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La méthode LORD/MILLER

Un des duos les plus productifs d'Hollywood a eu un revers de carrière en 2017 durant la production d'un film estampillé Star Wars. Pourquoi? Vont-ils s'en relever ? Leur méthode a semblé poser problème, mais quelle est-elle réellement ? Toutes les réponses ici...

Voilà comment il faudra décrire ce qu'on entreprend ici : un billet d'humeur analytique. Parce qu'après qu'on ait bien fait reposer ce Solo - A Star Wars Story, quelle conclusion en tirer ? C'est un bon film. Mais dispensable, quasi anecdotique, voire oubliable. Si ce n'était pas un Star Wars - et pourtant Dieu sait si le film nous le rappelle régulièrement - est-ce qu'on s'en souviendrait dans 10 ans ? Mais voilà, c'est un Star Wars, un hybride de spin-off et de préquel qu'on sait être plus construit sur la capitalisation et par réelle envie créative. Annoncée très vite après l'acquisition de Lucasfilm par Disney en 2012, cette origin story sur Han Solo avait tout du projet casse-gueule, surtout pour un personnage tant adoré - et marqué par un acteur aussi impressionnant qu'Harrison Ford. Donc, qui appelle-t-on quand on veut réussir un projet bancal ? Le duo issu de l'animation et de la comédie, Phil Lord et Christopher Miller, évidemment.

Ces deux inséparables, qui se sont rencontrés sur les bancs du Dartmouth College, prennent les rennes de ce projet évidemment produit par Kathleen Kennedy et coécrit par nul autre que Lawrence Kasdan, auteur historique de L'Empire Contre-Attaque et du Retour du Jedi, ainsi que son fils Jonathan (scénariste et réalisateur lui aussi). Après plus d'un an de prépa et quatre mois et demi de tournage, ils sont remerciés par Lucasfilm, fait très rare voire carrément inédit à ce stade de production. Mais après ce licenciement médiatique du désormais nommé Solo - A Star Wars Story, il serait bon de s'interroger sur le pourquoi. En effet, Lucasfilm a donné pour raison publique le sempiternel adage des « différends créatifs ». Mais les echos et rumeurs sont beaucoup plus incisifs : le duo de réalisateurs refaisait sans cesse des scènes dans l'incompréhension totale de l'équipe et des acteurs, improvisait tellement que le scénario en tant que tel n'était pas tourné et n’avançait pas dans le planning pourtant confortable d'un blockbuster de cet acabit. Dans la foulée, on entend parler de médiocrité de l'acteur Alden Ehrenreich dans le rôle-titre et de l'appel d'un coach pour l'aider. Cela semble tout de même étonnant, surtout pour un acteur ayant été réellement excellent chez Coppola (Tetro, Twixt), les Coen (Hail, Caesar!), Beatty (Rules Don't Apply). Ron Howard, proche du power couple Kennedy-Marshall, reprend la barre et sera crédité comme le seul réalisateur. Cela semble un peu insensé de se dire qu'après avoir travaillé deux ans sur le film, mais surtout après avoir réalisé environ 75% des prises de vues du tournage principal, que Lord/Miller ne soient pas crédité à la réalisation, comme pouvait l'être Zack Snyder sur Justice League en 2016 par exemple. Cela s'explique par les affres syndicales de la Director's Guild of America (DGA). En effet, selon les accords entre les studios et la DGA, comme ils n'ont réalisé que 75% du tournage, et non pas entre 90 et 100% comme stipulé, ils n'ont le droit ni au director's cut, ni à une consultation, et du coup, pas au crédit de réalisateurs. Mais il semble alors logique du point de vue de Kennedy de les avoir virés en ce moment là, puisque de toute façon ils ne trouvaient pas de terrain d'entente concernant à la fois la façon de faire et sur le ton du film. Si elle les laissait continuer plus longtemps, les 75% allaient bientôt se transformer en 90%, et elle serait alors dans l'obligation légale de les inclure dans toute la post-production, y compris les reshoots qui auraient été incontournables, et ce même si elle les faisaient diriger par quelqu'un d'autre. Et c'est là qu'on peut voir que Kennedy a appris du cas Rogue One. Car Gareth Edwards avait bel et bien fini le tournage principal, il devait donc être inclus dans la post-production, ainsi qu'être crédité comme seul réalisateur, quoiqu'il se passe – Tony Gilroy a dû gérer les réécritures et les reshoots, mais n'est crédité qu'en qualité de coscénariste. Mais c'est bien la relation entre Lord/Miller et Kennedy qui pose problème, parce qu'ils ne s'entendaient pas sur la direction du film et leur façon de faire. Elle devait donc faire quelque chose avant qu'il ne soit trop tard pour tout le monde. Un mal pour un bien ?

Ce n'est pourtant pas la première fois que Phil Lord et Chris Miller ont des problèmes internes avec le grand ponte du studio pour lequel ils travaillent. En effet, durant les années 2000, alors qu'ils développent encore le scénario de Tempête de Boulettes Géantes pour Sony, ils sont virés puis réengagés par Amy Pascal, alors à la tête du studio tout puissant - en plein boom après le succès astronomique des Spider-Man de Raimi. On évoquait plus haut que Lord/Miller étaient les rois des projets casse-gueules. Mais pourquoi ? Après le succès de ce film d'animation, ils ont le vent en poupe et prennent les rênes du remake de 21 Jump Street, leur premier film en live-action, que Michael Bacall et Jonah Hill ont écrit. Une comédie R-Rated après un film d'animation, le grand écart paraît dingue. Pourtant, Lord et Miller en sortent un film très bien accueilli, par la critique et le public, parce que non seulement réussi, mais aussi inventif, ingénieux et surtout très drôle. Le succès immense du film surprend Sony, qui s'empresse de mettre en branle 22 Jump Street, une suite qui sortira 2 ans plus tard. Le deuxième volet, encore plus malin et méta, arrive à concilier l'auto-conscience du reboot à celle de la suite. Aussi, ils créent un générique final où ils enchaînent les suites fictives de leur film, mettant les personnages dans des situations de plus en plus tirées par les cheveux, allant même jusqu'à remplacer Jonah Hill par Seth Rogen et multiplier les caméos. C'est après 21 Jump Street qu'ils reviennent à l'animation avec The Lego Movie, sorte de film d'auto-promo pour la firme danoise de jouets de construction, mais avec un petit truc en plus. C'est en effet sans compter sur Lord/Miller, qui apporte tout leur talent d'écriture et de mise en scène dans un film ultra rythmé, à l'écriture ciselée et incroyablement drôle. À la façon des fan-films Lego pullulant sur le net, ils adoptent une animation réaliste, mimiquant le stop-motion en animation 3D traditionnelle, refusant d'utiliser autre chose que des pièces Lego pour construire les environnements du film. Par exemple, l'eau est elle aussi en pièces Lego. Ils vont même jusqu'à inclure des coups de feu fait avec la bouche, pour préfigurer une révélation où toute cette histoire est en réalité celle d'un réel enfant qui essaye d'être accepté par son père (interprété en chair et en os par Will Ferrell, qui fait la voix du grand méchant en Lego). Un concept génial qui donne un tout autre sens et une ampleur plus grande à ce film d'ores et déjà magnifique et hilarant. Ils reviendront très vite à l'animation (mais uniquement l'écriture et/ou la production) avec The Lego Movie 2 - The Second Part et même une incursion super-héroïque avec Spider-Man : Into the Spider-Verse. Dans ce dernier, ils prennent un pendant alternatif de la refonte de l'Homme-Araignée de Sony/Marvel entreprise en 2017 avec Spider-Man Homecoming. Ici, Lord au scénario, les deux à la production, opposent une version plus âgée de Peter Parker (interprété par Jake Johnson, déjà dans 21 Jump Street et Lego Movie) à Miles Morales, nouvelle itération métisse afro-hispanique du héros créé en 2011. En parallèle du développement du Spider-Man du MCU, introduire des personnages du même univers, certes en animation, s'avère être un risque de plus à rajouter à la longue liste des projets bancals des originaux Lord/Miller. Mais comment en sont-ils arrivés là au juste ?

Au sortir de Dartmouth, Miller et Lord décrochent un contrat de développement au département animation de Disney Television. Ils produisent ensuite un pilote pour Fox, Clone High, qui passe leur tour pour que MTV demande au duo de produire une saison de cette série d'animation sur leur antenne. Ils migrent ensuite à la production et à l'écriture d'une sitcom sur CBS nommée... How I Met Your Mother ! En effet, le duo, durant la première saison de la série de Carter Bays et Craig Thomas, participent à trouver le ton, les personnages et le rythme de cette œuvre maintenant devenue culte. Lord et Miller sont également des proches du groupe Lonely Island (Andy Samberg, Akiva Schaffer et Jorma Taccone), pour lesquels ils ont produit leur pilote originel Awesometown (2005), avec qui ils ont coécrit le film à sketchs Extreme Movie et réalisé le pilote de Brooklyn Nine-Nine (2013), la sitcom de Samberg post-SNL. Ils ont aussi produit un film d'animation dans lequel il joue, Storks (Nicholas Stoller, 2016) aux côtés de Glenn Ficarra et John Requa (This is Us, Crazy Stupid Love), qu'ils retrouvent avec Small Foot en 2018. En 2015, ils produisent (et réalisent le pilote) de la série de Will Forte, The Last Man on Earth, où ils retrouvent un projet bien casse-gueule, soit une série comique avec un seul personnage (du moins au début).

Mais que cherchent-ils au final ? Ce n'est objectivement pas une question de dépasser les espérances, de se mettre en danger, de vouloir à tout prix être originaux. Enfin... pas complètement. Si on se penche de plus près sur leur filmographie, quasiment tout ce qu'ils ont réalisé, écrit et/ou produit sont des propriétés existantes : des adaptations de livres, des reboots, des spin-off, des suites, des franchises de marque. Ils n'inventent donc rien (mise à part leur série animée fondatrice Clone High). Ils ne font que s'approprier ces œuvres, les réinventent, s'en moquent gentiment, étendent leurs univers. Ils font de Jump Street une comédie méta très moderne, n'hésitant pas à réduire le concept même de reboot à une simple vanne, ils prennent à revers le fait de tirer sur la corde de la capitalisation de la nostalgie et du manque d'audace de l'industrie. En faisant ça, ils font quand même plus, avec l'inventivité formelle et narrative qui les caractérise, que par exemple Baywatch, qui tentait peu de temps après une approche similaire, sans pour autant en avoir l'intelligence, l'innovation ou la richesse d'humour. Parce que quoi qu'on en dise, ces deux cinéastes sont appliqués à ce qu'ils font, n'arrêtent pas de chercher à rendre encore meilleur le matériau, et ce en réécrivant constamment le film, à toutes les étapes de sa réalisation. Quand ils n'ont pas écrit le scénario, ils le retravaillent bien évidemment en pré-prod, et trouvent également en répétition avec les acteurs des façons de l'améliorer et d'y ajouter des choses. Pendant le tournage, ils improvisent toujours de nouvelles situations, répliques, et tournent de toutes façons plusieurs versions d'une même vanne pour se laisser le choix au montage (méthode très répandue par toute la comédie hollywoodienne, Apatow en tête). Le montage justement, probablement la partie la plus importante de leur travail, où ils 'trouvent' le film. Ils vont jusqu'à ajouter des vannes où des choses en ADR (post-synchro son – prenez en compte que quasi systématiquement, lorsqu'on entend une vanne dont on ne voit pas le personnage la prononcer, c'est une vanne ADR). Dans le commentaire audio de 22 Jump Street, Lord explique même qu'une vanne peut ne pas fonctionner jusqu'au mix sonore, où elle prend tout son sens et trouve sa place. Miller, quant à lui, essaye de toujours trouver un rythme où, après une grosse vanne, en vienne une plus petite, que les spectateurs ne découvriront qu'à une vision ultérieure du film, puisqu'elle sera couverte par les rires de la précédente lors de la découverte du film. Enfin, cette impro constante peut sûrement sembler être de la fainéantise ou être assimilée à « avec de la chance, ça sera bien ». Mais en réalité, il est clair que Miller et Lord cherchent tout le temps une spontanéité, une impulsivité et une énergie qui sont très rares au cinéma, encore plus dans les balises hollywoodiennes. Faire ça dans une comédie reste encore concevable, mais le fait qu'ils y arrivent aussi dans l'animation est simplement incroyable car les délais étirés de production et les contraintes d'animation figent très vite le film. Mais ils y arrivent, et s'y plaisent puisqu'ils font principalement de l'animation, finalement.

Avant la sortie du film, Chris Miller a affirmé sur Twitter : « Nous avions travaillé dur pour que The Lego Movie ait un ton fun, pour créer un nouveau monde visuel, pour subvertir les attentes du spectateur et pour faire exploser la rhétorique filmique. Sur The Lego Movie 2, on a travaillé dur pour conserver ce ton, pour créer un tout nouveau monde visuel, pour subvertir les attentes du spectateur et pour trouver de nouvelles façons d'exploser la rhétorique filmique. Notre volonté est que l'histoire n'aille pas là où vous l'attendez et j'espère que vous serez surpris et ravis. Et que vous rirez beaucoup. » On peut voir ici un constat de ce que veut faire le duo, et ce à chaque film, y compris ce qu'ils avaient prévu avec Solo. De l'autre côté, un proche de la production de ce film a pu déclarer que « Ron [Howard] voulait revenir à l'esprit de la trilogie originale, alors que Phil [Lord] et Chris [Miller] cherchaient quelque chose de nouveau ». Il est clair que l’auteur de la citation pense qu'Howard avait la bonne approche. Cependant, il est clair que les deux autres n'auraient pas rechigné sur le fait qu'ils veulent à chaque fois créer quelque chose de novateur. Mais ce n'était pas forcément ce que recherchait Lucasfilm quand l'ancienne production de George Lucas les a engagé, mais ils ont quand même dû pitcher, présenter des idées narratives et visuels, leur approche des personnages, et ce à diverses occasions durant près de 2 ans avant même un tournage dont les méthodes ont dû désarçonner Kennedy. Finalement, rien de tout ça n'est réellement grave, ils ont d'autres projets, ils restent producteurs exécutifs sur le film et même l'échec relatif du film au box office n'aura que très peu de conséquence sur Lucasfilm. Finalement, le pire c'est que nous ne verrons jamais le Solo de Phil Lord et Chris Miller.

Mais comment se relever après s’être vu dépossédés d’un film de ce calibre, par une des productions les plus puissantes du monde ? Et bien Miller et Lord n’en font qu’à leur tête et s’occupent du succès animé de Spider-Verse et de sa suite à venir. Parce qu’Into the Spider-Verse est une réussite folle à tous les tableaux. Tant au niveau critique que public, le film fait preuve d’un cœur gros comme leur Kingpin, une histoire brillante, tout en ayant une animation toujours inventive et stylée. Ils produisent aussi les séries animées Hoops et Bless the Harts, en plus du film Connected. Miller écrit et réalise seul The Afterparty, une mini-série live pour Apple+TV, prévue pour 2022. Ils devraient aussi chapeauter deux adaptations de l’auteur Andy Weir (Artemis et Project Hail Mary), en plus de réaliser Last Human pour TriStar, un projet original de science-fiction. Ils étaient un temps attachés à l’adaptation de The Flash pour DC, mais ont depuis cédé leur place (aujourd’hui c’est Andy Muschietti qui s’en occupe, mais ça peut changer demain, vu le nombre de personnes passées dessus…). Mais tout ça ne sont que des projets d’un duo fusionnel magnifique, plus ou moins inséparables, qui n’ont de cesse de vouloir innover, à différents stades la production audiovisuelle, tant à l’écriture qu’à la réalisation ou au montage, aussi bien en live-action qu’en animation. Ils savent tout faire - et bien qui plus est.

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