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8 MILE (critique)

Il y a 20 ans jour pour jour sortait 8 Mile, film-étendard de la culture hip-hop au cinéma ; celui qui l’a démocratisé en tout cas. Retour sur ce faux-biopic d’Eminem par Jofrey La Rosa.

À la sortie de son chef-d’œuvre The Marshall Mathers LP en 2000, Eminem devient une star. Pas seulement du rap. C’est une star, point. Il arrive à rendre populaire ce genre resté jusqu’alors plutôt underground, encore marqué par l’image de la banlieue, des cités et des taudis. Pourtant sans concession, cet album est un coup de pied dans la fourmilière entamé l’année d’avant avec The Slim Shady LP, alors qu’il signe avec le king Dr Dre. Bonne pioche pour le producteur qui, entre temps, le propulse sur son propre album Chronic 2001, avec les deux bombes que sont What’s The Difference et Forgot About Dre. Dès lors, c’est parti pour ce rappeur, probablement aidé par sa couleur de peau plus passe-partout : il est blanc. Mais surtout, il est fort. Très fort. The Marshall Mathers LP cartonne, The Eminem Show en 2002 aussi. Mais entre-temps, le cinéma lui a ouvert ses bras. C’est avec l’aide du producteur Brian Grazer et du toujours visionnaire Jimmy Iovine qu’Eminem se met en quête d’un réalisateur, pour porter à bien une version romancée de ses débuts comme freestyle-rapper à Detroit. Il incarnera Jimmy, alias B-Rabbit (Eminem), un rappeur du coin qui peine à percer certes, mais aussi à joindre les deux bouts, dans une ville morte et scindée en deux, où règne d’un côté les Blancs plus aisés, de l’autre les Noirs plus à plaindre, séparés par cette fameuse 8 Mile Road.


C’est Scott Silver qui sera chargé d’écrire le scénario (au sortir de deux films qu’il a également réalisés : Johns et The Mod Squad) et Curtis Hanson, réalisateur de l'acclamé L.A. Confidential, qui sera à la barre de ce film se déroulant dans les bas-fonds du Michigan. Avec un style très réaliste, terne mais contrasté, et une caméra sans cesse en mouvement, Hanson se sert de son pinceau de metteur en scène pour peindre l'âpreté d’un cinéma-vérité sombre et crasse, où le seul espoir de son protagoniste réside dans un rêve illusoire. Dans ce monde, pas de fioriture, on va à l’usine, on prend le bus, on fait parfois des virées en voiture avec ses potes (Mekhi Phifer, Omar Benson Miller, Evan Peters, De’Angelo Wilson), et on loge dans un mobil-home avec sa mère chômeuse et alcoolique (Kim Basinger) et sa petite-sœur (Chloe Greenfield), qu’il essaye tant bien que mal de protéger de ce monde bien trop pourri. 8 Mile est un film sur le hood. C’est donc un film social. C’est aussi un film sur l’espoir et le désespoir. C’est un film sur la musique, et plus précisément sur le hip-hop, sur ses origines, son état actuel, et ce qu’il peut devenir. C’est un film-visionnaire, en quelque sorte. Et pourtant, il n’invente rien.


On a souvent qualifié 8 Mile de “Rocky dans le milieu du rap”. Mais c’est en réalité bien plus un Saturday Night Fever réactualisé. Certes Rocky mettait un point d’honneur à décrire l’espoir inespéré d’un petit boxeur dans la froideur sociale d’une Philadelphie asphyxiée. Mais Saturday Night Fever peignait un portrait davantage socio-culturel d’un jeune défavorisé et sa façon de se démener dans une mode musicale vacillante, travaillant à côté pour son seul petit plaisir hebdomadaire : la sortie en discothèque. Pour Jimmy, c’est les battles de rap. Il veut s’en sortir, travaille pour, rencontre une jeune femme (la regrettée Brittany Murphy) en cours de route, mais rien de beau en perspective pour lui, parce que même la réussite n’est que passagère. À la fin du film, Jimmy retourne travailler à l’usine après sa victoire écrasante contre Papa Doc (Anthony Mackie). L’espoir est de courte durée et la route est encore longue. C’est là que 8 Mile est âpre et se rapproche au rap de ce que faisait en sous-texte Saturday Night Fever au disco : il n’y a que le travail qui paye, et Jimmy n’est pas encore pleinement B-Rabbit.

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