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MISSION: IMPOSSIBLE III (critique)

Notre rétrospective Tom Cruise se poursuit cette semaine avec le troisième volet des aventures d’Ethan Hunt. Dans M:I-III en 2006, l’acteur-producteur s’adjoint les services du wonderboy du moment J.J. Abrams, lui offrant au passage son premier long-métrage. Retour sur cet épisode maudit mais néanmoins charnière des Mission: Impossible à la sauce Cruise.

Après le départ de David Fincher puis de Joe Carnahan, Tom Cruise désespère de donner une suite à l’incroyable succès que fut Mission: Impossible II. C’est enfin chose faite quand il débauche J.J. Abrams, tout juste sorti du pilote de Lost, pour le propulser aux commandes du plus gros budget jusqu’alors alloué à un réalisateur débutant. Sauf que le prodige, auteur des séries les plus bankables du nouvel âge d’or, est loin d’être un novice puisqu’après la réussite de Felicity, il crée et chapeaute Alias, série d’espionnage avec Jennifer Garner, et ce dès 2001. On lui donne ensuite carte blanche pour une série située sur une île déserte, destinée à être diffusée à la rentrée 2004. C’est durant cet été que Tom Cruise, qui vient de découvrir Alias en DVD et de virer Joe Carnahan qui travaillait sur le film depuis 15 mois, débarque dans les bureaux de Bad Robot. Damon Lindelof, alors jeune scénariste qui a co-créé Lost avec Abrams, raconte que lorsqu’il voit Cruise dans le bureau de J.J., il sait qu’il va devoir s’occuper seul de leur bébé naissant. Et en effet, après quelques délais fortuits dus au feu vert soudain donné à La Guerre des Mondes de Spielberg, Abrams se retrouve à la barre de M:I-III.

Jusqu’alors, il était donc connu pour ses séries, on l’a vu. Mais il a également travaillé en tant que scénariste, et notamment script-doctor, sur une multitudes de productions ciné des années 1990 : À propos d’Henry, Forever Young, Gone Fishin’, Armageddon, Une Virée en Enfer, mais aussi (et on le sait moins) Casper, 60 Secondes Chrono, Les Ailes de l’Enfer et a même plus tard participé au premier Iron Man de Jon Favreau. Il produit aussi quelques films oubliables tels que The Suburbans et joue même dedans, tout comme dans certains autres films, comme Diabolique et Six Degrés de Séparation. Mais il semblerait que ce soit lui qui était en charge des premiers essais de Shrek (qui ont fait surface publiquement l’an dernier), alors incarné par Chris Farley. Bref, désormais appelé J.J., Jeffrey Abrams se retrouve à mettre en scène la star, quelque peu affaibli par ses frasques télévisées sur le canapé d’Oprah, dans un film déjà marqué par le départ de plusieurs réalisateurs de renom. Après avoir repris le script de zéro avec Alex Kurtzman et Roberto Orci, ses scénaristes d’Alias, il met en place son équipe, constituée d’habitué.e.s (Maryann Brandon et Mary Jo Markey au montage, Scott Chambliss à la déco, Michael Giacchino à la musique) mais aussi de nouveaux venus (Dan Mindel à la photo, qu’il ne quittera quasiment plus). Au casting, la tête chercheuse imparable qu’est Abrams (voyez un peu la liste des gens qu’il a découvert ou mis sur le devant de la scène!) déniche de gros talents et des noms moins connus, pour faire face à Tom Cruise dans cette troisième mission. Ce dernier retrouve donc Philip Seymour Hoffman, croisé chez Paul Thomas Anderson (Magnolia), mais aussi et évidemment Ving Rhames, seule autre constante de la saga. Au casting figurent également Michelle Monaghan (Kiss Kiss Bang Bang), Laurence Fishburne (Matrix), Billy Crudup (Almost Famous), Jonathan Rhys Meyers (Match Point), Maggie Q (Dragon Squad), Eddie Marsan (Miami Vice) et celui qu’on retrouvera désormais dans toutes les suites, Simon Pegg (Shaun of the Dead).

Maintenant que les présentations sont faites, passons aux choses sérieuses. Après les errances hitchcockiennes de Brian De Palma puis les envolées d’actioner kitchouille de John Woo dans les deux premiers volets, Tom Cruise semble vouloir se réapproprier la saga. La rapprocher de son modèle originel et sériel aussi. Ce n’est donc pas innocent de prendre le meilleur faiseur de séries de l’époque pour ce nouvel épisode. De plus, il laisse faire Abrams, qui appose immédiatement un style esthétique dingue, au montage survitaminé et au rythme toujours marqué par l’urgence. Situé quelque part entre les orfèvres du cinéma d’action hollywoodien formés à l’école Simpson/Bruckheimer que sont Tony Scott et Michael Bay, et le pendant plus classique à la Steven Spielberg, le style d’Abrams est immédiatement reconnaissable. Le signe d’un auteur précoce ? Peut-être, mais aussi la simple transformation de l’essai du passage d'un médium à l’autre. Il y avait déjà une certaine ambition classieuse et généreuse dans les séries signées Abrams, qu’il insufflait dans des pilotes d’Alias et Lost. L’association naissante avec le chef opérateur Dan Mindel (Ennemi d’État, Domino), génie du travail sur la pellicule, n’est pas tout à fait innocente. Les diverses sources lumineuses, parfois multicolores, parfois clignotantes, font de leur union un petit bijou du genre. Les deux hommes travailleront tout le temps ensemble par la suite, sauf durant le pas de côté qu’est Super 8, où Abrams retrouve son ami d’enfance Larry Fong (Lost, 300, Watchmen) pour l’occasion (ce qui a du sens dans ce que raconte le film). Mais dans le cas de M:I-III, le travail des images, tant au niveau de la lumière que du montage, ultra-dynamique, millimétré et décomplexé, est tout bonnement prodigieux. Les mouvements de caméra sont d’une précision significative rare, toujours nerveux et percutants, associés à des points de montage incroyables. Un véritable travail de maîtres en la matière, qu’Abrams orchestre avec un sens imparable de la force filmique.

Et tant qu’on parle d’orchestre, autant parler de la partition de Michael Giacchino. Il distille un score orchestral bondissant, reprenant le thème de Lalo Schiffrin pour mieux travailler les émotions à l’œuvre dans le film - nombreux et profonds. À plusieurs reprises, le compositeur de Lost et Up arbitre un spectacle de chaque instant, où Ethan Hunt doit jongler entre son métier secret d’espion et une relation amoureuse dans laquelle il désire s’engager encore davantage. Depuis peu, il vit avec Julia (Michelle Monaghan), et il est de plus en plus difficile de concilier sa vie privée avec ses obligations professionnelles. D’autant plus quand une de ses protégées (il est désormais formateur au IMF) est enlevée par un dangereux criminel international (Philip Seymour Hoffman). Il se doit de reprendre du service, auprès de son éternel partenaire Luther (Ving Rhames), pour sauver cette certaine Farris (Keri Russell). Mais ce sauvetage tourne mal et Ethan est dans la mouise pour cacher au criminel son (unique?) point faible : sa compagne. Oui, il semble que ce troisième épisode soit un méga-episode d’Alias, jusque dans des redites de scènes, d’idées, de motifs. Mais avec un budget explosif.

Tom Cruise poursuit dans ce film le virage qui l’avait fait kiffer dans le précédent opus : faire lui-même ses cascades. Sans aller dans les excès des Burj Khalifa, des avions en décollage ou des apnées de six minutes, Cruise assure ici un spectacle impressionnant, suspendu à des fils, virevoltant tout partout et se battant contre tout plein de méchants pas beaux. Au milieu de ça, Philip Seymour Hoffman compose un antagoniste nuancé et foncièrement mauvais, mais particulièrement réussi, nommé Owen Davian (nom génial, récurrence des personnages d’Abrams, de Jack Shepard à Poe Dameron). Pour en juger, il n’y a qu’à (re)voir la scène de l’avion, dans laquelle Ethan essaye de le faire parler en le suspendant dans le vide en plein vol. Les deux acteurs se renvoient la balle à base de jeux de regards sidérants et de répliques assassines.

Parce que oui, Tom Cruise est un performer incroyable, et il le prouve encore une fois ici, mais c’est surtout un comédien qui peut très bien tenir la comparaison face à d’immenses compères : le regretté Philip Seymour Hoffman ici, mais pour rappel, il a aussi fait face à Dustin Hoffman, Jack Nicholson, Robert Redford, Meryl Streep, Gene Hackman, Paul Newman… tout en travaillant avec les plus grands cinéastes de son temps. Il peut ajouter J.J. Abrams à la liste avec ce film incroyable, synthèse folle des obsessions thématiques et formelles de leur cinéma à tous les deux, pinacle du cinéma d’action de ce siècle à mon sens, véritable chef-d’œuvre dans son genre, aussi géant que doué d’une incroyable faculté de revisionnage. La musique est terrible, la mise en scène est terrible, le montage est terrible, les acteurs sont terribles, l’esthétique est terrible. M:I-III est une bombe, le meilleur volet d’une saga qui restera pour sûr dans les annales du cinéma.


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