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MYSTIC RIVER (critique)

Pour fêter les 91 ans de son réalisateur, le légendaire Clint Eastwood, Jofrey La Rosa revient sur son film favori de cet auteur hollywoodien majeur : Mystic River. Une plongée moite dans les tréfonds de l'âme humaine dans un Boston magnétique.

Quand on est un peu réfractaire (comme l'auteur de ces lignes) au style très sec et froid du réalisateur Clint Eastwood, tantôt pathos et libertarien, tantôt prolixe et scrupuleux, on peut tout de même faire un peu de place à Mystic River. Parce qu'il a un casting habile et original. Parce que le scénariste Brian Helgeland est un faiseur doué et un peu oublié (L.A. Confidential, Man on Fire, Payback, Chevalier). Parce qu'il adapte un livre de Dennis Lehane (Gone Baby Gone, Shutter Island, The Wire). Parce que c'est juste un chef d'œuvre. Mais essayons tout de même de développer. Quand surgissent les logos de Warner et de Village Roadshow argentés, sans aucune animation, nous sommes dans le noir d'un Cinemascope préfigurant un film sombre et crépusculaire, situé dans une communauté bien précise du nord-est américain. Les films bostoniens, ils sont en vogue depuis le succès de Good Will Hunting en 1997, et continuent de faire les beaux jours de pas mal de films hollywoodiens, souvent avec Matt Damon, Mark Wahlberg et/ou les frères Affleck, tous originaires de la capitale du Massachusetts. Dans cette ville clivante, la plus européenne des villes américaines, les irlandais et les catholiques pullulent là où ils se font plus rares ailleurs. Et puis il y a cette fameuse Mystic River, dont le nom ne peut pas s'inventer. Elle sépare les quartiers défavorisés des plus huppés et fait dans le film éponyme figure d'une frontière infranchissable, Styx rédempteur, où on lave ses péchés. Le vétéran Eastwood, rodé au néo-classicisme hollywoodien, tire du roman de Lehane un film d'une grande intensité, dans un ballet choral de personnages tous liés par un drame matriciel.


Le film commence par une skyline de Boston, puis vient vite s’intéresser à trois gamins jouant au hockey dans une rue dont le ciment du trottoir vient d'être refait. Comme tout enfant l'aurait fait, ils y gravent leur nom, quand deux hommes arrêtent leur voiture près d'eux. Prétendant être flics, ils embarquent Dave, un des gamins, à l'arrière de leur véhicule, non sans menace. Dave disparaîtra quatre jours, durant lesquels il est violé et violenté, avant d'enfin pouvoir s'enfuir. Une fois adulte, ses amis d'enfance et lui se disent à peine bonjour quand ils se croisent. La vie les a éloignés. Jimmy est désormais un patron d'épicerie respecté et Sean un agent du FBI froid et en pleine crise conjugale. C'est quand la fille de Jimmy est retrouvée morte et que Sean est chargé de l'enquête, que le feu est mis aux poudres. Le même soir, Dave rentre les mains ensanglantées auprès de sa femme, prétendant un combat de rue avec un agresseur qu'il a peut-être tué. Mais évidemment, les soupçons de sa femme Celeste vont s'intensifier alors que Dave semble de plus en plus affecté par la mort de Katie, la fille de Jimmy. De ce postulat relativement simple, Eastwood met en scène un récit tendu et froid, dans lequel les acteurs principaux tirent tous trois des partitions bien différentes : Sean Penn, magistral, obtient un de ses plus grands rôles, avec un jeu lancinant aux montées dramatiques qui prennent aux tripes. Tim Robbins, lui, est beaucoup moins contrasté et reste en dents de scie tonale tout du long, dans une partition plus classique pour ce rôle ambivalent. Kevin Bacon, un peu en retrait, est quant à lui plus dans la simplicité des jeux de regards « eastwoodiens ». Les femmes, elles, crèvent l'écran en très peu de scène : Marcia Gay Harden et Laura Linney sont en tout point parfaites dans des rôles nuancés.


Mais c'est bien la musique (orchestrale, pour une fois!) composée comme à son habitude par Eastwood lui-même qui sert de point d'ancrage émotionnel à ce beau film, mis en images comme toujours par son fidèle directeur de la photographie Tom Stern, connu pour ses clairs-obscurs contrastés et une désaturation, qui sont également légion dans les productions Warner des années 2000. Tonalement bleu, le film veut surement rappeler la présence constante de cette rivière d'absolution, qui parcourt Boston comme le film, largement et cloisonnant des thématiques fortes, des traumas, au centre d'un combat constant, intérieur comme global, du Bien contre le Mal, jusque dans un dénouement en montage alterné glaçant et terrifiant qui ne trouve pas de résolution heureuse. Le drame hollywoodien est disjoncté par le principe « lehanien » qu'un drame, comme un trauma, aussi insaisissable que de l'eau, ne peut et ne doit pas être oublié, pire, on doit en payer les conséquences chaque jour. Comme le dit Jimmy, le personnage de Sean Penn, son ami d'enfance Dave est mort quand il a été enlevé par ces porcs, pas dans la Mystic. Une enquête et un drame fluides et métaphysiques, en somme, qui ne laissera personne indemne.

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