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Sophie Le Gallo

PETTRIVIEW #6

Dernière mise à jour : 15 déc. 2021

Aujourd’hui, Sophie Le Gallo vous propose un Pettriview musical et littéraire, soit 1 album et 3 livres !



Musique :


Engine of Hell - Emma Ruth Rundle

Après la collaboration d’Emma Ruth Rundle avec le groupe de doom metal Thou sur l’album May Our Chambers Be Full et un duo puissant avec Chelsea Wolfe, Anhedonia, je me demandais ce que nous préparait la chanteuse américaine pour son nouvel album. Les deux premiers singles, Return et Blooms of Oblivion, aux clips somptueux influencés par Jean Cocteau et Wim Wenders, nous mettent sur la voie. Deux morceaux où se déploient la force de la vulnérabilité et une voix oscillant entre fragilité convalescente et sombre douceur, portant des thèmes qui le sont tout autant. Est arrivé il y a quelques jours le petit dernier, The Company, dans la même lignée poétique.

Engine of Hell est en quelque sorte un album d’hiver dénudé et de gravité. Emma Ruth Rundle troque les guitares avec lesquelles elle a exploré bien des registres - folk, ambient, métal - contre le piano, instrument de son enfance. La voix susurre ses mélodies au creux de votre oreille, à peine audible, à la limite du soupir. “Depuis longtemps”, a déclaré l’artiste, “je voulais faire un album comme celui-là, dépouillé d’effets, de tout.”

Après ses albums plus métal, Marked For Death et Dark Horses, Emma Ruth Rundle choisit la retraite, celle du refuge où l’on se terre et d’où l’on chante avec le peu de souffle qui reste. La puissance et le lyrisme n’en sont pas moins présents. Emma Ruth Rundle continue à aller à l’essentiel, explorant ses propres ténèbres, et on ne peut que la saluer pour ça.

My whole life – Some dark night – Is so much brighter now without you.


Livres :


Traverser la foule - Dorothée Caratini (Bouquins Editions)

L’écriture du deuil est cathartique et bouleversante pour qui s’y confronte, auteur comme lecteur. Comment écrire lorsqu’on est frappé par l’irréparable. Comment écrire lorsque, parmi ceux qui restent, on se retrouve noyé dans l’après : chagrin, douleur, obsèques, démarches administratives, réactions des uns et des autres, reprise du quotidien… Comment écrire, entre les fantômes et l’avenir. C’est tout cela que Dorothée Caratini raconte lorsqu’elle rentre de courses et découvre le corps de son compagnon, le père de leurs deux filles, qui vient de se suicider. Dès lors, il lui faudra “traverser la foule”.

La foule, c’est la multitude venue se rendre aux obsèques. Ce sont ceux qui sont en deuil et nous découvrent dans le deuil. Ce sont ceux qui ignorent qu’on est en deuil, qui nous rencontrent après la mort de l’autre. Ce sont ceux qui ne facilitent pas le deuil, entre leçons de vie déplacées et procédures ubuesques, que l’autrice épingle en un florilège aussi navrant qu’instructif dans cette chronique récente. Et la foule, Dorothée Caratini la traverse avec ses petites filles comme un navire dans la tempête, avec toutes ses identités : autrice, femme, mère, mélomane, créatrice. Et heureusement, dans la foule, il y a des mains tendues, du baume pour le cœur.

“Les fantômes ont-ils le droit de venir nous susurrer à l’oreille leur mal-être ? leur petit souci de passage dans l’au-delà ? leur besoin d’apaisement ? Les vivants, ce sont eux qui ont droit au repos, non ? Qui ont droit au calme, à la sérénité. Ce sont les vivants qui méritent de profiter de la vie. Les morts, restez entre vous. Jouez à la belote, si vous voulez.”

Berserk - Kentarō Miura (Glénat)

Je fais partie des personnes qui ont découvert Berserk après la mort de son auteur et les multiples hommages qui ont suivi dans le monde de l’illustration. Plus exactement, je connaissais de nom, mais mes incursions dans les mangas ne sont jamais allées de ce côté. Jusqu’à récemment, lorsqu’un ami bibliophile m’a dit avoir acheté les trois premiers tomes en édition deluxe. J’ai alors décidé de m’y plonger.

Le mot n’est pas anodin, car Berserk est une œuvre conséquente (363 chapitres publiés depuis 1989 à ce jour) et intense. On y suit Guts, guerrier solitaire, dans un univers, comment dire… Prenez de l’inspiration médiévale occidentale (fantasmée par les Japonais, sinon c’est pas drôle), ajoutez-y une pincée de Renaissance, des créatures lovecraftiennes à la sauce Hellraiser et Hans Giger, et vous en aurez une petite idée. Vous comprendrez également que Guts n’y passe pas forcément de très bonnes journées. Traqué par des forces terrifiantes, Guts vit dans la violence, le désir de retrouver sa liberté et d’accomplir sa vengeance. Au risque d’être absorbé dans ses propres ténèbres.

Aucune gratuité dans Berserk, dont les thématiques nourrissent une réflexion sombre sur l’homme et ce qui bataille en lui : sa monstruosité, ses désirs, sa violence, son ambition, sa volonté de faire le bien parfois au détriment des autres.

À mes yeux, à travers l’histoire de Guts, Berserk est un manga sur le traumatisme et l’après : survivre après avoir été frappé, se retrouver traqué, hanté, errer dans ce qui ne semble être qu’une longue nuit de l’âme cauchemardesque. Toutefois, il se peut que la lumière revienne à l’horizon…

Bref, lisez Berserk. Ne serait-ce que pour les dessins magnifiques et travaillés de Kentarō Miura. Chaque page ou presque est une claque visuelle, à couper le souffle.


La Cantine de Minuit - Yarō Abe (Éditions Le Lézard Noir)

Finissons sur plus de légèreté. Si vous faites partie des gens qui, pour affronter l’arrivée de l’hiver, ont besoin de doudous divers et variés dans lesquels se blottir - plaids, séries, livres, disques - je pense avoir ce qu’il vous faut.

En l’occurrence, Shinya Shokudō, que vous connaissez peut-être mieux sous le titre La Cantine de minuit, sa traduction en français. Ce manga de Yarō Abe se déroule au cœur de Tokyo, dans l’arrondissement animé de Shinjuku. L’on y trouve à la fois de grandes entreprises, des centres commerciaux, des cinémas, des restaurants… Et, dans de plus petits quartiers, des bars à hôtesses et des izakaya, équivalents nocturnes de bistrots ou de gargotes. C’est sur l’un d’entre eux que se penche l’auteur.

Les règles y sont très simples : de minuit à sept heures du matin, le taulier, flegmatique et bienveillant, vous propose sa carte composée de menus basiques, mais aussi le plat de votre choix, selon les ingrédients dont il dispose. Et ce au plus grand bonheur de sa clientèle variée, qui illustre la vie nocturne de Shinjuku et Tokyo : salary men exténués, hôtesses, strip-teaseuses, retraités, policiers, apprenties actrices, écrivains, etc. Tous se retrouvent dans ce secret d’initié, autour des plats que prépare le cuisinier.

Ainsi, le manga se découpe en chapitres consacrés chacun à un plat et au quotidien de celui ou celle qui le commande. Entre recette de cuisine et tranche de vie, il n’y a qu’un pas, ici franchi en toute tranquillité. Dans la lignée du Gourmet solitaire de Jirô Taniguchi, La Cantine de Minuit plaira aux amateurs de légèreté et de gastronomie japonaise.

Et si les 10 volumes parus en français ne vous suffisent pas, sachez que vous pouvez retrouver sur Netflix deux des saisons de l’adaptation en drama japonais, Midnight Diner : Tokyo Stories.

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