Sessions du producteur. Drake répond. Mais le king Push décide d’atomiser le rappeur de Toronto : dans Story of Adidon, il révèle l’existence d’un enfant illégitime du rappeur avec une ancienne actrice porno française, les divers ghostwriters de la star et se moque même de la maladie de son collaborateur de toujours (Noah ‘40’ Shebib). Drake ne répondra pas.
Depuis, Kanye et Drake se sont réconciliés. Pour Pusha et Drake, rien n’est sûr. Ce qu’il l’est, c’est que It’s Almost Dry profite pleinement de la nouvelle visibilité du fabuleux cocaine rapper, qui fêtera ses 45 ans dans quelques jours. C’est donc entouré de grands noms de la production rap qu’il veut transformer l’essai. Kanye West et Pharrell composent respectivement 5 et 6 morceaux, parfois conjointement avec d’autres noms (Ojivolta, 88-Keys, Labrinth, BoogzDaBeast, FNZ, ThaMyind et Luca Starz). Ils joignent leurs forces sur un morceau, assez grandiose : Rock N Roll, sur lequel Pusha T partage l’affiche avec Kanye et Kid Cudi. Il semblerait d’ailleurs que ce soit la dernière collaboration de ces deux artistes pourtant en symbiose, pour des raisons personnelles (le premier ne supporte pas que le second soit ami avec Pete Davidson, le nouveau boyfriend de son ex). L’aspect partagé de l’album entre deux sensibilités musicales semblent d’ailleurs avoir inspiré Pusha T et son équipe : quelques jours après la sortie de l’album, ils sortent deux autres versions de celui-ci, avec un ordre de morceaux différents, scindant les productions de l’un, puis de l’autre. Sous-titrées Pharrell Vs Ye et Ye Vs Pharrell, on assiste alors à une saine compétition entre les deux producteurs - dont le vainqueur est évident, mais peu importe.
Dans sa version standard, la galette commence avec Brambleton, un morceau bouncy où les vocalises autotunées de Pharrell viennent rythmer le flow impeccable de Pusha T. Mais c’est avec Let the Smokers Shine the Coupes que le rappeur retrouve réellement son côté va-t-en-guerre, avec un beat soigné aux rythmiques appuyées, épique, samplé et clair. Une des prouesses de l’album. Puis suit Dreamin of the Past, dans une prod samplée très Kanye, qui vient parsemer le morceau d’un flow aiguisé, mais moins que celui de Push, qui vole sur une instru parfois un peu redondante, mais soulful. Mais quand vient Neck & Wrist, les choses sérieuses commencent : Jay-Z vient enfin relever le défi lancé par Pusha T dans un couplet impactant, sur une prod made in Pharrell incroyable, complexe et ambitieuse, autoritaire et moderne, qui montre à quel point le grand Pharrell, qui apparaît aussi aux ad-libs et au post-refrain, est encore à son prime, après plus de 25 ans d’une carrière immense, qui aura définit toute une partie de la musique au tournant du nouveau millénaire. Mais passons plutôt à Just So You Remember, où Pusha T montre de quel bois il se chauffe, sur une prod de Kanye moins inspirée, mais qui laisse le rayonnement à un MC en pleine possession de ses moyens. Dans Diet Coke, la même équipe réitère, dans un morceau bien plus mémorable, avec une instru scratchée aux multiples samples à l’ancienne, mais pas dénuée de modernité, et un enchainement de la part du king Push dément, revenchard et précis. En sorte de césure à l’hémistiche de la galette, Kanye et Pharrell fusionnent pour livrer Rock N Roll, un morceau pour l’Histoire, avec trois artistes (Pusha, Kanye, Cudi) qui jonglent avec une prod léchée et intemporelle, avec une aisance et une émotion palpables. Puis retour d’un Pusha T nonchalant et agressif sur Call My Bluff, qui découpe une instru sur mesure de Pharrell, très Clipse ou late N.E.R.D., d’une rare modernité, où les percus cognent avec aplomb, et une simple complexité. Incroyable. Place à Scrape It Off, avec un double feat de Lil Uzi Vert et Don Toliver, où ce dernier vole le morceau, grâce à un refrain efficace. Mais Lil Uzi Vert est plutôt bon, pour une fois, mais à l’intelligence de passer avant un Pusha T qui détruit littéralement la prod classieuse de Pharrell, avec une nonchalance aiguisée. On avait déjà entendu Hear Me Clearly sur la compil de Nigo, mais le morceau fait toujours mouche, encore plus dans le flux de cet album. Dans Open Air, Pusha T se livre davantage sur sa position d’ancien dealer, ses regrets, sa rage, sur un système qui détruit les âmes. La prod simple et léchée de Pharrell arrive à intensifier un propos nécessaire. C’est avec I Pray for You que Pusha T vient conclure son meilleur album : un morceau avec lequel il retrouve son frère NoMalice (crédité en tant que Malice) sur un gospel de Labrinth (le compositeur d’Euphoria, entre autres). Mais ça ne l'empêche pas de partir sur un couplet dément au flow variable et précis, avant qu’il ne laisse conclure l’autre moitié des Clipse dans un couplet puissant, tant qu’on aimerait réentendre un projet entier des deux frères de Virginia Beach.
Si en plus il pourrait être entièrement produit par Pharrell, ou mieux les Neptunes, tant Punch Bowl (sur I Know Nigo) et ce I Pray for You en si peu de temps tendent à annoncer un retour du groupe fraternel. On peut toujours rêver. Quoiqu’il en soit, Pusha T vient de sortir un gros morceau de l’année rap US, avec son rap sec, abrupt et tranchant, autant moderne qu’intemporel. Le MVP de l’album est évidemment Pharrell Williams, incroyable génie qui se renouvelle sans cesse sans ne jamais perdre de son essence ou de sa pertinence. It’s Almost Dry est un grand album, foncez !
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