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Loup Coudray

MINORITY REPORT (critique)

Rencontre au sommet ! En 2002, Minority Report marque la première collaboration très attendue de deux monstres du cinéma américain : Steven Spielberg et Tom Cruise. Dans le cadre de la rétrospective que nous organisons autour de notre scientologue préféré, retour sans spoiler sur un sacré morceau de cinéma de science-fiction.

"Can you see?"

Depuis leur rencontre sur le tournage de Risky Business en 1983, ces deux-là disaient vouloir travailler ensemble… et pourtant, il aura fallu attendre le début du XXIè siècle pour que leur première collaboration se concrétise.

Alors qu'il tourne Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick, Tom Cruise lit une première version du scénario de Minority Report, d'après une nouvelle du célèbre écrivain de S.F. Philip K. Dick, déjà habitué aux adaptations à succès sur grand écran, notamment Blade Runner ou Total Recall (Minority Report a d'ailleurs initialement été envisagé comme un sequel de ce dernier !). Il propose le projet à Steven Spielberg, qui demande de nombreuses modifications au script. Le projet est différé, suite aux retards de tournage de Mission: Impossible 2 qui bloquent le planning de Cruise, puis lorsque Spielberg, décidément en pleine phase futuriste, hérite du projet A.I. Artificial Intelligence à la mort de Kubrick. En 2001, finalement, le film est mis en boîte, pour une sortie américaine en juin 2002.

Est-il vraiment encore nécessaire de présenter ce film, onzième plus gros succès de Spielberg au box-office mondial ? (Bon, je vais le faire quand même) En 2054, à Washington D.C., John Anderton (interprété par Tom Cruise) est membre d'une unité policière un peu spéciale : Precrime. Fondée six ans plus tôt, cette organisation encore expérimentale repose sur un groupe de trois "Precogs" (pour précognitifs), des humains ayant la capacité de prévoir des crimes avant qu'ils ne soient commis, et de fournir l'identité de la victime, du criminel et l'heure à laquelle le crime sera commis. Le reste de l'équipe doit donc déterminer, à partir d'images mentales fournies par ces Precogs, l'endroit où le crime aura lieu, et intervenir pour l'empêcher. En théorie, ça marche : le taux de criminalité dans la ville est en chute libre et les politiciens s'en félicitent. Mais alors qu'un projet de loi visant à pérenniser Precrime et l'appliquer au reste du pays doit être examiné, Anderton découvre que ce système pourrait avoir une faille et envoyer en prison des "innocents" pour des crimes qu'ils n'auraient pas commis (même sans l'intervention des agents). Et lorsque les Precogs annoncent qu'il va lui-même commettre un meurtre, il prend la fuite et mène sa propre enquête, traqué par ses anciens collègues…


Enquête policière et découverte d'un complot comme dans Jack Reacher, problèmes liés à la paternité comme dans War of the Worlds (ici, le personnage est traumatisé par l'enlèvement de son fils sous sa supervision des années auparavant -d'où sa motivation à lutter contre le crime), flopée de scènes d'actions (bataille en jet-pack, "poursuite en voiture", jeu de chat et de la souris avec les forces de l'ordre…) dont il interprète la majorité des cascades comme dans… bah… tous ses films, et même une scène d'infiltration au siège de Precrime à visage modifié (hommage aux scènes de masques, passage obligatoire de tous les Mission: Impossible ?) : Minority Report semble rassembler des éléments de toute la filmographie de Tom Cruise, et offre un divertissement intense et très accrocheur.

Mais, en bonne adaptation de Philip K. Dick, son scénario propose également un aspect plus réflexif et philosophique. La question du libre arbitre contre le déterminisme est bien sûr centrale dans le film, à travers l'histoire d'Anderton : est-il irrévocablement destiné à commettre un meurtre, comme l'indique les visions des Precogs, ou peut-il choisir de modifier son futur dès lors qu'il en a connaissance ? Et, ne connaissant pas la personne qu'il est censé être amené à tuer, n'est-ce pas précisément à cause de la prévision qu'il cherche à déjouer qu'il en viendrait à commettre ce crime ? Voire même, plus généralement : peut-on inculper quelqu'un pour un crime qu'il n'a pas encore commis, puisqu'on ne peut savoir s'il s'en rendrait réellement coupable au final ? De nombreux questionnements se posent aussi sur les libertés individuelles, et jusqu'à quel point elles peuvent être sacrifiées au profit du marketing (publicité ciblée omniprésente dans la ville), et de la sécurité : tout le monde est identifié en permanence par des scans rétiniens ; et ce parfois de façon extrêmement intrusive (comme lors de la fameuse descente de police dans un immeuble, où les "spyders" d'identification s'introduisent dans les domiciles de tous les habitants pour les scanner au milieu de leurs activités privées). Le film étant sorti moins d'un an après les attentats du 11 septembre, il tombait vraiment en plein dans des questionnements qui traversaient le monde en général, et les États-Unis en particulier.

Stylistiquement, Spielberg dit s'être inspiré de l'esthétique du film noir des années 1950 pour Minority Report. Avec son fidèle directeur de la photographie Janusz Kamiński (il s'agit à l'époque de leur sixième collaboration -ils en sont aujourd'hui à dix-huit !), il propose une image granuleuse, froide et désaturée. Le film est presque en noir et bleu la plupart du temps, en parallèle avec des moments en ton sépia, soit des jaunes sans chaleur laissant peu de place aux autres couleurs. La photographie est également contrastée à l'extrême, grâce à l'utilisation de la technique du bleach bypass.

Les effets spéciaux, signés ILM (à l'époque, incontestablement le meilleur studio d'effets spéciaux du monde), ont inégalement vieilli. Si certaines incrustations piquent un peu les yeux, ou certains modèles numériques (notamment dans les décors) manquent de texture par rapport aux standards d'aujourd'hui, le film n'en propose pas moins des séquences encore incroyablement prenantes et crédibles, notamment dans les scènes d'action pré-citées. De manière amusante, certaines scènes, esthétiques, et les designs de ville et de certains véhicules font vraiment beaucoup penser aux scènes sur Coruscant (poursuite de speeder) et Kamino dans Star Wars Episode II: Attack of the Clones, d'ailleurs sorti un mois plus tôt -référence pas des moins glorieuses en la matière, quoi qu'on puisse penser du film par ailleurs.

La musique, évidemment composée par John Williams, éternel compère de Spielberg, est également parfois très proche de celle d'Attack of the Clones dans ses tonalités et ses orchestrations -Conrad Pope étant derrière les orchestrations des deux films, ce n'est sans doute pas un hasard. Par rapport aux habitudes de Williams, célèbre pour son utilisation de leitmotivs dans la plupart de ses compositions, la bande originale de Minority Report se démarque par son absence de véritable thème identifiable. La musique semble composée au fur et à mesure pour coller à chaque scène sans mettre en avant de morceaux emblématiques… une façon, pour rejoindre les questionnements du film, de choisir le libre arbitre plutôt que le déterminisme ?

À noter enfin, un riche casting composé, outre Cruise, du vénérable Max Von Sydow, de l'encore tout jeune Colin Farell (dans un rôle un temps dévolu à Matt Damon) ou encore de Samantha Morton, elle aussi encore peu connue à l'époque.


Très bien reçu à sa sortie par la critique comme par le public, Minority Report reste aujourd'hui un incontournable de la filmographie de Tom Cruise comme de Spielberg, quatre ans avant leur nouvelle collaboration sur War of the Worlds.


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