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Pauline Lecocq

LE JOURNAL DE BRIDGET JONES (critique)

Le premier volet de Bridget Jones fête ses 20 ans aujourd’hui. L’occasion pour Pauline Lecocq de revenir sur un film qui a définitivement marqué notre époque.

Dire que ce film a constitué une mini-révolution en termes d’héroïne de comédie romantique est un euphémisme. Car il y a bel et bien un avant et un après Bridget Jones, personnage que tout le monde connaît et qui a marqué de son empreinte le cinéma, la littérature, et bien au-delà, en 20 ans. Notons que le personnage en lui-même a 25 ans, puisque le roman d’Helen Fielding que le film adapte est paru en 1996. Et oui, Bridget a pris deux décennies, et nous avec, et l’on voit ce qu’elle a apporté depuis. D’ailleurs son patronyme est dorénavant utilisé à tort et à travers pour désigner « la nouvelle Bridget Jones » quand un personnage féminin débarque et sort des sentiers battus, comme un nouvel archétype sociologique et sociétal réapproprié et utilisé à des fins marketing. C’est dire son impact.


On connaît l’histoire : Bridget, trentenaire célibataire, travaille dans une maison d’édition, où elle passe plus de temps à fantasmer sur son patron qu’à travailler. Elle sort souvent avec ses meilleur.e.s ami.e.s et voit régulièrement ses parents. Dans le même temps, elle n’arrête pas de croiser le fils d’amis de ses parents, un avocat qu’elle déteste depuis le dernier réveillon où il a été méprisant avec elle.


Le film a 20 ans, et on voit à quel point il a défini une nouvelle ère et ouvert une brèche dans les représentations de femmes sur grand et petit écran : Bridget est en effet loin de la femme parfaite, image d’Epinal de la représentation féminine sur grand écran. Elle est maladroite (elle a tendance à parler avant de réfléchir), lutte contre ses kilos en trop, fume et boit beaucoup… Bref, quelqu’un avec des défauts de la vie courante qui fait qu’on s’y attache et qu’on s’y identifie tout de suite. Ses imperfections sont contrebalancées par une générosité, une honnêteté et un sens de l’humour imparable.

Le long-métrage est en effet très drôle, que ce soit en raison des gaffes de Bridget (le micro, la culotte de grand-mère etc.) ou de personnages hauts en couleur autour d’elle (ses ami.e.s), du ridicule de certain.e.s personnages ou situations (la fameuse soirée d’anniversaire avec la soupe bleue). On apprécie énormément l’écriture et les dialogues qui font toujours mouches, que ce soit dans la légèreté ou la gravité (« I like you, just as you are » reste l’une des plus belles déclarations d’amour du cinéma pour nous). Et mine de rien, le triangle amoureux fonctionne toujours.

Ce qui est très certainement dû à l’abattage des comédiens. Renée Zellweger y est absolument exceptionnelle et porte le film sur ses épaules, que ce soit en termes de timing comique ou d’émotions. L’actrice américaine (originaire du Texas) venait de tourner Jerry Maguire, Nurse Betty et Fous d’Irène. Pour le film, elle a pris du poids et s’est installée à Londres pour s’approprier l’accent londonien, qui est juste parfait (beaucoup d’anglophones pensent encore aujourd’hui que l'actrice est Britannique). Ce rôle qui va lui coller à la peau lui vaudra sa première nomination aux Oscars. Face à elle, Hugh Grant incarne Daniel Cleaver et l’on sent qu’il s’amuse comme un petit fou en snob désenchanté (avec des répliques incroyables). Ce rôle lui a permis de casser son image de séducteur gauche so british et de nous montrer une nouvelle palette de son jeu. Enfin, Colin Firth, jusqu’alors inconnu au-delà des frontières britanniques (on va y revenir) est merveilleux de classe et de fausse froideur, et aura accès à une magnifique carrière ensuite. Ils sont secondés par les excellents Gemma Jones et Jim Broadbent (les parents de Bridget).

Pourtant, avec le mouvement #metoo et l’évolution de notre regard, il est impossible aujourd’hui de rire à quelques blagues, qui ont en effet un peu vieillies. On pense notamment au personnage de Fitzherbert, surnommé « Fitzpervert » qui reluque Bridget avec insistance dès qu’il la croise, action qui s’apparente à du harcèlement sexuel dont on ne peut plus vraiment rire de nos jours. Même chose avec le personnage de la mère qui raconte un épisode d’ébat avec son amant qui s’apparente à ce qui a été défini par la suite comme un viol conjugal. Au cas où la question se poserait, nous n’avons en revanche pas grand-chose à redire au niveau du flirt entre Bridget et son boss Daniel Cleaver, qui est consentant des deux côtés.


Le culte autour du film est aussi intrinsèquement lié à sa bande-originale, utilisée à bon escient dans des scènes marquantes, que ce soit par exemple « All by myself » (version Jamie O’Neal) pendant le générique d’ouverture où l’on voit Bridget en pyjama faire du lip-sync et du air-batterie, ou « It’s raining men » (version Geri Halliwell) dans la célèbre séquence où Daniel Cleaver (Hugh Grant) et Mark Darcy (Colin Firth) en viennent aux mains dans la rue. Notons également la très belle musique composée par Patrick Doyle.

Ce que peu de gens savent c’est que Le Journal de Bridget Jones est une adaptation moderne d’Orgueil & Préjugés (Pride & Prejudice), le célèbre roman de Jane Austen, qui, par son histoire, préfigure l’un des arcs narratifs de la comédie romantique telle qu’on la connaît aujourd’hui. C’est-à-dire deux personnages qui se rencontrent et se détestent avant de petit à petit apprendre à se connaître et à tomber amoureux l’un de l’autre. Cette trame vous rappelle quelque chose ? Bridget Jones serait donc Elizabeth Bennet, Mark Darcy Fitzwilliam Darcy et Daniel Cleaver George Wickham. On peut continuer à lister les points communs, notamment en termes narratifs (Cleaver/Wickham et son mensonge à propos de Darcy par exemple). Autre référence : le nom de la maison d’édition pour laquelle Bridget et Daniel travaillent s’appelle Pemberley, soit le nom de la propriété de Fitzwilliam Darcy dans le roman. Tout comme la première phrase du roman, qui est citée et modifiée à la moitié du film par Bridget elle-même dans son journal : "It is a truth universally acknowledged, that a single man in possession of a good fortune, must be in want of a wife." (« C'est une vérité universellement reconnue qu'un célibataire pourvu d'une belle fortune doit avoir envie de se marier. ») devient ainsi pour notre héroïne “It is a truth universally acknowledged that when one part of your life starts going okay, another falls spectacularly to pieces.” ((« C'est une vérité universellement reconnue que quand une partie de votre vie commence à aller bien, une autre s’écroule de façon spectaculaire. »). Et il y en a bien d’autres. Helen Fielding, l’autrice du roman Bridget Jones, est même allée jusqu’à avoir son personnage principal fantasmer sur l’acteur incarnant Mr. Darcy dans la série BBC Orgueil & Préjugés de 1995. Ce même acteur qui se retrouve à camper Mark Darcy dans le film Le Journal de Bridget Jones, et qui lui permet d’exploser à l’international : Colin Firth. Une mise en abyme d’autant plus jouissive quand on connaît la série, qui avait fait de l’acteur un sex symbol en Grande-Bretagne lors de sa diffusion. De plus, parmi les trois personnes qui adaptent le roman de Fielding pour le cinéma (dont l’autrice elle-même), on retrouve Andrew Davies, qui est responsable de l’adaptation de la série Orgueil & Préjugés de 1995 ! C’est dire si les liens sont forts. Notons également la présence de Richard Curtis, scénariste et parfois réalisateurs des fabuleuses comédies romantiques 4 mariages et un enterrement, Coup de foudre à Notting Hill, Love Actually, Il était temps… De plus, la réalisatrice du film, Sharon Maguire (dont la mise en scène est hyper efficace), a elle-même inspiré à son amie Helen Fielding le personnage de Shazzer, l’une des meilleures amies de Bridget (campée par Sally Phillips dans le film). Il n’y a décidément que des boucles dans ce film !

Cette incarnation de la femme moderne du début du XXIe siècle fait toujours du bien et son énorme succès a été la porte ouverte à d’autres héroïnes plus imparfaites, plus réalistes, plus complexes (on pense aux séries Girls, Fleabag). Le Journal de Bridget Jones demeure donc donc à la fois un classique et un film doudou, une rom-com sur les apparences et les premières impressions, qu’on revoit à chaque fois avec un immense plaisir.

En revanche, on n’est pas très convaincu par la suite de 2004 qui s’inspire d’un autre roman de Jane Austen (Persuasion). Cependant, le troisième volet sorti en 2016 vient rehausser la donne avec une conclusion plutôt réussie (sans doute due à la participation d’Emma Thompson à l’écriture).

Par ailleurs, si vous vous retrouvez un jour à Londres, n’hésitez pas à faire un tour au Borough Market (près de London Bridge), vous y verrez l’appartement de Bridget à l’entrée.

A noter que Hugh Grant a remis un prix au BAFTA en 2020 quelques secondes après le sacre de Renée pour sa performance incroyable dans le film Judy, et s’est fendu de quelques répliques du film (les deux acteur.ice.s sont toujours ami.e.s) pour notre plus grand bonheur. Voir ci-dessous :




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