Adapter ce mastodonte de roman réclamait un nouveau changement de réalisateur : David Yates arrive à la barre de Harry Potter et L'Ordre du Phénix.
Après quatre films et trois réalisateurs, la saga Harry Potter arrive dans les mains de David Yates pour ce cinquième opus nommé L'Ordre du Phénix. Il ne la quittera plus, encore jusqu'à aujourd'hui, puisqu'il a signé tous les volets suivants ainsi que les deux volets (à l'heure actuelle) du spin-off Les Animaux Fantastiques. Homme de télévision, il avait notamment réalisé State of Play, série à suspense avec Bill Nighy et James McAvoy et créée par Paul Abbott (Shameless). Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'à peine arrivé, il trouve un angle synthétique réjouissant. Synthétique parce qu'il va modeler un style immuable et regroupant le meilleur des quatre films précédents, dans une esthétique, un rythme et un ton parfaits. Synthétique parce que Michael Goldenberg, scénariste de Contact et Peter Pan (2003), signe l'adaptation du plus long des romans de la saga littéraire de J.K. Rowling, pour le film le plus court. C'est aussi le seul film de la saga à ne pas être écrit par Steve Kloves, qui lui aura le droit de couper le dernier volet en deux films, pour ne rien avoir à sacrifier. Ce premier film où Voldemort, grand méchant de la saga, est de retour fait pourtant la part belle à un autre antagoniste. Ou plutôt une : Dolores Ombrage (Imelda Staunton), sous-secrétaire d'État du Ministère de la Magie nommé professeure de Défense contre les Forces du Mal, qui prend très vite du galon en instaurant un climat sécuritaire et un enseignement stricte et conservateur, devenant très vite la Grande Inquisitrice de Poudlard. Dans ce film, presque dictatoriale, elle torture les élèves, oblige Dumbledore à s'échapper pour prendre sa place et émet même l'idée de pratique un des sortilèges impardonnables sur notre héros...
Toutefois, Yates n'oublie pas pour autant Voldemort, qui est rejoint par l'affreuse Beatrix Lestrange, cousine de Sirius fraichement échappée d'Azkaban avec d'autres Mangemorts, et follement interprétée par Helena Bonham Carter, qui n'hésite pas à cabotiner dans ce rôle s'y prêtant fort et dur. Elle nuance pourtant un personnage qui s’avérera capital pour la suite des événements. Côté good guys, c'est Natalia Tera qui prête ses traits à la nouvelle venue Tonks tandis que George Harris interprète Kingsley Shacklebolt, tous deux de valeureux sorciers de l'Ordre du Phénix, société secrète fondée par Dumbledore pour lutter contre Voldemort. Et voilà le meilleur aspect de ce film arriver : au moment même où Harry a une ligue entière d'alliés pour le protéger et l'aider à vaincre Voldemort, il n'a jamais été aussi seul. Ignoré par son mentor Dumbledore, dont le jeu de Michael Gambon est plus nuancé que jamais, Harry doit faire face au traumatisme de la mort de son ami Cedric et au retour de Voldemort, l'assassin de ses parents. Comme si ce n'était pas assez, quasiment tout le monde, du Ministère à Poudlard, remet en cause ses dires quant au retour de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom. Ses amis de Gryffondor aussi, poussant Ron à prouver de nouveau sa fidélité envers Harry en le défendant. Au milieu de tous ces rejets, seuls restent ses proches historiques : Ron, Hermione et Ginny, mais aussi, et c'est plus nouveau, Neville Londubat et Luna Lovegood. Le premier a un rôle central dans ce film, puisqu'il trouve la Salle sur Demande et se livre sur ses parents (tués par Beatrix). La seconde est quant à elle un peu étrange, mais se rapproche d'Harry en étant la seule avec lui à voir les Sombrals, sorte de chevaux ailés noirs et squelettiques, qui ne sont visibles que par ceux qui ont vu la mort. Ces créatures sont à l'image des effets spéciaux du films, vraiment très réussis et intégrés à la photographie du polonais Slawomir Idziak, auparavant chef op de Black Hawk Down et Gattaca, qui signe une magnifique lumière. Il combine en effet le travail effectué sur les quatre films précédents pour donner à la saga son esthétique ultime, sombre, désaturée, mais aussi avec des ambiances colorées. En témoigne cette très belle séquence dans la Salle des Prophéties, à grande dominante bleue.
Yates compose des plans superbement composés et éclairés, notamment dans la toute première séquence, très évocatrice et belle. Après une introduction avec le titre sombre et brumeuse, on coupe sur le soleil, ultra lumineux, avant d'arriver sur un terrain vague non loin de Little Whinging, où l'ombre d'Harry, seul, doit faire face à la bande de son cousin Dudley. Mais alors qu'Harry s'énerve, le temps s'assombrit, ôtant toute clarté. Ce sont les Détraqueurs qui attaquent les deux cousins pour une séquence à la fois viscérale, maitrisée, très bien rythmée et vraiment sublime esthétiquement. On peut dire que pour son entrée en matière, Yates fait carton plein en comprenant l'univers et le personnage d'Harry Potter, mais place également haut la barre tant au niveau de la mise en scène que du défi esthétique d'un tel mastodonte de film.
L'onirisme qui parcoure ce film tend à montrer que les liens entre Harry et Voldemort sont d'autant plus importants maintenant que ce dernier a regagné une forme de puissance qui ne cesse de grandir. Un magnifique face-à-face intérieur entre Harry et Voldemort plus tard, on se rend alors à quel point Daniel Radcliffe étoffe son jeu de film en film, ainsi que le travail rythmique et d'imagerie de Yates, qui comprend l'importance du motif du miroir dans la saga, reflétant littéralement Voldemort face à Harry, l'isolant une nouvelle fois en figure sacrificielle. Ses rêves et cauchemars omniscients ne trompent plus depuis quelques temps : Harry est l'élu, « the chosen one ». « One », il sera seul. C'est sans compter sur l'Ordre du Phénix et l'Armée de Dumbledore, deux groupes d'alliés qui l'aideront dans sa tâche. La première constituée de sorciers confirmés, qui le laissent dans le noir, pour le protéger, mais provoque aussi de fait un isolement par dessus son sentiment de solitude déjà existant. Le second groupe, c'est lui qui le crée, éduquant ses camarades de l'école à la Défense contre les Forces du Mal, les cours dispensés par Ombrage étant strictement théoriques et inutiles. C'est dans la Salle sur Demande qu'ils se cacheront pour s'entraîner, les murs recouverts de miroirs et leur tableau de mission étant lui même ce qui semble être le Miroir de Riséd (à confirmer, que les fans se manifestent), poussant les motifs de répétition, de réflexion et de dédoublement qui rodent depuis le début de la saga.
Rogue a de nouveau le droit à un avant-goût de la révélation qui sera faite sur lui dans le dernier épisode, via un flash-back, faisant état de sa réelle aversion pour Potter. Plus légères, on a aussi de belles scènes de Sorciers dans le monde Moldu : que ce soit un vol en balais au dessus de Londres, la maison des Black cachée entre deux habitations moldues, un petit tour dans le métro avec le père Weasley, ou l'entrée du Ministère faisant très Max la Menace. Aussi, Harry a le droit à son premier baiser, avec Cho Chang, dont le jeu de séduction agace une Ginny de plus en plus jalouse. En outre, dans le superbe décor vide du Ministère de la Magie, habituellement effervescent comme vu plus tôt dans le film, on assiste à une première scène de bataille magique grandiose, entre l'Ordre du Phénix et les Mangemorts d'un côté, Dumbledore et Voldemort de l'autre. Les effets et la tension sont alors au paroxysme de ce que peut faire la saga ciné : des enjeux compréhensibles et intenses, dans un décor géant, le tout techniquement irréprochable. Surtout que Nicholas Hooper, le compositeur qui prend la suite de John Williams et Patrick Doyle, joue une musique originale réussie, plus classique mais très efficace, notamment lors du montage de l'entrainement de l'Armée de Dumbledore et de ce climax dantesque.
Constamment tiraillé entre son isolation extreme en tant que héros involontaire et son désir de préserver ceux qu'il aime, Harry n'arrive pas à ce rendre compte qu'il est moins dangereux pour Voldemort quand il est seul. Ses amis iront jusqu'à lui dire qu'il n'a pas à affronter son ennemi seul. Et ils prouvent d'ailleurs leur valeur et leur vaillance, tant qu'ils le peuvent. Harry doit et devra donc trouver un équilibre certain entre son destin, l'amour qu'il porte aux autres et son héroïsme. Pour conclure, avec L'Ordre du Phénix, Yates fait de son premier Harry Potter un film politique (à l'image de sa série State of Play), car marqué par la menace que représente la figure d'Ombrage ; c'est aussi un film très chargé émotionnellement, marqué par la solitude du destin de héros d'Harry, mais montrant également que ce destin est aussi d'avoir quelque chose à défendre : ses amis, ses alliés, son école, son monde.
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