Suite de notre rétrospective de la filmographie des sœurs Wachowski, avec le troisième volet de la saga Matrix, vu par Amandine Thieulent. Elle décortique ce Matrix Revolutions, avant la sortie du quatrième film, nommé Resurrections, en salles françaises le 22 décembre.
Matrix Revolutions sort le 6 octobre 2003, soit cinq mois après le second volet de la saga. Malgré une campagne de publicité monstrueuse et une sortie teasée et programmée à la minute près, le film est malheureusement victime du peu d'engouement suscité par Matrix Reloaded, et le public n'est pas au rendez-vous. Au-delà d'être considéré comme un échec commercial, c'est à nouveau un déferlement de mauvaises critiques qui s'abat sur la conclusion de la saga. Néanmoins, malgré tous ses détracteurs, la force de la saga Matrix est de s'inscrire comme une épopée qui aura marquée son temps, et laissée une trace dans l’histoire du cinéma.
Alors que Neo est coincé dans une gare entre deux mondes, les Machines s'apprêtent à attaquer Zion. Morpheus, Trinity et Seraph attaquent le repaire du Mérovingien pour le rejoindre. L'Oracle avertit Neo qu'il doit se méfier de l'agent Smith, son contraire, car la bataille finale entre les hommes et les Machines est proche. Les citoyens de Zion préparent activement la défense de la cité.
Matrix Revolutions se déroule dans la continuité de son prédécesseur, c'est à dire parmi les humains, au sein de Zion. Afin de libérer Neo de son coma, Trinity et Morpheus se rendent chez l'Oracle 2.0 (suite au décès de l'actrice Gloria Foster, Mary Alice la remplace, grâce à la magie de la matrice, ce changement est incorporé au scénario) qui les envoie chez le Mérovingien (dans son club ou règne l'apologie du style cyber-punk : du cuir, du noir et du clou à gogo). Celui-ci libère Neo de la partie de la matrice dont il est prisonnier, qui se rend à son tour chez l'Oracle. Il comprend alors que le virus Smith s'est répandu dans la réalité, et qu'il compte la détruire, ainsi que la Matrice. L'élu endosse alors son rôle et prend conscience de ce qui lui reste à faire. Il se rend dans la ville des machines, permettant ainsi aux sœurs Wachowski d'enrichir leur univers et aux spectateurs de découvrir ce qu'est devenue la vie sur Terre. Cette ville tentaculaire, plongée dans l'ombre ne comporte aucune note de couleur ou de lumière. Elle semble cependant s'articuler comme une de nos grandes villes actuelles : presque reconnaissables à coup d'autoroutes et de gratte-ciel.
Neo se présente aux machines (qui, pour lui faire face, forment une espèce de visage flottant) comme l'Élu, le seul être capable de vaincre Smith. Il passe un pacte avec celles-ci : détruire l'agent Smith à la condition que les machines quittent Zion et mettent un terme à la bataille en cours. Et qu'au prochain reboot de la matrice, les humains qui ne souhaitent pas en faire partie puissent se réveiller, et évoluer dans la réalité. Les machines plongent alors Neo dans la matrice une dernière fois, pour un dernier combat épique (la matrice est d'ailleurs la presque grande absente du long-métrage, provoquant ainsi la frustration de bien des spectateurs, émerveillés par ce cyber-univers). Le duel se déroule sous une pluie battante, devant une armée de Smith. C'est un festival de prouesses techniques qui font l'ADN de la saga : « Bullet Time » et « Burly Brawl » fusionnent avec les chorégraphies de combats sur terre et dans les airs qui rapproche encore un peu plus le film de la sphère des animés (Dragon Ball Z). En parallèle, se déroule la dernière grande bataille qui oppose les Hommes aux machines, Zion se retranche pour la prochaine attaque qui sera surement la dernière. L'humanité se bat pour sa survie et sa liberté. C'est enfin le moment tant annoncé par Morpheus. Matrix Revolutions a su apprendre de son prédécesseur : le film comporte moins de scènes d'action, mais celles-ci regorgent d'enjeux capitaux.
À la fin du duel, Neo fusionne avec l'agent Smith et parvient à le détruire de l'intérieur. Son sacrifice signe la fin du combat, les machines se retirent de Zion. Et la Matrice redémarre, avec cette fois-ci la promesse d'une fenêtre de liberté, et la possibilité pour les humains qui le souhaitent de la quitter. C'est donc une victoire en demi-teinte. Le héros meurt, la guerre n'est pas terminée, on connait peu le sort réservé aux autres personnages. Les humains restent sous le joug des machines avec un infime espoir de voir la résistance s'épanouir à nouveau après le nouveau redémarrage de la matrice. Cette fin a peu contenté le public de l'époque, celui-ci qui a suivi Morpheus dans sa foi, et croyait en son élu attendait un dénouement plus grandiose, et se voit obligé de repenser les notions de victoire et d'échec. Un sentiment d'inachevé plane sur la saga, mais c'était sans compter sur la première leçon que nous a enseignée Morpheus : sortir de sa caverne de Platon, et surtout questionner la réalité est et a toujours été le thème central de la saga Matrix. En effet, la force de celle-ci provient de ses différents niveaux de lecture, et de la finesse et cohérence au sein de ses différents scénarios.
Les sœurs Wachowski ont donc décidé pour cet ultime volet de se concentrer sur le monde réel. Les deux seules scènes prenant lieux dans la matrice se situant au début et à la fin du film (le coma de Neo, prisonnier dans une partie de la matrice présentée comme une sorte de gare, et le combat contre l'agent Smith). À moins que... la réalité ne soit qu'un autre volet de la matrice. Une simulation de réalité dans laquelle un espoir, un prémisse de liberté et le libre arbitre sont possibles afin d'identifier les humains récalcitrants à la matrice, et de les exterminer. Matrix Revolutions nous offre en effet deux niveaux de lecture. Il peut être vu comme un acte de foi, une croyance en un être humain, élu, aux pouvoirs transcendantaux qui accompli sa destinée. Ou Neo peut tout aussi bien être un programme qui s'ignore, doté de sentiments (cf la conversation entre Neo et Rama-Kandra dans cette fameuse gare sur la capacité émotionnelle des programmes) qui évolue entre deux matrices. Ce qui expliquerait également comment il lui est possible d'avoir des pouvoirs, dont des visions dans le monde Zion. Et comment Smith a pu intégrer cet autre univers, en tant que virus qui se propage d'une matrice à une autre. Neo ne serait donc qu'une imposture, et l'équation du choix, du libre arbitre primordial depuis la création de la matrice n'aurait donc jamais été résolu par l'architecte. Pour pallier cela, ne pouvant contrôler l'esprit humain, l'architecte et les machines ont décidé de le leurrer. Cela repose sur ce qui fait intrinsèquement de l'homme ce qu'il est : sa soif de liberté, sa foi, son espoir. Ainsi est créée une seconde matrice (d'ailleurs Matrix Revolutions s'écrit au pluriel), une illusion de la réalité acceptable pour les insurgés, et qui les fait malgré eux accepter la matrice, et donc leur propre sort, sans créer cette fois d'anomalie.
Les sœurs Wachowski nous proposeraient donc de découvrir un univers qui tourne en boucle, avec une anomalie, une résistance qui se répète, et un programme (Neo) pour y pallier, dans une de ses autres sphères (expliquant ainsi les impressions de déjà vu présentes depuis le premier film : le chat noir, etc..). L'Oracle a pour fonction de détourner les réfractaires au système, vers la seconde matrice en leur insufflant un peu de prophétie au passage, afin de susciter l'espoir dont ils ont besoin pour accepter cette nouvelle illusion. Mais elle a également pour fonction de sauvegarder chaque mise à jour de la matrice, et le parcours de tous ses élus afin de toujours perfectionner le système. Autrement dit, tant que l'humanité sera ce qu'elle est, inébranlable dans sa foi, et dans sa volonté de liberté, elle sera incapable de quitter le contrôle des machines. La trilogie ne s'est donc jamais écartée de son sujet principal : la notion de réalité, et comment nous la percevons. Les outils sont donnés aux spectateurs dès le premier film afin de décrypter les suivants, et questionner l'univers qu'ils nous proposent. Chaque spectateur aura une vision du film qui correspond à sa propre vision de la réalité, et à ses propres croyances, faisant ainsi de la trilogie Matrix un objet cinématographique en mouvement et libre d'interprétation.
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