En le voyant en boutique, mon sang n’a fait qu’un tour. Un jeu de cartes estampillé Dark Souls, soit l’un de mes jeux vidéo favoris, je n’avais pas le choix que de passer à la caisse. Plot twist : bah c’est exactement ce que j’ai fait.
THE FIRE FADES
Soul of the mind, key to life’s ether
L’idée de ce jeu de deckbuilding coopératif est simple : il faut pour remporter la partie réussir à battre deux boss, à l’aide des cartes que nous avons à disposition, de celles que nous pouvons acheter et/ou que nous gagnons en récompense des durs (et nombreux) combats à mener. Le twist original et malin, c’est que le deck qui nous permet d’affronter les ennemis représente en réalité notre vie, car si nous sommes dans l’incapacité de piocher une carte, l’équipe perd aussitôt le combat et se voit téléportée au feu de camp. La partie est perdue après cinq passages au feu, sachant que l’on peut délibérément s’y rendre si l’on sent que l’on ne pourra pas remporter la prochaine bataille. Une idée diablement efficace et tout à fait cohérente avec le jean vidéo, puisque s’instaure très rapidement une dynamique de risque-récompense, nous exhortant à enchaîner les combats pour glaner davantage de loot et d’âmes (la monnaie du jeu), en surveillant étroitement les cartes que nous utilisons afin d’éviter la famine et le retour intempestif au feu. Feu qui permet de sauvegarder le butin récupéré lors de la précédente bataille (mais que l’on perd en cas d’échec), de réarranger notre deck comme on le souhaite (une autre très bonne idée tant elle laisse le joueur libre de se débarrasser du superflu pour maximiser ses bonnes cartes) et, évidemment, restaure les combats déjà menés. Jusque-là tout va bien, le connaisseur arpente le jeu en terrain connu et conquis.
OK Jamie, mais concrètement, ça se présente comment ? On dispose en fait de trois petits plateaux distincts, l’un pour placer les cartes ennemis, sur deux lignes de trois cases, un autre identique pour le personnage des joueurs (à choisir parmi quatre classes héritées évidemment du jeu), et le troisième dédié à l’exploration (on y trouve en réalité les cartes gérant l’apparition des monstres et des boss). Les cartes se divisent elles en deux catégories : l’équipement à proprement parler (les armes et magies pour… wait for it… attaquer, les amures et boucliers pour vous-avez-deviner-quoi), et les cartes endurance qui permettent de jouer les autres (tel équipement nécessitera de se défausser d’une carte force, tel autre d’une carte dextérité, etc.). L’idée fondamentale du jeu, c’est d’enchaîner le plus de combats possibles pour acquérir de l’équipement, se reposer au feu pour remanier notre deck et y intégrer cet équipement, y acheter aussi des cartes endurance sur le marché (ce qui correspond en fait à la montée de niveaux dans le jeu vidéo), et repartir au front pour tout recommencer, jusqu’aux boss. Là aussi, c’est pleinement cohérent avec l’univers et le game design du jeu, et c’est plutôt bien ficelé.
Niveau affrontement, on doit gérer la position des personnages sur le plateau par rapport aux ennemis, et utiliser à bon escient cartes d’attaque et de défense, sachant qu’elles ont plusieurs effets en fonction des cartes endurance que l’on dépense pour les jouer (par exemple se défausser dudit équipement pour infliger plus de dégâts ou infliger moins de dégâts mais reprendre la carte dans ses mains… ce qui est en général préférable vu qu’on démarre avec peu de ce genre de cartes ET que notre deck représente nos points de vie). L’autre très bonne idée du jeu, c’est d’avoir construit un mini-deck propre à chaque boss, dont les cartes constituent chacune une action (un placement sur le plateau et une attaque associée), un peu à la Aeon’s End. Une fois le deck épuisé, on remet les cartes exactement dans le même ordre, ce qui nous permet de prévoir cette fois-ci les actions et placements du boss, et d’agir ainsi en conséquence. Une bonne manière encore une fois de coller à l’esprit du jeu vidéo, lequel nous demande pour progresser de retenir les patterns des ennemis afin de les vaincre.
Farewell, good hunter
Ce qui est fou avec ce jeu, c’est que non seulement il réunit tous les ingrédients pour faire un bon jeu de deckbuiling, mais en plus ses mécaniques et son game design sont parfaitement cohérents avec l’œuvre vidéoludique. Et pourtant il se plante. Bon maintenant que l’effet dramatique est passé, je peux nuancer : ça reste un bon jeu hein, cool à faire à plusieurs si on aime élaborer des stratégies main dans la main pour battre de gros squelettes et autres monstruosités infames. Le hic, c’est que le jeu oublie une autre composante essentielle de la formule des Souls : l’exploration. Ici, on enchaîne inlassablement des combats jusqu’à la défaite ou la victoire. Le jeu ne comporte que ça, en fait, jusqu’à épuisement. Alors on pourrait se dire que c’est pour coller à l’atmosphère anxiogène du jeu vidéo, pour garantir comme lui une tension permanente. Bah non, parce que l’exploration est toute aussi importante dans la philosophie des jeux, notamment parce qu’elle sert aussi à varier le rythme tout en conservant la tension inhérente au jeu.
L’autre gros problème, c’est que le seul moyen d’acquérir des cartes équipement, c’est via (attention) le combat, et donc le tirage aléatoire de ces cartes. Sauf qu’en général, on va enchaîner deux combats en moyenne avant d’aller se reposer au feu de camp, soit un gain de 2 à 4 récompenses en moyenne (pour une partie à deux joueurs), à diviser par le nombre de participants. Autant dire que c’est peu, et que c’est très contraignant. Je ne comprends pas pourquoi il n’existe pas un autre moyen de s’en procurer, comme un marché par exemple, qui proposerait par exemple 4-5 cartes à acheter au feu de camp avec ses âmes (ce qui est le cas dans le JV en plus, les âmes permettant à la fois de monter de niveau et d’acheter des objets), et qui se renouvellerait à chaque tour. Cela aurait été largement plus engageant et enthousiasmant que se partager trois pauvres équipements et d’acheter des cartes endurance peu sexy après avoir sué sang et larmes en combat.
Reste une expérience assez mitigée donc. D’un côté une mécanique de deckbuilding vraiment intéressante (un petit côté trading card games avec la possibilité de remanier à l’envi notre deck) et des mécaniques cohérentes avec l’univers convié ; de l’autre une structure peu engageante et répétitive, trop axée sur le combat et peu récompensante. J’ai sans doute trop investi (émotionnellement et financièrement) à l’achat en voyant ces doux mots que sont Dark Souls, d’où ma déception après avoir effectué une partie le cœur battant, les mains tremblantes. Je suis un peu… saoulé, en fin de compte (facile je sais, deal with it).
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