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CHER CONNARD (critique)

La rentrée littéraire 2022 s'achève, et s'il y a bien un roman dont on nous a rebattu les oreilles, c'est le dernier Despentes ! Cher Connard se hisse, en effet, en tête des ventes moins d'une semaine après sa parution. Amandine Thieulent revient sur cet événement pour PETTRI !

Pour rappel, Virginie Despentes est une auteure punk féministe tant connue pour sa verve trash et provocante, que pour ses engagements féministes et politiques affirmés. Souvent jugées trop violentes, ses publications marquent les esprits, qu'on adhère ou non à ses idées. Le moins que l'on puisse dire est que Virginie Despentes ne laisse personne indifférent ! Elle ne connaîtra d'ailleurs qu'une reconnaissance tardive, grâce à son pamphlet féministe King Kong Théorie. Despentes adhère et soutient les nouveaux mouvements féministes, et publiera dès lors quelques tribunes afin d'encourager les jeunes générations à la révolte sociale, et à s'exprimer dans une nouvelle ère féministe post-MeToo. Seulement, la romancière semble avoir disparue depuis le succès de sa trilogie Vernon Subutex. C'est dire si son nouveau roman était attendu...


Cher Connard… Un titre évocateur, et un oxymore qui attire l’œil ! Virginie Despentes nous y raconte l'amitié étrange qui se lie entre « un connard modèle standard », c'était à dire Oscar, écrivain dans la fleur de l'âge et au sommet de son succès, qui vient de se faire « metooiser », et Rebecca, grande actrice féministe engagée et reconnue, mais vieillissante et à laquelle on ne confie plus de rôles. Un troisième personnage, quelque peu secondaire, fait des apparitions ponctuelles, rythmant ainsi le récit, et le raccordant à la vie réelle. C'est Zoé Katana, créatrice et auteure d'un célèbre blog féministe. Elle n'est autre que la victime d'Oscar, et celle qui a révélé publiquement ses agissements. Pour ce roman, Virginie Despentes choisi la forme épistolaire à travers les longs mails que s'échangent Oscar et Rebecca, ponctués par quelques publications sur les réseaux sociaux (entre autre sur le blog de Zoé), ancrant ainsi le récit de plein fouet dans notre société actuelle. En effet, les deux premiers échanges de nos protagonistes se font dans la violence, et sur les réseaux : Oscar publie un post de hater insultant le physique, et la carrière de Rebecca. La réponse de celle-ci ne se fait pas attendre :

« Cher connard… »

À la lecture, on se rend très vite compte que la forme épistolaire est plus un prétexte aux monologues et réflexions de l'auteure, qu'un choix narratif voué à créer une tension, ou une émotion entre les deux personnages principaux. Alors soit, ceux-ci s'apprivoisent et déversent dans leurs mails leurs histoires, leurs regrets et espoirs, et échangent sur la société, mais aucun d'eux ne le fait de façon singulière. Despentes n'a pas prit soin de leur créer une voix propre. Seule celle de l'auteure transpire entre chaque ligne du roman. Vive et incisive, sa prose ou son vocabulaire ne se modifient jamais pour incarner un personnage ou un autre, ce qui rend difficile de compatir ou s'attacher aux personnages. De plus, cette suite de monologues essouffle quelque peu le rythme du roman, laissant l'action et les personnages de coté. Malgré cela, Cher Connard est un roman qui propose un portrait d'êtres humains qui cherchent à comprendre et à trouver leurs places dans la société d'aujourd'hui. Il questionne donc de nombreux sujets de société : les rapports humains et sociaux, le féminisme et le patriarcat, le militantisme, les réseaux sociaux, le capitalisme, les addictions, le covid, la parentalité, la prostitution, les questions de genres et d'orientations sexuelles, l'amour, l'enfance, les transfuges de classe, etc... Loin d'être inintéressant, l'abondance de sujets traités perd un peu le lecteur dans un fouillis d'opinion dont on ne sait que faire. Néanmoins, que l'on adhère ou pas aux idéologies que défend l'auteure, il en ressort tout de même quelques paragraphes puissants (sur les féminicides par exemple), qui redonnent du punch à l'ensemble du récit.


Mais finalement, la vraie force de Cher Connard, ne réside pas tant dans les idéaux qu'il défend, mais bien dans le compromis et la reprise de dialogue qu'il incarne. Après de nombreux bras de fer, et batailles (nécessaires) qui ont, pour beaucoup, totalement scindés les hommes et les femmes en deux clans opposés ; Cher Connard est le roman de la réconciliation. Ici le dialogue une fois renoué, permet la remise en question des personnages sur leur actions et réflexions, et enfin de faire avancer le récit dans une entraide mutuelle. C'est au fond une Virginie Despentes, quelque peu radoucie que nous retrouvons, qui appelle à une solidarité et un apaisement des mœurs actuels.

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