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Pauline Lecocq

CHANTONS SOUS LA PLUIE (critique)

Sorti il y a 70 ans aujourd'hui aux États-Unis, Chantons sous la pluie est LE film merveilleux par excellence. Pauline Lecocq vous explique pourquoi sur PETTRI.

Il y a de ces films pour lesquels on réalise que les étoiles étaient bien alignées pendant toute la durée de leur conception. Chantons sous la pluie est de ceux-là. En effet, peu de films atteignent à ce point la perfection.

Petit retour sur sa genèse : Arthur Freed produisait à la pelle des comédies musicales dans les années 40 et 50 pour le studio MGM (dont Le Chant du Missouri , Mariage Royal et Un Américain à Paris, entre autres), que des merveilles ! Au début des années 50, il conçoit un film qui reprendrait des chansons qu’il a co-écrit dans les années 30 et qui ont été utilisées précédemment dans d’autres longs-métrages, comme la chanson titre, mais aussi d’autres magiques comme “You were meant for me”, “You are my lucky star”, “Good Morning”, “Moses supposes”, “Broadway Melody”, etc… A l’exception de “Make’em laugh”. En effet, le producteur avait demandé à ce qu’on fasse un morceau dans le style de “Be a clown” de Cole Porter, chanté par Judy Garland dans l’excellent film Le Pirate (avec Gene Kelly, produit par Freed). Les deux scénaristes s’étaient donc exécutés, en restant très (trop ?) fidèles à l’original (écoutez, vous verrez !).

Chantons sous la pluie sort en 1952 et sera considéré plus tard comme le summum de cette période de l’âge d’or de la comédie musicale de par ses numéros musicaux et ses chansons bien sûr, mais aussi ses dialogues ping-pong qui font mouche à chaque fois, et sa satire du monde du cinéma (il se passe en 1929 au moment de la transition du muet au parlant) et ses situations comiques rocambolesques (l’enregistrement de la voix de Lina Lamont par exemple). On doit cela aux deux scénaristes : Betty Comden et Adolph Green (couple à la ville), qui ont aussi écrit l’incroyable Tous en scène réalisé par Vincente Minnelli (1953) et Un Jour à New York (du même duo de réalisateurs, Kelly et Donen, 1949). Justement, au début des années 50, Gene Kelly et son comparse Stanley Donen n’en sont qu’à un seul coup d’essai de mise en scène quand ils s’attellent à celui-ci. Le tournage de Chantons sous la pluie est difficile car Kelly est très exigeant, notamment envers la jeune Debbie Reynolds, 18 ans à l’époque, qui n’a pas de formation de danseuse, ce que Kelly n’approuve pas. Pour la petite histoire, le duo de réalisateurs se sépare ensuite mais mettra tout de même en scène le méconnu Beau Fixe sur New York en 1955 avant que leur route ne se sépare véritablement suite au tournage plus que tendu, et qui marqua la fin de leur amitié. Ils réaliseront chacun de leur côté des grands films, entre autres Hello, Dolly! pour Kelly, et Drôle de frimousse, Charade et Voyage à deux pour Donen (avec plus de films à succès pour ce dernier).


Mais revenons au film. De façon quelque peu surprenante dans les yeux d’un spectateur d’aujourd’hui, le long-métrage n’est pas vraiment marqué par le côté machiste que pouvait avoir le cinéma de cette époque avec une attitude condescendante à l’égard des personnages féminins, voire des actrices. Ici, elles sont l’égale des hommes et sont parfois plus redoutables ! Et l’égalité est accomplie dans le couple par le biais du plan final.

En parlant de personnages, il faut dire que les acteurs sont tous incroyables, que ce soit Gene Kelly, parfait en acteur célèbre qui doute et veut se renouveler, Debbie Reynolds en jeune première qui ne se laisse pas faire, Jean Hagen en star du muet à la voix horrible (l’ironie du sort veut d’ailleurs que l’actrice double la voix chantée de Debbie Reynolds pour la chanson “Would you?”), Cyd Charisse qu’on voit peu mais qui marque les esprits. Et puis enfin, peut-être le clou du spectacle (avec Kelly) : le flamboyant Donald O’Connor qui incarne le meilleur ami pianiste du héros avec un humour irrésistible, que ce soit dans ses réparties savoureuses ou ses numéros musicaux (le fameux et inoubliable “Make’em laugh”, ou bien le fabuleux “Moses supposes” en duo avec Kelly), c’est aussi lui qui a les idées les plus folles qui vont marcher (le doublage ou la comédie musicale pour sauver le film de son ami). Peut-être est-ce finalement lui le personnage clé du film ?

Par ailleurs, le long-métrage s’amuse complètement avec cette idée d’artifice et de réalité, de faux et de vrai, que ce soit de façon humoristique dans la séquence “Make’em laugh” avec Donald O’Connor qui tente de séduire un mannequin puis fait des saltos dans des décors de studio jusqu’à traverser les murs. Ou de façon plus sincère avec la séquence “You were meant for me” : un plateau de cinéma, symbole de l’artifice avec ses machines, son studio, ses décors factices, devient un moment de pur romantisme avec la création d’une ambiance en adéquation avec la déclaration d’amour de la chanson. On dirait presque une séquence de balcon à la Roméo et Juliette avec cet escabeau au milieu de ce plateau vide ! On assiste bien à la magie de la création, la magie du cinéma, du rêve créée de toute pièce par la bien nommée usine à rêve (surnom d’Hollywood). Cette mise en abyme du cinéma nous fait rêver, nous spectateurs, devant l’écran.

Le film qui parlait déjà de cinéma en racontant un épisode primordial de transition (le passage du muet au parlant) et en décrivant le milieu du cinéma d’alors avec les acteurs, les producteurs, les réalisateurs, les musiciens, ou en racontant comment devenir acteur, continue sa mise en abyme en montrant un film dans le film. En effet, toute la séquence de la chanson “Broadway Melody” est imaginée par Don Lockwood (Gene Kelly) qui explique un moyen de sauver leur film à son producteur. C’est dans cette séquence qu’apparaît la danseuse et actrice Cyd Charisse, et c’est aussi un moment qui s’amuse avec les genres cinématographiques puisqu’on retrouve une scène qui reprend les codes du film de gangsters avec la femme fatale (la vamp), et d’autres qui reprennent les codes de la comédie musicale. Cette longue séquence atteint un degré de pure poésie de plus en plus abstraite avec une danse dans un studio désert aux couleurs mauves, qui n’est pas sans rappeler justement la scène de “You were meant for me”. Comme des poupées russes, les scènes et les mises en abyme s’emboîtent les unes dans les autres pour créer ce moment unique avant de revenir en 1929.

Touchée par la grâce, cette œuvre d’une modernité folle est un bijou comique, un monument de rythme, un spectacle aux couleurs éblouissantes, un film historique retraçant un passage compliqué de l’histoire du cinéma, enfin, un film sur le cinéma qui ne se regarde pas le nombril mais nous emporte dans un tourbillon de merveilleux. C’est bien là la vertu euphorisante et pure de la magie du cinéma et de la comédie musicale.

Impossible de se lasser de ce film, qui ne cesse d’être vu et revu par des habitué.e.s ou des nouvelles/nouveaux spectateur.ice.s avec autant de succès. La fameuse séquence sous la pluie en est la preuve : tout le monde connaît Chantons sous la pluie, même sans l’avoir vu. Grâce à cette scène, le long-métrage est présent dans notre imaginaire collectif de spectateurs. Son impact plus qu’important sur la culture populaire jusqu’à aujourd’hui nous le démontre, qu’il soit cité dans d’autres films, musicaux ou non, dans des publicités ou des émissions (l’acteur Joseph Gordon-Levitt refaisant par exemple avec talent le numéro de “Make’em laugh” au Saturday Night Live en 2009), ou que la chanson-titre soit reprise par des musiciens (on pense à la magnifique version de Jamie Cullum).

Montrez-le à des enfants de 6 ans, ils ne comprendront pas l’histoire du passage du muet au parlant mais ils regarderont avec des étoiles plein les yeux les numéros musicaux et fredonneront les chansons. Et c’est là qu’on retrouve l’essence même du cinéma : la joie, la fantaisie, l’inspiration, le rêve qu’il peut apporter dans nos petites vies parfois (oserait-on dire souvent ?) bien mornes. Et des films comme ça, il faut les chérir, les laisser vous accompagner dans votre vie, et les garder sous le coude comme antidépresseurs dans les moments difficiles (donc prescrire un visionnage une fois par an minimum !). L’euphorie des personnages est contagieuse et vous rendra tout simplement heureux. Vous n’aurez alors qu’une envie, comme Don Lockwood (le personnage de Gene Kelly) : chanter et danser sous la pluie. Voir la beauté autour de soi et la célébrer. Tout comme ce chef d’œuvre est une célébration du cinéma, de la musique, de la danse, de l’amitié, de l’amour, bref de la vie !


En outre, on tient à souligner que le Théâtre du Châtelet a créé une merveilleuse mise en scène de cette comédie musicale il y a quelques années, reprise au Grand Palais récemment. Alors on vous recommande chaudement d’aller voir cette production si elle revient à Paris, et bien sûr de voir et revoir ce film merveilleux !


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