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Jofrey La Rosa

ATLANTA (critique S4)

Quelques mois à peine après une troisième saison attendue et qui n’a pas déçue, la série de Donald Glover Atlanta revient pour un dernier tour de piste, constitué de 10 épisodes fous.

Quelle chance on aura eu en cette année 2022, d’avoir eu le droit à deux saisons entières de cette fabuleuse Atlanta ! Après près de quatre ans d’absence, Donald Glover et son équipe livrent donc une seconde saison d’affilée, pour conclure en beauté le parcours de Earn, Alfred, Darius et Van, avec dix épisodes dans lesquels ils reviennent en Georgie, après une saison 3 passée outre-Atlantique, se déroulant en Europe. Dans cette quatrième et ultime saison, nos protagonistes reviennent donc dans la ville qui donne son nom à la série, pour un dernier tour de piste qui a tout l’air d’une énième démonstration de la Glover team. Moins conceptuelle et expérimentale que la saison 3, qui s’autorisait des pas de côté constants dans des récits moraux sur la place des Noirs aux États-Unis, cette dernière saison est plus classique, mais conserve cette folie interne, sa singularité surréaliste, qui ont fait son sel durant ses premières saisons. Toutefois, elle étire la noblesse de la saison précédente, grâce à cette faculté incroyable à livrer des épisodes à chaque fois impactant et immédiatement culte et définissable : l’épisode de la ferme, celui de Soulja Boy ou du tournage de sitcom… on sait de quoi on parle tout de suite, et à chaque fois ça fait mouche.


Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le retour à Atlanta se fait en grande pompe ! Après leur détour européen, nos quatre protagonistes sont de retour dans leur ville à eux – et elle n’a jamais été aussi bizarre. Dans le premier épisode, commodément nommé The Most Atlanta, Earn et Vanessa doivent aller au centre commercial, peuplé de leurs anciennes conquêtes, et dans lequel ils vont rester coincés. Pendant ce temps, Darius se fait poursuivre par une vieille en fauteuil roulant, persuadée qu’il a volé un article dans un magasin pillé. Quant à lui, Alfred apprend la mort d’un rappeur qu’il voyait comme un modèle, qui semble avoir laissé les indices d’une chasse au trésor dans sa dernière mixtape. Tous vont finir par se retrouver, non sans une ultime désillussion systémique, au surréalisme à l’œuvre dans cette ville folle. Pas loin d’être le meilleur épisode de la série, ce premier volet de la saison 4 est en tout cas celui qui pousse les potards à fond et grossi les traits de son écriture si particulière, pour un rendu à la fois enthousiasmant et désarmant. Mais comment faire pour assurer neuf autres épisodes après cela, alors qu’on semble arrivé à l’apothéose formulatique d’une série ?


Deux réponses sont proposées par Donald Glover et son équipe créative, composée notamment de son frère Stephen Glover, mais aussi d’Hiro Murai, Ibra Ake ou Francesca Sloane. D’un côté, continuer sur leur lancée, dans des récits à la fois weird et drôle d’un monde entier tourné vers leurs personnages et leur propos ; de l’autre, creuser l’émotion, comme pour tenter de normaliser un univers disruptif entier. Dès lors, on peut assister à des épisodes tels que ce génial épisode 7, nommé Snipe Hunt, dans lequel Earn et Vanessa emmènent leur petite Lottie en camping pour son anniversaire. Dans cet épisode, Earn et Vanessa arrivent enfin à parler de ce qui semble leur finalité relationnelle : depuis le début, ils sont ensemble sans l’être. Ils sont les parents de la petite, des amants plus ou moins réguliers, mais elle comme lui ne semblent pas disposés, ou trop marqués, pour entamer réellement une relation amoureuse ouverte, exclusive, dévouée et fidèle. Ici, alors qu’il a prévu de partir pour une carrière managériale à Los Angeles, Earn annonce clairement sa volonté à Vanessa : il veut qu’elle le suive avec Lottie, pour enfin fonder une famille, comme il se doit. Pour lui, il fallait atteindre une stabilité financière et surtout changer de décor pour pouvoir considérer un tel engagement. Cette pure expérience black, héritée des pires clichés sur la communauté aux États-Unis, montre à quel point Earn est marqué par sa condition d’homme noir, sans le vouloir : il a abandonné ce qui lui aurait permis de sortir de sa torpeur sociale (c’est un élève de la très sélective Princeton après tout), son rôle de provider (celui qui subvient aux besoins de sa famille), et évolue dans un environnement marqué par tout ce qui fait (évidemment faussement) la culture black aux yeux du monde (le rap, la drogue, le désengagement). Earn est un produit involontaire de ce que le monde (majoritairement blanc et post-traite) a fait des Noirs. En acceptant sa propre identité et sa propre volonté, et surtout en les communiquant clairement et avec émotion et tendresse, il rentre dans une normalité de la cellule familiale comme pour enfin trouver sa finalité – et in fine son bonheur. Ce fabuleux épisode 7 est dingo.

Tout comme le suivant, lui aussi Dingo. Dans le huitième épisode, Atlanta fait de nouveau un écart avec The Goof Who Sat By The Door. Unique itération à (re)proposer un récit sans aucun de nos personnages, cet épisode propose un (faux) documentaire sur un (faux) événement de l’histoire de Disney, où un simple animateur noir est nommé à la tête du studio aux grandes oreilles, et décide de produire “the blackest movie of all time”. Ce film, on nous l’explique de long en large, c’est Dingo & Max (A Goofy Movie, 1995). À base d’images du vrai film, ainsi que des archives reconstruites et de fausses interviews, Donald Glover réalise un superbe mockumentary qui, en plus d’être réellement drôle, apporte un regard parfait sur la paternité et la place de l’homme noir dans la société américaine. Un exercice de style aussi fort que plaisant, tel un triomphe évocateur et original.


Ce n’est qu’après un ultime épisode parfait, à la fin à la fois nuancée et incertaine, qu’Atlanta tire sa révérence. Un dernier tour de piste onirique tantôt osé, tantôt plus accessible, qui continue la lancée de cette série qui arrive à élever son matériau ou se hisser tout en haut des séries fondamentales. Au départ, Atlanta se vendait comme un “Twin Peaks avec des rappeurs”. Désormais, on parlera de “Atlanta avec des machins”, tant ils ont réussi à trouver leur ton, leur façon de raconter, leur truc à eux. Atlanta est simplement et définitivement une des meilleures séries jamais produites. À voir absolument.


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