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EXPOSITION MUSÉES NATIONAUX RÉCUPÉRATION (MNR) À STRASBOURG (critique)

Du 21 octobre 2022 au 15 mai 2023, les musées de la ville de Strasbourg exposent les vingt-sept œuvres Musées Nationaux Récupération (MNR) dont ils ont la charge. Une exposition temporaire importante pour faire connaître l'existence des MNR ainsi que leur histoire et pour sensibiliser tous les publics (amateurs et professionnels de l'art) aux phénomènes de spoliation et de restitution. Maxime Belval vous en parle sur PETTRI.

MNR : Strasbourg rend hommage à l'art et à la Résistance

L'exposition « Passé, présent, avenir d'œuvres récupérées en Allemagne en 1945 » organisée par les musées de la ville de Strasbourg va faire date. Elle montre l'intérêt porté par les musées à leurs MNR, dans une actualité marquée par les restitutions de biens spoliés. Les Musées Nationaux Récupération sont des œuvres d'art retrouvées en Allemagne à la fin de la Seconde Guerre Mondiale et dont la restitution n'a pas pu être effectuée, faute d'identification des propriétaires. Les vingt-sept MNR des musées strasbourgeois (vingt peintures et sept pièces de mobilier) sont exposés pour plusieurs mois dans une galerie du musée des beaux-arts, dont l’accès est libre et gratuit. D'une grande richesse artistique, ils réunissent des peintures du XVIe siècle d'écoles allemandes, de l'école de Fontainebleau ou de l’Italie du Nord, mais aussi de magnifiques natures mortes hollandaises et espagnoles du XVIIe siècle. Des artistes alsaciens (Jean-Frédéric Schall), de l'école de Barbizon (Théodore Rousseau) ou impressionniste (Alfred Sisley) sont aussi présentés ainsi que de luxueux objets mobiliers et une splendide tapisserie. Mais quelle est l'histoire de ces MNR, et pourquoi font-ils l'objet d'une exposition si particulière ? C'est à ces questions que répond l'exposition strasbourgeoise.

A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les forces alliées retrouvent des œuvres d'art en Allemagne et dans les territoires occupés. Il s'agit de biens spoliés ou confisqués pendant le conflit à des familles, des collectionneurs ou des galeristes juifs. Ces spoliations témoignent de la volonté d'anéantissement et de dépossession des Juifs exercée par les nazis. Le service du Möbel-Aktion (qui organise le pillage des appartements abandonnés) et l'équipe d'intervention de Rosenberg (l'ERR, qui gère leur transfert en territoire allemand) permettent de mettre la main sur une quantité innombrables d’œuvres d'art. Le phénomène fut de grande ampleur : plus de cinq millions d’œuvres furent saisies dans un objectif d'aryanisation de l'art, un désir de supprimer les créations artistiques dites « dégénérées » (des artistes d'avant-garde notamment), et de créer des collections comme celle destinée au musée pangermanique imaginé par Hitler à Linz. L'immense collection de Göring est également issue de ces pillages. Les ventes aux enchères organisées dans un marché de l'art florissant permettent d'écouler dans un semblant de légalité cette marchandise lucrative et de nombreux musées allemands ou suisses connaissent un accroissement important de leurs collections durant cette période. Séquestrées et transportées en Allemagne, souvent conservées sous terre dans des mines de sel ou de cuivre, les œuvres pillées sont recherchées dès 1943 par le service des Monuments Men qui œuvre pour leur récupération jusqu'en 1945.

Au terme du conflit, 61 000 œuvres reviennent en France, et 45 000 sont restituées à leurs propriétaires. Assurées par la Commission de récupération artistique (CRA), ces restitutions sont permises notamment par l'action de Rose Valland, conservatrice au musée du Jeu de Paume qui a accompli durant toute l'Occupation allemande un immense travail de catalogage des œuvres confisquées. Cependant 16 000 œuvres ne sont pas restituées. 2 000 d'entre elles sont sélectionnées pour leur valeur historique ou artistique et viennent constituer le fonds MNR. Les œuvres restantes sont vendues entre 1950 et 1953. Juridiquement, les MNR ne font pas partie des collections nationales. Ils sont inscrits sur les listes d'inventaire provisoires et placés par l'Office des Biens et des Intérêts Privées (OBIP) sous la gestion des musées nationaux (notamment au musée du Louvre) dont la mission est d'organiser les recherches visant à identifier les propriétaires et permettre leur restitution. Pour assurer leur visibilité, les MNR sont exposés au château de Compiègne entre 1950 et 1954 dans l'espoir que des propriétaires ou des ayants-droit reconnaissent des biens et les réclament. Mais très vite, ces biens sont répartis dans différents musées français et les recherches s'arrêtent. La présence de MNR à Strasbourg s'explique par la figure marquante de Hans Haug, directeur des musées de la ville de 1945 à 1963. Il a permis la restitution de nombreuses œuvres à leurs propriétaires alsaciens en 1945 et grâce aux relations de confiance établies avec le musée du Louvre, Haug obtient la mise en dépôt à Strasbourg d'un grand nombre d'œuvres du musée parisien, dont plusieurs MNR.

En 1995, la publication de l'ouvrage Le Musée disparu - enquête sur le pillage d'œuvres d'art en France par les nazis d'Hector Feliciano rouvre le sujet des MNR. Il montre l'ampleur des spoliations des Juifs tout en déplorant le peu de recherches effectuées depuis les années 1950 pour favoriser leur restitution. L'électrochoc est donné : un catalogue complet des peintures MNR est établi, publié et mis en ligne. La base de données Rose Valland inventorie l'ensemble des MNR et édite des fiches descriptives complètes, facilitant la diffusion des œuvres et la recherche de leur provenance.


L'exposition strasbourgeoise revêt donc une importance particulière dans l'histoire des MNR. L'objectif de sensibiliser les publics aux notions de spoliation et de restitution est atteint. La présentation est sobre et efficace, agrémentée de nombreux cartels explicatifs. La sobriété de la muséographie permet de contempler les œuvres tout en découvrant leurs histoires tourmentées. Un film documentaire sur Rose Valland, très à-propos, permet de découvrir son action et d'appréhender la Résistance sous une forme toute particulière. Enfin, les enjeux de la présentation et de la conservation des MNR sont particulièrement bien soulevés : les musées doivent constamment exposer leurs MNR dans leur parcours de visite, et les cartels doivent spécifiquement indiquer ce statut. L'apparence des œuvres ne peut souffrir d'aucune modification, afin de préserver la possibilité d'identification par des détails particuliers. Dans cette perspective, les actions de conservation préventive ou de restauration ne peuvent être entreprises qu'avec un contrôle stricte du service des musées de France (SMF).

L'évolution est donc en marche, et espérons que l'exposition strasbourgeoise vienne renforcer la recherche scientifique autour des MNR. Organisée en partenariat avec l'université, l'exposition est accompagnée d'un livret gratuit et distribué à l'entrée de la galerie, recensant l'ensemble des informations connues sur les œuvres exposées (historique, lieux de vente pendant la guerre, numéro d'inventaire). Espérons de plus que le dynamisme insufflé par cette démarche permette à d'autres musées français de s'intéresser à leurs MNR, de les valoriser davantage, et que des restitutions pourront être effectuées à l'avenir.

Bibliographie sélective :

Feliciano Hector, Le Musée disparu - enquête sur le pillage d'œuvres d'art en France par les nazis, 1995, Paris, Gallimard, 400p.

Valland Rose, Le Front de l'art : défense des collections françaises, 1939-1945, Paris : Plon, 1961. éd., RMN, 1997 ; éd., RMN, 2014.

Ophélie Jouan, Rose Valland : une vie à l'œuvre , Grenoble, Musée de la Résistance et de la Déportation de l'Isère, Maison des Droits de l'Homme, 2019.

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