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ALOÏSE SAUVAGE - SAUVAGE (critique)

Deux ans après son premier album Dévorantes, l’artiste multidisciplinaire Aloïse Sauvage revient avec un album assumé et au nom sans équivoque : Sauvage. L’essai est-il confirmé ? Réponse de Noémie Contant sur PETTRI.

Aloïse Sauvage est une artiste tout à fait inclassable : tantôt circassienne issue de la prestigieuse Académie Fratellini, tantôt actrice dans le film 120 battements par minute ou la série Stalk… et tantôt chanteuse/rappeuse. Dans cet ordre-là chronologiquement aussi, d’ailleurs.


Ayant toujours écrit en parallèle de ses autres formations et métiers, c’est en 2018 qu’elle publie son premier clip, Ailleurs higher. Engouement critique et professionnel immédiat : la même année, elle réalise une création pour la 40ème édition du festival très réputé des Trans Musicales de Rennes. Elle y crée un spectacle total, en particulier avec des voltiges en micro, procédé qui la suit toujours aujourd’hui. Puis, à partir des morceaux créés, sort en 2019 son premier EP, Jimy. Confirmation d’un succès et prélude au tout premier album, Dévorantes, en 2020. Cette année allait être son année, c’était sûr. Elle est même nominée à la révélation scène aux Victoires de la musique et y chante son single A l’horizontale via une prestation comme d’habitude de haute voltige. Sauf que Dévorantes sort fin février 2020, soit au pire timing possible. Ce qui n’empêche pas la prolifique artiste de défendre cet album, notamment en sortant en avril 2020 le clip de Mega Down, qui, confinement et distanciation sociale obligent, est réalisé avec un drone, avec l’artiste sur le toit d’une maison. Ce premier album est également plus assumé dans ses thèmes : là où Jimy parle à la troisième personne d’une histoire d’amour entre femmes, Omowi est beaucoup plus clair sur l’homosexualité de la chanteuse. Elle raconte aussi son émouvant parcours dans le podcast Coming out en 2021.


Si cette introduction peut sembler longue, elle est essentielle pour totalement appréhender Sauvage. Le deuxième album, c’est toujours un stress : encore plus quand le premier est sorti au pire moment possible, qu’on perd les morceaux déjà composés à cause d’une panne et qu’on décide de changer d’équipe. Trois années pleines de bouleversements donc, mais qui permet à l’artiste de se réinventer et de chercher encore plus son identité. Si le poncif journalistique est de parler d’album de la maturité pour le deuxième album, ici on a plutôt envie de parler d’album de la radicalité. Plus radical dans ses thématiques déjà : quel superbe hymne féministe que Crop Top, reprenant les bases du consentement (“Non c’est non, c’est non / Quand on dit non non, c’est non non non non non”) tout en y ajoutant un aspect revendicateur, engagé, presque politique : “Insoumises, pourquoi faire ? Pour être libres, pour faire taire la violence / du système je l’espère / que s’ouvrira la nouvelle ère”. On pense ainsi à Mona Chollet ou à la chanteuse Pomme (qui a également fait une chanson sur le sujet) en parlant de sorcières dans le morceau, l’image de la sorcière faisant aussi partie des thématiques féministes.


La radicalité est également présente dans l’affirmation de son identité et de son homosexualité. Parmi les nombreux morceaux parlant d’amour (heureux comme dans XXL ou malheureux comme dans Love), tous se conjuguent au féminin de façon totalement assumée. On ne peut que se réjouir notamment en voyant sa prestation dans l’émission Quotidien pour interpréter Love qui est certes une histoire de rupture mais disant clairement : “Elle m'a dit "Tu paries que je pars et que tout s'arrête / T'avais promis de changer mais t'es pareille"”. On notera aussi le morceau Joli danger, qui musicalement n’est pas notre préféré de par sa rythmique assez zouk, mais est extrêmement rafraîchissant en parlant clairement et nettement de sexualité et de désir entre femmes, allant encore plus loin que ce qui était sous-entendu dans A l’horizontale dans le premier album. On pense par exemple à la rappeuse Lala &ce qui est également très claire dans les paroles.


Mais radicalité n’empêche pas la fragilité et l’honnêteté. On l’a dès le début avec Montagnes russes, qui résume plutôt bien les années que vient de passer Aloïse Sauvage et notamment ses réalisations et son engagement grandissant : “Il faut que j’me débloque, j’me suis trop tue”. L’album précédent se finissant par Dévorantes, morceau rempli d’envies (dévorantes, donc), c’est une parfaite transition, les deux ambiances étant en plus similaires, plutôt posées pour faire la part belle aux affirmations de l’artiste et montant peu à peu crescendo. Le morceau Soulages est aussi très honnête sur les difficultés rencontrées (“Y a pas si longtemps c’était tout noir, solo dans un monochrome de Soulages”, en référence à l’artiste-peintre Pierre Soulages), tout en étant porteur d’espoir : “En ce moment j’suis prospère ça fait du bien / Dans les affaires j’suis liée qu’à des gens d’qualité”. Le morceau Focus un peu plus loin rend également hommage à son équipe et au travail abattu pour en arriver là où ils sont : “On va se hisser tout en haut du podium / Quand tu as tout misé dessus, la victoire est trop bonne / Même si on rampe un peu, on sait bien que ça paiera après / Le violet, la villa, la belle vie, la victoire, c'est ce qu'on vise”.


Le morceau ego trip, assez inattendu, était par ailleurs le premier extrait présenté de l’album : intriguant et rafraichissant (combien de morceaux disent “Écoute mon album, ta meuf a l'air de kiffer à mort / Tu joues trop les bonhommes alors que tu sais que c'est moi qu'elle adore” ? Trop peu, si vous voulez mon avis), il n’est cependant pas tout à fait représentatif. Nous ne sommes pas totalement dans un album de rap mais dans un objet hybride, aux instrus et ambiances très variées, certes très axé rap mais avec des morceaux plus chantés et dépouillés, comme M’envoler ou Aime-moi demain, confessionnal au piano et aux légères cordes : “J’ai une petite soeur, j’voudrais être son exemple ah ça c’est sûr / Est-ce que je me trompe quand je la protège à tort ?”. Le seul feat. de l’album, le très doux Demain (interlude) est avec November Ultra, que l’on connaît pour sa pop lo-fi et en particulier son morceau soft & tender.


Avec cet album, Aloïse Sauvage confirme qu’elle est une artiste à suivre urgemment, qui ne s’inscrit pas dans un style prédéfini et a décidé de tout assumer de manière frontale : son identité, ses failles, ses forces. Et son patronyme, porté avec fierté, à raison.


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